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lateur doit parler en maître, et non disputer en rhéteur, non disceptatione debetuti,sed jure1; et nous convenons avec Sénèque, qu'une loi peut marcher sans préambule : Nihil videri frigidiùs, nihil ineptiùs quàm legem cum prologo. (Epist. 94.)

Aussi avons-nous déjà remarqué ailleurs 2 que la plupart des législateurs ne donnent pas la raison de leurs lois, ou qu'il leur arrive souvent d'en donner une fausse3, s'ils ont intérêt à déguiser la véritable.

Mais il n'en est pas des arrêts comme des lois.

La loi parle, il suffit; ce sont là nos oracles.

Les magistrats, au contraire, doivent compte de leurs décisions au souverain et aux parties: il ne suffit pas de prononcer par un

Si volo, sic jubeo; stet pro ratione voluntas;

il faut que, pour éloigner d'eux tout soupçon d'arbitraire, l'équité de leurs arrêts soit enseignée par la sagesse de leurs motifs.

Si, avec le temps, les parlemens étaient parvenus à s'affranchir de l'obligation de motiver leurs arrêts, on n'avait pas cessé de désirer qu'ils y fussent derechef assujettis.

Dans le seizième siècle, RAOUL SPIFAME (dans un ouvrage qui ne se distingue pas seulement par son originalité, mais qui se recommande quelquefois par d'excellentes vues) a supposé qu'en 1556 Henri II avait rendu, sur le mode de rédaction des arrêts, une décision ainsi conçue : « Le Roy... ordonne que désormais tous juges royaux et subalternes, souverains et inférieurs, exprimeront aux dictons de leurs sentences et jugemens, la cause expresse et spéciale d'iceux pour en faire une loi générale et donner forme au jugement des procès fondés sur mesmes raisons et différends, comme portant l'interprétation de ses statuts et ordonnances; à cette fin ordonne que tous dictons, sentences et arrests seront imprimés avec les qualités des

3

LEX WISIGOтн. lib. 1, cap. 2.

Réflexion sur l'Enseignement du Droit, no 28.

Voyez à ce sujet le passage de Guy-Coquille.

parties, à ce que chacun en puisse recouvrer pour son ayde, conseil et adresse.» (Dicæarchiæ Henrici Regis Progymnasmatum, page 93.)

Cette décision, quoique apocryphe justesse, et a fini par être adoptée.

I

a frappé par sa

L'assemblée constituante a rendu, le 16 août 1790, une loi portant (tit. 5, art. 15) que « dorénavant la rédaction des jugemens, tant sur l'appel qu'en première instance, contiendra quatre parties distinctes :

« Dans la première, les noms et qualités des parties seront énoncés.

« Dans la seconde, les questions de fait et de droit qui constituent le procès seront posées avec précision.

« Dans la troisième, le résultat des faits reconnus ou constatés par l'instruction et les MOTIFS qui auront déterminé le jugement, seront exprimés.

«La quatrième enfin contiendra le dispositif du juge

ment. »

Depuis que cette loi existe, il est donc devenu plus facile qu'autrefois de donner de bons recueils d'arrêts.

Les compilateurs n'en sont plus réduits à chercher péniblement, à deviner même quelles ont pu être les raisons de décider; ils les trouvent écrites dans les arrêts.

Ils ne peuvent errer sur les faits; car ils se trouvent également consignés dans l'arrêt, et méritent d'autant plus de confiance, que l'obligation où est la partie qui lève un arrêt d'en signifier les qualités à son adversaire, est une garantie qu'il ne s'y sera rien glissé d'inexact.

En un mot, un arrêtiste moderne trouve dans l'arrêt même dont il rend compte, tous les élémens nécessaires pour faire un article qui donne une idée parfaitement juste des circonstances du fait, des moyens de droit, et des motifs de décision.

