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moins indirectement, par divers moyens et à l'aide de leurs fictions.

Il y a plus: non seulement ils portaient atteinte aux lois de l'état, mais ils ne se faisaient pas scrupule de changer leur propre édit dans le courant de l'année; et ils se portaient à ces changemens avec d'autant plus de légèreté, qu'ils y trouvaient un moyen assuré de favoriser leurs amis et de vexer leurs ennemis : hoc faciebant plerumque in gratiam odiumque certorum hominum... Dio. Cas. lib. 36. Pour mettre un terme à cet abus, on fut obligé d'invoquer contre eux cet édit célèbre, qu'eux-mêmes avaient fait : QUOD QUISQUE JURIS IN ALTERUM STATUERIT, UT IPSE eodem jure UTATUR. L. 1. ff. h. t. Et cette barrière paraissant encore trop faible, on fit, l'an 585, un sénatus-consulte qui fut converti en loi l'année suivante, pour que les préteurs rendissent la justice pendant toute la durée de leur magistrature, conformément aux édits qu'ils auraient promulgués lors de leur entrée en charge : Ut prætores ex edictis suis perpetuis (id est per totum annum mansuris ) jus dicerent: ou, comme le dit Dion Cassius, lib. 56, ut statim prætores principio edicerent quo jure essent usuri, et deindè nequáquàm ab eo deflecterent.

Dès lors le droit prétorien, JUS HONORARIUM, devint plus fixe;

on n'y fit plus de changemens sans nécessité; et les édits des anciens préteurs, presque toujours conservés par leurs successeurs, compilés et commentés par les plus habiles jurisconsultes, formèrent à la longue un corps de décisions si respectable, que l'on pensait, du temps de Cicéron, que c'était dans l'édit du préteur, et non dans les XII Tables qu'on devait puiser la connaissance du droit : à Prætoris edicto, non à XII Tabulis, hauriendam esse juris disciplinam. DE LEGIB. lib. 1, cap. 5.

A cette époque, le droit romain écrit comprenait donc : PLEBISCITA, LEGIS ACTIONES, JUS CIVILE ex interpretatione prudentum et fori disputatione ortum, et EDICTA MAGISTRA

TUUM.

Une foule d'illustres jurisconsultes se formèrent à l'étude de ces lois, et ces lois à leur tour s'enrichirent des travaux des jurisconsultes : car la science du droit était alors soigneusement cultivée; et, pour en donner une

idée, avant d'arriver au siècle d'Auguste, nous tracerons en peu de mots par quelles études on se préparait à celle de la jurisprudence.

Depuis les guerres puniques, époque vers laquelle les lettres et les beaux-arts commencèrent à être honorés à Rome, les jeunes gens consacraient leurs premières années à l'étude du grec, ils suivaient les grammairiens, les rhéteurs, etc. Arrivés à l'âge où ils prenaient la robe virile, ils se préparaient aux combats de la tribune, où bientôt ils paraissaient à côté d'un personnage célèbre. Quelquefois aussi, ils commençaient par voyager à Athènes, Rhodes, Mytilène ou Marseille, pour s'y perfectionner, loin des plaisirs et de la corruption de Rome; ou bien ils prenaient le parti des armes, sans toutefois que les exercices militaires les empêchassent de s'adonner à la culture des lettres et des sciences. VELL. PAT. I, 13. SUET., in Cæsar. 56, in Aug. 84.

Quant à ceux qui se destinaient à l'étude de la jurisprudence, ils s'appliquaient d'abord à se pénétrer des principes de la philosophie; et, pour l'ordinaire, ils préféraient celle des Stoïciens. Ainsi préparés, ils s'attachaient à quelque savant jurisconsulte qu'ils prenaient pour modèle: sous sa direction, ils apprenaient à consulter et à plaider, en voyant comment il s'y prenait lui-même pour exercer sa profession; et lorsqu'au bout d'un certain temps, ils se croyaient assez forts pour voler de leurs propres ailes, cum studiorum habebant fiduciam, ils pouvaient exercer seuls; car il est bon de remarquer que, dans ces premiers temps, on n'avait pas besoin d'autorisation pour prendre le titre de jurisconsulte.

CHAPITRE IV.

Droit romain depuis Auguste jusqu'à Constantin.

La république romaine ne dégénéra en monarchie, ni sous la dictature de César, qui ne fut pas de longue durée, ni même aussitôt après sa mort. Cette révolution ne s'opéra que l'an 722, sous le 4e consulat d'Octave et de M. Licinius Crassus.

A cette époque, Brutus et Cassius avaient été défaits; la république était sans armées, le parti du jeune Pompée avait été détruit en Sicile; Lépide avait été mis de côté; Antoine avait péri, et le parti de César même n'avait pour chef qu'Octave. Celui-ci quitta le titre de triumvir, se portant désormais pour consul, et se contentant d'y joindre la puissance tribunitienne qu'il feignait de ne conserver que pour défendre les plébéiens. Mais, quand il eut gagné les soldats par des largesses, amolli Rome par l'abondance qu'il y fit régner, engourdi tous les ordres de l'état par la douceur du repos, on le vit s'élever peu à peu, attirer à lui les fonctions du sénat, la juridiction des magistrats, le pouvoir des lois, sans que personne s'y opposât : nullo adversante 1.

