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sesseur une chose dont il était devenu légitime propriétaire après le laps de temps prescrit : ce qui prouve que quand on nous ordonne de suivre l'équité, ce n'est pas toujours celle que nous inspire la nature et qui pourrait quelquefois nous abuser, mais avant tout, celle qui est dirigée par les lois. In his quæ scripto palàm comprehensa sunt, etiamsi prædura videantur, judex à scripto recedere non potest. In his autem, quæ palàm scripto comprehensa non sunt, judex spectare debet æquitatem ;... ÆQUITAS ENIM NIHIL ALIUD EST, QUAM JUS QUOD LEX SCRIPTA prætermisit. (Cujacius, in tit. 1, lib. 2, de Feudis.)

I

C'est donc une espèce de prévarication de la part des juges que de s'écarter de la résolution de la loi, parce qu'elle n'est pas conforme aux idées qu'ils se sont faites de l'équité et c'est, par conséquent, une des choses contre lesquelles ils doivent être le plus en garde, d'autant mieux qu'il n'y a rien à quoi ils se laissent plus volontiers aller, et par où les avocats cherchent davantage à les éblouir; c'est une règle de leur rhétorique. Plerumquè in fine causarum, de æquitate tractabitur, quia nihil libentius judices audiunt. (QUINTIL. Instit. Orat. lib. 7, cap. 1, sub fine.)

Et où en serait-on, s'il était permis aux magistrats de préférer, en jugeant, ce qu'ils s'imaginent être le plus équitable, à ce qui est ordonné par le législateur?

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que

« Folle est la sagesse qui veut se montrer plus sage que la loi, » disait d'Argentré, qui, apostrophant ensuite les juges de ce caractère, les gourmandait en ces termes : Pourquoi jugez-vous la loi, vous qui n'êtes institués pour juger suivant elle? Vous imaginant être plus sages que les lois, vous leur insultez, et vous raidissez vos prétendues consciences contre le droit public. Ou cessez de siéger, ou jugez selon les lois. Stulta videtur sapientia quæ lege vult sapientior videri.—Cur de lege judicas, qui sedes ut secundùm legem judices ?-Plus sibi sapere visi, insultant legibus, et sibi conscientias, architectantur contra publicas leges. Aut igitur sedere desinant, aut secundum leges judicent 2. »

Il faut dire avec le chancelier D'Aguesseau : Dura lex, sed lex. Ajoutons pour quelques-uns, que saint Augustin (de Verá Religione. cap. 31) a dit aussi, que non licet judicibus de legibus judicare, sed secundùm ipsas.

(Argentræus, in antiq. Consuet, Brit., § 323, glos. 1, n. 5, et in nov. Consuet., art. 627. Voyez aussi ses annotations sur l'art. 685, et principalement sur l'art. 14 du titre des appropriances.

D'Argentré n'est pas le seul qui se soit élevé contre cette manie de préférer, à la règle toujours fixe de la loi, les prestiges si souvent trompeurs de l'équité. Il n'y a rien de plus dangereux, rien de plus pernicieux (suivant le P. FAVRE), que de voir des juges se moquer ouvertement des lois, sous le vain prétexte d'une équité qu'ils se créent arbitrairement, et traiter de vaines subtilités les décisions des Papinien et des autres pères de la jurisprudence.

DUMOULIN, Si souvent opposé à d'Argentré, était ici du même sentiment, et se plaignait comme lui de la liberté qu'on prenait de pervertir le droit à force d'équité: Prætextu apparentis cujusdam, sed imperfectæ, et velut truncatæ æquitatis. (MOLINOUS, in antiq. Consuet. Paris. § 41, n. 86 et 87, et passim.)

<< Tout sera donc incertain, arbitraire, dit un autre; et surquoi donc les avocats fonderont-ils leurs consultations? Sur quel fondement pourra se conduire celui qui voudra entreprendre un procès? Il est aisé de voir en quelle absurdité l'on tomberait, etc. » (BOUGUIER, Préf. de ses Arrêts 2.)

Ces inconvéniens qui ne sont que trop vrais, rappellent deux traits d'histoire assez singuliers sur le fait de cette prétendue équité. L'un est de Caligula, qui ne put imaginer de plus grande menace contre les jurisconsultes de son temps, qu'en disant qu'il les forcerait à ne plus donner d'avis que selon l'équité, ce qui était la même chose que dire qu'il abolirait les lois. De juris quoque consultis, quasi scientiæ eorum omnem usum aboliturus, sæpè jactavit, se, meherclè, effecturum, ne quid respondere possint præter æquum. (SUETONE, in Calig. cap. 34.)- L'autre trait est celui des peuples de Savoie, qui, après avoir été conquis par François ler, lui demandèrent par grâce de n'être point

Quam ideò non malè CEREBRINAM quidam vocarunt. (Jurisprud. Papin. tit. 1, Princ. 2, illat. 2.)

