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ne sont pas représentées devant lui par des personnes inLerposées, et par ces chicaneurs dont parle Loyseau. Paris, il n'y a jamais de conciliations; pourquoi? parce que les parties y sont constamment représentées, au mépris de la loi, par des clercs d'avoué, qui ont le pouvoir ostensible de transiger, mais avec l'instruction secrète de n'en rien faire. Il en résulte que le préliminaire dit de conciliation dégénère en une vaine forme, qui ne fait qu'engendrer des frais inutiles et retarder l'expédition des affaires.

Au contraire, dans toutes les justices de paix de campagne, où se trouve un bon juge de paix, homme ferme, de conscience, et possédant bien l'esprit de ses fonctions, il écarte les parasites, entend les parties elles-mêmes, et arrange presque tous les procès.

48. Pour avoir un plus grand nombre de juges de paix de cette qualité, il conviendrait aussi, je pense, de ne les prendre que parmi les hommes doués de quelque propriété les juges de paix auraient certainement, en leur qualité de propriétaire qui viendrait appuyer celle de magistrat, plus de consistance personnelle et plus d'ascendant sur la population, que le juge de paix qui ne possède rien, et n'a que son traitement pour vivre.

L'auteur d'un ouvrage d'ailleurs recommandable 1 a observé que cela serait peu démocratique. Je pense, au contraire, que l'amélioration que je propose serait dans les intérêts bien entendus de la partie la plus nombreuse de la démocratie, de ce pauvre peuple dont parle le vieux jurisconsulte que j'aime tant à citer. Car l'impôt le plus dur qui se lève sur les paysans, n'est pas l'impôt personnel ou mobilier, qui est presque nul dans les villages; ni l'impôt foncier, qui n'a rien de disproportionné avec les fruits qu'ils retirent d'une terre qu'ils cultivent eux-mêmes; mais ce sont les frais dits de justice. Le moindre procès, s'il ne se termine pas dans son principe, peut entraîner l'expropriation et la ruine du litigateur campagnard qui se laisse traduire au tribunal de première instance, et de là,

De l'administration de la justice et de l'ordre judiciaire en France, chap. XXXI. Par M. D***, 2 vol. in-8°. Paris, Crapelet, 1821.

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en appel. Et les scellés! les inventaires! les avis de parens!

49. Il serait bon d'étendre un peu la compétence des juges de paix.

D'après la loi du 24 août 1790, dans les causes purement personnelles et mobilières, les juges de paix jugent en dernier ressort jusqu'à concurrence de 50 livres, et à la charge de l'appel jusqu'à la valeur de 100 livres.

Ainsi, dès que le procès excède 50 livres, le jugement est susceptible d'appel; et s'il s'agit de plus de 100 livres, il faut que le laboureur quitte sa charrue pour aller à la ville remettre ses pièces à un avoué.

On devrait considérer que, depuis 1790, presque tout a doublé de prix; et que 50 francs (valeur de 1790) sont aujourd'hui fort au-dessous de la valeur d'un bœuf, d'une jument, et de ce qui fait le plus souvent l'objet d'une contestation entre paysans. On pourrait donc sans danger laisser les juges de paix prononcer jusqu'à 100 francs en dernier ressort, et leur permettre de connaître des autres causes à charge d'appel jusqu'à la valeur de 200 francs.

50. J'ai aussi indiqué, en parlant de la réduction des tribunaux de première instance, de la possibilité d'en remplacer utilement plusieurs par des juges de paix qu'on pourrait appeler de première classe, à qui l'on donnerait une compétence plus élevée que celle attribuée aux juges de paix des campagnes. On pourrait exiger que ces juges de paix de première classe, appelés à rendre la justice dans les petites villes qui ne comporteraient pas un tribunal de première instance, eussent été reçus licenciés en droit, et qu'ils payassent au moins 500 francs d'impôt foncier.

51. Dans mon introduction aux lois des communes, je propose de lier l'institution des juges de paix au régime municipal; de leur donner le droit de connaître notamment des contestations relatives aux chemins vicinaux, pour éviter aux passans les inconvéniens d'aller devant le conseil de préfecture, et par suite au conseil d'état, pour une voiture versée, une réparation mal faite, etc., etc.; enfin, d'autoriser les juges de paix du même arrondissement à se réunir en assises trois ou quatre fois par an,

sous la présidence du plus ancien d'entre eux, pour décider certaines affaires plus importantes, qui exigeraient une connaissance des localités, et qu'ils seraient ainsi plus à portée de bien juger qu'un tribunal éloigné.

On pourrait aussi combiner l'action de cette juridiction avec celle des conseils généraux et d'arrondissement pour les questions de voirie, de propriétés communales, etc.

4° Tribunaux de commerce.

52. Pourquoi tant de petits tribunaux de commerce? Ne serait-il donc pas suffisant d'en conserver dans les principales villes maritimes, et dans celles des grandes places de l'intérieur où les manufactures abondent davantage, et où les affaires commerciales, plus importantes, plus multipliées, plus délicates, exigent réellement un tribunal d'exception qui les juge dans un autre esprit et avec plus de célérité que les affaires civiles?