Ce nouvel ordre de choses, en introduisant de nouvelles mœurs, appelait d'autres statuts; car il s'en fallait bien que toutes les lois de l'ancien régime convinssent au nou

1 Postquam Bruto et Cassio cæsis, nulla jam publica arma, Pompeius apud Siciliam oppressus, exutoque Lepido, interfecto Antonio, ne Julianis quidem partibus, dux, nisi Cæsar, reliquus; hic, posito triumviri nomine, consulem se ferens, et ad tuendam plebem tribunitio jure contentum, ubi militem donis, populum annonă, cunctos dulcedine otii pellexit, insurgere paulatim, munia Senatús, magistratuum, legum, in se trahere cæpit, NULlo adversante. TAG. Annal. I. 2.

veau: il ne pouvait donc manquer d'arriver qu'Auguste, le plus politique de tous les princes, ne mît tous ses soins à plier le droit romain à la constitution actuelle, et ne songeât à donner aux Romains une législation vinculaire.

Il suivit en cela le projet de César, qui, au rapport de Suétone, voulut aussi donner une autre forme au droit civil, et réunir en un petit nombre de livres tout ce que l'immense détail des lois antérieures renfermait de meilleur et de plus nécessaire 1. Une mort prématurée l'avait empêché d'exécuter ce dessein; mais Auguste le reprit aussitôt que ses entreprises réitérées et la force des circonstances eurent insensiblement rendu nécessaire le gouvernement d'un seul : Quando per partes evenerat, ut necesse esset Reipublicæ per unum consuli. L. 2, § 11, ff. de orig. jur.

Toutefois, comme César s'était mal trouvé d'avoir affecté trop tôt le pouvoir suprême, et que sa mort sanglante n'instruisait que trop son successeur, combien il était difficile de conserver un empire qu'on avait envahi par la force des armes sur une cité libre, Auguste, plus adroit, se comporta avec tant de prudence, et usa du commandement avec tant de dextérité, que le peuple, toujours trompé par des chimères qui lui retraçaient l'image de son ancienne liberté, ne s'aperçut pas qu'il l'avait perdue 2.

En effet, pour mieux couvrir ses desseins, Auguste parut laisser au sénat la même autorité qu'auparavant; il ne changea rien aux titres des magistrats; il leur conserva leurs marques distinctives. Les consuls marchaient précédés des faisceaux, comme sous la république, et, plus d'une fois, Auguste se revêtit de ce titre imposant. On voyait toujours dans Rome les préteurs, les édiles, les tribuns du peuple, les questeurs; et le peuple croyait encore à la république! Cependant le prince avait su concentrer dans sa main les pouvoirs attachés aux charges les plus influentes, et si les noms étaient encore les mêmes, eadem

Jus civile ad certum modum redigere, atque ex immensa diffusaque legum copia, optima quæque ac necessaria in paucissimos conferre libros voluit. SUET. in Jul. c. 44.

Cum in aliis plerisque, tùm in hoc quoque, cum Romanis, tanquam eum hominibus liberis agebat. Dio. CASS. lib. 53.

magistratuum vocabula, l'ancien esprit national n'en était pas moins complétement détruit : nihil usquàm prisci atque integri moris supererat. TACIT. Annal. lib. 1, cap. 3 et 4.

La masse des citoyens s'aperçut d'autant moins du renversement de la république, que, dans les premiers temps, Auguste eut l'attention de ne rien ordonner par lui-même, et de consulter le peuple lorsqu'il s'agissait de faire des lois Veritus, ne si subitò homines in alium deducere statum cuperet, res ea sibi parùm esset successura. Dio. Cass. lib. 53.

La politique conseillait ces ménagemens à Auguste : mais le sénat prit soin de le débarrasser de ses entraves; et marchant à grands pas vers cette prompte servitude qui devait bientôt fatiguer Tibère, le prince n'eut point de peine à plier sous le joug un peuple qu'il acheva d'assujettir, en le corrompant par des distributions de vivres et d'argent, et par les jeux du Cirque,

.... Panem et circenses.

Cet fut alors que, déployant toute son ambition, il donna aux Romains ces lois qui leur assuraient paix et servitude: Jura quibus pace et principe uterentur. Ce fut alors que le peuple lui transféra toute sa puissance; ei et in eum omne suum imperium potestatemque contulit, etc. L. 2 § 11, ff. de orig. juris; et que le sénat, toujours alerte à prévenir les moindres désirs de César, le délia des lois, et le mit au-dessus d'elles, avec le pouvoir discrétionnaire de faire ce qu'il voudrait, tout ce qu'il voudrait, et rien que ce qu'il voudrait. In ejus acta juravit eumque solvit legibus, et decrevit, ut summo cùm jure, omninoque et sui et legum potens, quæ vellet faceret, et eorum quæ nollet faceret nihil. (Dio. CASS., lib. 63.)

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Voilà ce que les auteurs du Digeste appellent LEGEM

1 Opposez à cette bassesse ce beau passage de d'Aguesseau, tome I, page 7. Les plus nobles images de la divinité, les rois que l'écriture appelle les dieux de la terre, ne sont jamais plus grands que lorsqu'ils << soumeltent toute leur grandeur à la justice, et qu'ils joignent au titre a de maitres du monde, celui d'esclaves de la loi. » (Adde mes PRINCIPIA JURIS, not. 2, ad n. 37, et not. 3, ad n. 1328.)

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