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blié que les jurisconsultes et les magistrats ont été parmi nous les plus zélés défenseurs des libertés de l'église gallicane? Dans ces temps de ténèbres et de barbarie, où la tiare prétendait subjuguer toutes les couronnes, n'est-ce donc pas à leurs lumières et à leur courage que la France fut redevable de ces savans écrits, de ces vigoureux arrêts qui, au milieu de l'Europe prosternée, conservèrent l'indépendance de la monarchie 3, et présentèrent au monde obédient le spectacle, unique alors, d'une nation saintement jalouse de sa première discipline, aussi modérée que ferme dans ses maximes, également éloignée de la licence et de la servitude, sans que jamais sa soumission ait diminué sa liberté, ni que jamais sa liberté ait porté la moindre atteinte à sa soumission? - Ce que les tribunaux et les avocats ont fait pour l'affermissement de nos libertés n'est-il pas un sûr garant de leur empressement à les défendre encore de toute entreprise ultramontaine?

« Le pape Jules III avait dénoncé la guerre au roi Henri II, et s'y portait avec tant d'auimosité et de fureur, qu'il ne pouvait être surmonté ni par prières, ni par argent, ni par la force des armes; et cependant ce pontife fut tellement troublé et effrayé par un livret (le commentaire de l'édit des petites dates) que DUMOULIN fit contre lui, qu'il le contraignit non seulement de mettre bas les armes, mais aussi, conime se reconnaissant vaincu, de donner la carte blanche, demander la paix et en accorder toutes les conditions, etc. »>

C'est aussi le témoignage qu'en rendit au roi le connétable Anne de Montmorency, qui, en présentant notre jurisconsulte à la cour, dit : « Sire, ce que V. M. n'a pu faire et exécuter avec trente mille hommes, de contraindre le pape Jules à lui demander la paix, ce petit homme (car Dumoulin était de petite stature) l'a achevé avec un petit livret. » (Vie de Dumoulin, liv. 2, chap. 2.) Doit-on s'étonner après cela que les œuvres de ce jurisconsulte aient été mises à l'index?

Ce que le législateur n'eût pas osé tenter, Pierre Pithou l'exécuta ; il rédigea en un seul CODE les articles des Libertés de l'église gallicane; et quoique ce recueil de maximes ne soit que l'ouvrage d'un particulier, cet ouvrage, dit M. d'Aguesseau, est si estimé et en effet si estimable, qu'on l'a regardé comme le palladium de la France, et qu'il a acquis une sorte d'autorité plus flatteuse pour son auteur que celle des lois mêmes, puisqu'elle n'est fondée que sur le mérite et la perfection de son travail. » (D'Aguess., I, p. 427. Le président Hénault atteste que a les maximes de Pithou ont, en quelque sorte, force de loi, quoiqu'elles n'en aient pas l'authenticité. »

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3 Voyez l'Histoire des avocats, par M. FOURNEL., t. 1, p. 16 et suiv., et mon traité des Libertés de l'église gallicane.

63. La connaissance des appels comme d'abus fut attribuée au conseil d'état par la loi du 18 germinal an x.

Elle fut ensuite restituée aux cours impériales par deeret du 25 mars 1813.

Elle a été transportée de nouveau au conseil d'état par l'ordonnance du 29 juin 1814.

N'était-ce point le cas de faire une loi? et, en faisant cette loi si désirable (si jamais on la fait !) n'y aurait-il pas un moyen de conciliation?

Parmi les cas d'abus, il y en a qui peuvent intéresser la politique; d'autres qui n'intéressent que les particuliers.

On peut ranger dans la première classe la publication des bulles, brefs, rescrits, décrets, mandats, et autres expéditions de la cour de Rome; les usurpations et excès de pouvoirs des ecclésiastiques, l'infraction des règles consacrées par les canons reçus en France, et en général les attentats aux libertés, franchises et coutumes de l'Église gallicane.

Dans la seconde classe se trouvent les entreprises et procédés qui, dans l'exercice du culte, peuvent compromettre l'honneur des citoyens, troubler arbitrairement leur conscience, dégénérer contre eux en oppression ou en injure, ou en scandale public.

Suivant cette distinction, on réserverait au conseil d'état la connaissance des appels comme d'abus qui rentrent dans la première classe ; et on laisserait ceux de la seconde catégorie dans le domaine des tribunaux '.

N'est-il pas singulier, en effet, que, pour un refus de sacrement, une parole indiscrète prononcée en chaire contre un particulier, une difficulté née subitement à l'occasion d'un mariage, d'un baptême ou d'une inhumation, il faille recourir de tous les points de la France au conseil d'état, comme s'il s'agissait du salut de la monarchie? N'est-il pas plus convenable d'abandonner aux cours le jugement de ces débats purement privés?

64. Du reste, on conçoit que ces sortes de contestations

'Devant la chambre des députés j'ai plusieurs fois émis la même opinion, surtout à la séance du 26 juillet 1828.

devront être, comme autrefois, portées devant les cours, sans qu'on soit obligé de subir un premier degré de juridiction: parce que le jugement de ces affaires exige des connaissances que n'ont pas les tribunaux de première in

stance.

6o Modification de l'article 75 de la constitution de l'an viii.

65. Il est fâcheux qu'on ait pu croire que cet article avait survécu à l'abolition de la constitution de l'an vIII. Il était nécessaire sous l'empire, parce que le gouvernement, étant absolu, commandait à ses agens en despote, et ne leur permettait pas de refuser ni de différer l'obéissance.

Mais, sous un gouvernement monarchique et constitutionnel, où la responsabilité des fonctionnaires est la première garantie de la sûreté et de la liberté des citoyens, l'abolition, ou du moins une forte modification de cet article semblait aller de droit.