Dans les autres lieux, les affaires de commerce seraient portées aux tribunaux ordinaires, mais avec injonction prẻcise, 1o d'en hâter l'expédition en les jugeant sur un rôle particulier et à des jours fixés; 2o de n'accorder aucun délai, sous aucun prétexte, à aucun débiteur, pour aucune dette; car il est désespérant pour la foi publique qu'un créancier ne puisse pas compter avec certitude sur les termes de paiement qu'il a pris soin de stipuler, et de voir les tribunaux s'arroger le droit d'éloigner l'époque des échéances, au mépris des conventions le plus formellement, le plus solennellement contractées!

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55. Les avocats du roi n'étaient, dans le principe, que des avocats ordinaires que le roi choisissait, comme tout autre plaideur, pour défendre les causes dans lesquelles il était intéressé 1.

Par trait de temps, ces avocats devinrent permanens;

'Dialogue des avocats de Loysel, p. 166 et suiv. et 181 et suiv., dans le premier vol. de mon édition des Lettres sur la profession d'avocat. Paris, Alex. Goblet, 1833.

on érigea leurs charges en titre d'office; alors ils cessèrent d'être, comme on les appelait, avocats généraux du commun, c'est-à-dire, de tout le monde; on les nomma les gens du roi. Ils conservèrent cependant, mais sous un autre point de vue, le titre d'avocats et procureurs généraux; et ce fut à bon droit; car, ainsi que le disait fort bien l'avocat général Talon. « Quoiqu'on nous appelle les gens du roi, nous sommes aussi les gens de la nation. »

Cette pensée était d'autant plus juste, que les gens du roi avaient pour mission expresse de protéger le peuple contre la tyrannie et les vexations des seigneurs, qu'ils étaient constitués les défenseurs nécessaires des corps et communautés, des mineurs, des orphelins, des pauvres, des absens, et de tous ceux que leur faiblesse mettait hors d'état de se défendre eux-mêmes.

Quel beau ministère !

des

54. Autrefois on tenait que les officiers du ministère public étaient dans la cour près de laquelle ils étaient attachés; ils en faisaient partie; on ne les distinguait pas autres magistrats. Ils étaient inamovibles comme eux; et, quoique nommés avec la clause tant qu'il nous plaira, elle s'interprétait par cette autre tant qu'ils se conduiront bien; ce qui ne voulait pas dire, tant qu'ils feront à la volonté de nos ministres; mais, tant qu'ils n'auront pas forfait, et, à ce titre, mérité qu'on leur fasse leur procès.

La révolution opérée contre les parlemens a subverti ces idées. Le directoire exécutif, au lieu de fairé des magistrats, a nommé des commissaires du gouvernement. Bonaparte a établi les cours impériales, et leur a rendu la robe rouge, l'hermine, les mortiers galonnés ; il a rétabli les anciens titres de procureurs généraux, d'avocats généraux: mais, à voir le fond des choses, on pouvait dire avec Tacite : Eadem magistratuum vocabula, nihil prisci et integri moris superesse.

Sous ce règne militaire et de centralisation, les magistrats eux-mêmes n'étaient inamovibles que par destination; ils ne le furent jamais par le fait. Le ministère public fut institué pour exercer ses fonctions près les cours et tri

bunaux.

Il en est résulté qu'il n'a pas conservé, à beaucoup près, la même indépendance qu'autrefois.

On n'a pas encore remédié à ces abus.

Les gens du roi sont encore aujourd'hui révocables ad nutum, quoique, d'après la Charte, la justice doive être administrée par des magistrats inamovibles.

Pour moi, je leur souhaite l'inamovibilité, comme garantie de leur indépendance et de notre sécurité.

Je prie aussi le lecteur de se reporter à un nouvel ouvrage que j'ai déjà cité : De l'administration de la justice et de l'ordre judiciaire en France, par M. D***.

Il y verra, au chapitre XXX, intitulé, du ministère public, de bonnes réflexions sur la trop grande influence que les ministres exercent sur les officiers du parquet, et le danger qu'il y a pour ceux-ci et pour le public à se laisser trop préoccuper par les idées politiques.

On peut aussi voir ce qui est dit dans les maximes du droit public français, publiées en 1771, qu'on a quelquefois reproché aux gens du roi « d'être les plus ardens promoteurs du despotisme. Ce reproche, fait aux anciens officiers du parquet, empêchera sûrement les nouveaux de le mériter.

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SIV. De la compétence des tribunaux.

55. Quoique, dans les dernières années du gouvernement impérial, on ait fait quelques efforts pour tirer l'ordre judiciaire de l'état d'humiliation où il se trouvait, et pour rendre à la magistrature la considération dont il importe qu'elle soit environnée, il s'en faut beaucoup que l'autorité judiciaire soit entièrement sortie de l'état de dépression où elle fut placée dans les premiers temps de la révolution.

Les parlemens avaient toujours été les défenseurs des maximes monarchiques : le premier effort de la révolution se dirigea contre eux. D'ailleurs, que devenait le droit d'enregistrement, et celui de remontrance, en présence

1 J'écrivais cela en 1824, et j'étais avocat. Aujourd'hui, je suis procureur général, et je me borne à désirer qu'on ne destitue pas légèrement.

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