SPIFAME", avocat au parlement de Paris poussa l'originalité si loin, que sa famille le fit interdire pour cause de démence. Mais il n'était rien moins que fou. Témoin le livre rare et curieux auquel il donna pour titre Dicæarchia Henrici regis christianissimi progymnasmata. Ce volume (de format in-8°) contient 309 arrêts de sa composition, qu'il suppose

* Voyez le trait que rapporte Loisel, sur son compte, dans son Dialogue des Avocals, Opuscules, p. 524.

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La promulgation des nouveaux codes est une autre cause qui doit contribuer, de nos jours, à fixer la jurisprudence des arrêts. Autrefois elle variait suivant les lieux, les jurisdictions, les coutumes et les usages; il en résultait une bigarrure telle qu'on ne savait plus à quels signes reconnaître les bons arrêts. Mais aujourd'hui, à l'exception des questions transitoires, qui portent encore l'empreinte d'une législation imparfaite, tous les arrêts se rendent d'après des lois uniformes, par des tribunaux animés du même esprit color est è pluribus unus ; et s'il arrive encore quelquefois qu'ils diffèrent entre eux (parce que tous les hommes, quelque instruits qu'ils soient, ne sont pas toujours du même avis), on conçoit néanmoins qu'il est plus aisé de les concilier entre eux qu'à une époque où la France était régie par une foule de coutumes qui n'opéraient chacune que dans son territoire; par des ordonnances, des déclarations, des édits observés dans les parlemens où ils avaient été enregistrés; méconnus là où cet enregistrement n'avait pas eu lieu...

Cette unité de loi, en un mot, désirée dans tous les âges de la monarchie, conçue par tout ce que nous avons eu de grands rois, préparée par nos plus illustres magistrats, consommée par nos plus doctes jurisconsultes, est le plus grand bienfait que la France pût recevoir.

L'uniformité de jurisprudence est garantie d'ailleurs par l'institution de cette cour régulatrice qui, prenant pour devise la loi, a pour mission de ramener à ce point, comme à un centre unique, tous les arrêts qui tenteraient de s'en écarter.

Il en résulte que la jurisprudence n'est point, comme autrefois, vacillante, incertaine, contradictoire, diversifiée, suivant le caprice des cours et la différence des climats; ou du moins, que, s'il existe une variété d'opinions sur

avoir été rendus par Henri II, en 1556. Il y en a qui ne sont remarquables que par leur étrange bizarrerie ; mais il s'en trouve aussi de très sensés qui depuis ont été convertis en loi. Tels sont ceux relatifs au commencement de l'année au premier de janvier, à l'abolition des justices seigueuriales dans les grandes villes, aux embellissemens de Paris, au projet d'augmenter la bibliothèque du roi, en lui donnant un exemplaire de tous les livres qui s'impriment; à l'obligation imposée aux juges de moliver leurs arrêts, etc.

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quelques points entre les arrêts de plusieurs cours, cette divergence est de nature à cesser bientôt par un recours qui amène une décision de la cour suprême.

Nous disons suprême, supremus est enim quem nemo sequitur (aut superat); L. 92, ff. de verb. signif. Or, il n'existe aucune autorité qui, dans l'ordre de la hiérarchie judiciaire, soit placée au-dessus de la cour de cassation 1. Toutes les autres cours doivent déférer à sa puissance, non pas en ce sens que les arrêts de cette cour soient comme des lois auxquelles les autres doivent absolument se soumettre, car elles conservent à cet égard une parfaite indépendance; mais en ce sens, que si un arrêt de cour royale est jugé contraire à la loi, il est cassé et réduit ad non esse; en ce sens encore, que si, après une première cassation, et sur le renvoi ordonné devant une autre cour, il intervient sur le fond un second arrêt qui soit attaqué par les mêmes moyens que le premier, la question doil être portée devant toutes les sections réunies de la cour de cassation, qui, sous la présidence du garde-des-sceaux, peut, ou casser une deuxième fois, ou demander l'interprétation de la loi. Cette interprétation est de droit si le troisième arrêt est attaqué 2.