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En effet, il a pour but d'enchaîner l'action des citoyens; il leur enlève le droit de se plaindre, et le moyen d'obtenir réparation du tort le plus éclatant, de l'injustice la plus révoltante, de l'exaction la plus manifeste : il entrave l'action des tribunaux : il force les magistrats au silence en présence du crime qui serait d'ailleurs le mieux avéré. Autrefois les parlemens pouvaient décréter même un gouverneur de province! Cela s'appelait rendre justice aux grands comme aux petits, sans nul espargner. Actuellement il faut un arrêt du conseil pour pouvoir attaquer un simple commis!

Ces trois mots, je suis percepteur, je suis agent, je suis préposé, ont la même puissance que le civis romanus sum de l'antiquité! ou la clamcur de haro des vieux Nor

mands !!

§ V. Des Conflits 2.

66. Les conflits sont la plus grande plaie de l'ordre judi

La Charte de 1830 a promis une loi sur la responsabilité des agens du pouvoir.

La plupart des griefs énoncés sous ce $ ont été redressés par l'ordonnance du 1er juin 1828.

ciaire. C'est une sorte d'interdit lancé sur les tribunaux. A l'aide d'un conflit que peut élever même un préfet de police', il n'est pas de cour dont la juridiction ne puisse être à l'instant paralysée ; il n'est pas de question personnelle ou de propriété qui ne puisse être transportée au conseil d'état et jugée par des fonctionnaires amovibles, sous la présidence du ministre qui les nomme et qui peut les révoquer.

A quoi donc a servi d'abolir par une loi expresse 2 les évocations et les committimus! les committimus contre lesquels on a tant réclamé! et qui n'avaient cependant pas pour effet d'enlever les affaires à la connaissance des tribunaux ; mais seulement d'abréger les degrés de juridiction, et de transporter immédiatement la cause en appel! 67. Les conflits ont-ils pu survivre à la Charte, qui a proclamé solennellement que nul ne peut être distrait de ses juges naturels ? Je ne le pense pas. J'ai soutenu devant la cour, et je soutiens encore en termes de droit, que la pratique des conflits est incompatible avec cette disposition de la Charte. Je le plaiderai en toute occasion, et j'espère bien tôt ou tard le faire juger ainsi. La jurisprudence m'apprendra si je me suis mépris.

Déjà, dans une occasion mémorable, j'ai obtenu arrêt, qui a prononcé, en présence d'un conflit, par voie de simple sursis; et qui, en même temps, a ordonné sur le fond un toutes choses démeurant en état, qui paralysait la décision du premier juge. La cour, en cela, n'a fait qu'user de son droit.

Dans l'état actuel des choses, l'ordre judiciaire est indépendant: il a une juridiction qui lui est propre, et dans laquelle il faut bien apparemment qu'il ait le pouvoir de se maintenir.

Si, de fait, on porte devant un tribunal une affaire qui

Non seulement pendant le cours d'un procès, mais après qu'il a été jugé par arrét; à l'occasion, par exemple, d'un cœur desséché depuis plusieurs années dans une urne de métal, sur l'allégation que la translation d'une pareille momie intéresse la salubrité publique ! (Cela s'est vu pour le cœur de Grétry.)

2 Loi du 3 septembre 1791, tit. 3, art. 4. Loi du 16 août 1790, tit. 14, art. 13.

ne soit pas de sa compétence, chaque partie a le droit de décliner sa juridiction; le gouvernement le peut comme tous les autres plaideurs, par le ministère des gens du roi. Des tribunaux sont même tenus de se départir d'office, s'ils s'aperçoivent les premiers de leur propre incapacité. Les conflits viennent donc aujourd'hui se fondre dans l'exception d'incompétence 1. Si le moyen est fondé, le tribunal doit se départir; non, parce qu'il y a conflit, mais parce qu'il reconnaîtra son incompétence: dans le cas contraire, il doit passer outre au jugement, sans s'arrêter au déclinatoire; le tout, sauf à la partie lésée, partie privée ou partie publique, à se pourvoir par appel ou devant la cour de cassation.

Si cette cour, qui certes a autant de lumières que le conseil d'état, et qui, par son organisation légale et l'inamovibilité de ses membres, a plus d'indépendance et offre incomparablement plus de garantie, juge qu'il n'y a pas eu excès de pouvoir, la décision tiendra : si elle casse, on reproduira l'incompétence devant un nouveau tribunal.

Ces formes suffisent à l'intérêt du pouvoir en même temps qu'elles protégent le droit des citoyens. Elles n'offrent point le scandale qui accompagne toujours la brusque apparition d'un conflit. Une cour monte sur le siége; ses magistrats y paraissent revêtus des ornemens de leur magistrature; et tout à coup un préfet, se disant instruit par la notoriété publique, dicte à un commis un arrêté de conflit, et, sur la notification de cette espèce de firman, il faut quitter l'audience et suspendre le cours de la justice! Cette forme a pris naissance en l'an III 2, force en l'an vin; bientôt on en a fait le plus criant abus; on l'a employée même après des arrêts déjà rendus ! on a ainsi remplacé la chose jugée par la chose administrée ! Il est digne du gouvernement constitutionnel de supprimer par le fait une forme incompatible avec la dignité des tribunaux, et la confiance qu'ils inspirent; confiance assez attestée au surplus par les lamentations des plaideurs, chaque fois qu'ils se voient arrachés des autels de la justice.

L'ordonnance du 1er juin 1828 a fini par le reconnaitre.

a Loi de la convention nationale du 21 fructidor an 111, art. 27.

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