La jurisprudence de la cour de cassation est consignée dans un bulletin officiel 3 où se trouvent tout à la fois et une courte notice du fait, et le texte même de l'arrêt. Chaque article de ce bulletin est rédigé par le conseiller qui a rapporté l'affaire : ainsi nulle compilation ne peut obtenir plus de confiance, et ne la mérite mieux en effet.

« La cour de cassation, la première de nos cours dans l'ordre hiérarchique des tribunaux. » (Ord. royale du 15 février 1815.)

* Suivant la loi du 30 juillet 1828, après une seconde cassation, le jugement du fond est renvoyé à une cour royale. Ainsi, de fait, la cour de cassation n'a plus le dernier mot. Les cours royales l'ont promptement senti; et chacune, depuis ce temps, défère moins à la cour de cassation. Les seconds recours sont plus fréquens ; et la bigarrure dans la jurisprudence, qu'on a voulu éviter par l'institution de la cour de cassation, ne tardera pas à s'introduire de nouveau, si l'on ne revient à la loi primitive dé cette institution.

3 C'était encore une des bonnes idées mises en avant par Spitame; dans le recueil déjà cité, il avait supposé que Henri II avait rendu l'ordonnance

suivante :

« Le roy... ordonne que tous ses présideas en ses courts de parle

SECTION VI.

Ancienneté et multiplicité des compilations d'arrêts.

Cette pratique de recueillir les décisions judiciaires est bien ancienne.

Craterus, favori d'Alexandre-le-Grand, était auteur d'un ouvrage dont les savans regrettent vivement la perte; c'était un recueil des décrets d'Athènes, dans lequel se trouvaient les décisions de l'Aréopage et du conseil des Amphictyons.

Les jurisconsultes romains citent souvent dans leurs ouvrages les jugemens des préteurs et les ordonnances des autres magistrats.

que

En France, les premiers ouvrages de droit n'ont été des Styles de pratique et des Recueils d'arrêts; et c'est avec ces matériaux, d'abord informes, puis dégrossis, que nos meilleurs auteurs ont posé les bases de notre droit français.

Ce genre d'ouvrage s'est ensuite multiplié d'une manière effrayante, chacun se piquant de recueillir les arrêts de son parlement, tantôt par ordre de date, tantôt par ordre alphabétique, ou enfin suivant un ordre de matières.

Fournel n'a pas manqué d'en faire la remarque dans son Histoire des avocats. Au livre V, portant pour ru

ment, qui feront solennelle prononciation des arrêts d'icelles, seront tenus de faire ung abrégé des loix et décisions juridiques que porteront lesdicts arrests, pour s'en ayder en semblables cas, sauf à les faire gloser et augmenter par les anciens avocats d'icelle court; et huict jours après ladicte prononciation faite, sera ledict abrégé délivré à l'imprimeur ordinaire de ladicte court, pour l'imprimer et exposer en vente, à ce que chacun de ses subjects le puisse facilement recouvrer pour l'estudier et mettre en mémoire, le alléguer et s'en ayder en temps et lieu, comme loy universelle de ce royaulme, terres et pays de l'obéissance du roy. Et ordonne ledict seigneur roy que les juges inférieurs seront tenus de se conformer àiceulx arrests et donner leur jugement selon iceulx, pourveu qu'ils porteront par exprès la cause de leurs jugemens. » SALVIAT * été dupe de cette supposition, et il cite de bonne foi, comme existante, << une déclaration de 1556, qui enjoint aux présidens des courts supérieures de faire un abrégé des décisions des arrests, de les faire imprimer

et mettre en vente. »

* Et quelques autres encore que le président Bouhier cite dans ses Observations sur la Coutume de Bourgogne, chap. 4, t. 1, p. 218.

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