Adde Guill. RANCHIN, Variar. lect., lib. 2, cap. 3, LAROCHEFLAVIN, des Parlemens, chap. 9, chap. 19, no 1.

jugés d'équité; requête qui parut d'abord assez étrange, mais que dans la suite on trouva fort sensée quand on y eut fait réflexion, et qui peut-être donna lieu à cet ancien proverbe que CHARONDAS (Responses, liv. 4, chap. 77) nous assure avoir été autrefois en usage au Palais : Dieu nous garde de l'équité du Parlement!

<< Mais à mon avis, dit le président BOUHIER (loco citato), ce ne serait pas seulement aux peuples à faire cette demande : elle ne serait pas moins raisonnable dans la bouche des magistrats eux-mêmes, pour peu qu'ils eussent de zèle pour la justice: car, comment un juge qui aura la raison pour lui, pourra-t-il le persuader à un autre qui se sera entêté de quelque apparence d'équité? Qui est-ce qui ne croit pas avoir autant de bon sens que son compagnon? Qui est-ce aussi qui n'hésite pas quelquefois sur ce qui paraît juste ou injuste ? Il est donc à propos, pour les juges pleins de probité, d'avoir des lois qui fixent leur incertitude, et qui lèvent en quelque manière le partage entre les avis différens. » — Car si la meilleure loi est celle qui laisse le moins à l'arbitraire du juge, le meilleur juge aussi est à coup sûr celui qui s'en permet le moins: Optima Lex est quæ minimum relinquit arbitrio judicis; optimus judex qui minimum sibi. (BACON, Aphor. 8 et 46.)

Le danger, au surplus, est bien moins grand aujourd'hui qu'autrefois. On ne peut plus appréhender, avec BOUGUIER, que tout devienne d'autant plus incertain, que les conseillers des cours souveraines ne sont sujets au jugement et à la correction de personne. La cour de cassation, qui ne juge jamais par équité, mais toujours et uniquement d'après la loi, ne manquerait pas de casser tout arrêt qui, dans une opposition apparente entre l'équité naturelle et la loi civile, aurait négligé celle-ci pour n'écouter que celle-là.

SECTION XIV.

Règles à observer dans la citation des arrêts.

L'écrivain qui rapporte un arrêt est toujours moins embarrassé que l'avocat qui le cite. L'un écrit sans contradiction, l'autre est sûr d'avance d'en éprouver.

Cependant la vérité est une ; elle n'admet pas à la fois le pour et le contre; et dans la nécessité où l'on est de s'arrêter à une opinion, il est des règles qui séparent la certitude de la simple probabilité.

Un mauvais raisonnement prend toujours sa source dans la mésintelligence des idées : on pose comme principe ce qui n'est souvent qu'une erreur; ou d'un principe vrai on tire une conséquence inexacte, forcée; on regarde comme semblable ce qui est différent ; on confond ce qu'il faudrait distinguer, ou bien l'on distingue ce qu'il ne faudrait pas séparer; il est des nuances qui échappent, des rapports qu'on saisit mal, des disparates dont on n'est point frappé. C'est surtout ce qui arrive lorsqu'au lieu de raisonner d'après les principes, on argumente sur des exemples particuliers. Aveuglé par une prévention intéressée, celui qui analyse un arrêt y voit toujours son espèce quand il lui est favorable, et n'y trouve plus aucune analogie avec sa cause quand il lui est contraire.

Tachons donc d'établir quelques règles sur la citation des arrêts, et sur les remarques qu'on y doit faire, soit pour les alléguer avec succès, soit pour les combattre avec avantage.

1 Première règle : Il ne faut citer les arrêts qu'à défaut de loi précise.

S'il existe une loi, à quoi peuvent servir des arrêts? Ou ils sont conformes à ses dispositions, et leur allégation devient superflue; ou ils en diffèrent en quelque chose, et la loi doit l'emporter sur les exemples contraires. Non exemplis sed legibus judicandum '.

Il en serait autrement si la loi était obscure ou équivoque; alors on conçoit que des arrêts qui en auraient aplani les difficultés, expliqué les termes, développé l'esprit, seraient d'un secours proportionné à la solidité de leurs motifs. C'est en ce sens qu'un professeur moderne, assez entiché d'ailleurs de ses opinions individuelles, avoue

Il peut cependant arriver que les arrêts abrogent les lois, sinon de droit, au moins de fait, et avec une force d'autorité qui finit par constituer un véritable droit. Voyez BOUHIER, dans ses Observations sur la coutume de Bourgogne, chap. XIII, nos 48 et suiv.

cependant qu'il est FORT SATISFAIT quand, après avoir établi un principe ou donné une solution, il peut l'appuyer du suffrage de quelque cour, et surtout de la cour de cas

sation.

DEUXIÈME RÈGLF. S'il n'existe pas de loi qui décide nettement la question, on peut recourir aux arrêts; mais avant de les citer, il faut les avoir vus tous.

Si l'on néglige d'observer cette règle, il arrivera souvent que celui qui citera un arrêt à l'audience, verra son adversaire lui en opposer d'autres qui paraîtront contraires, et auxquels il ne pourra pas répliquer faute de les avoir vus d'avance, et de s'être préparé à répondre sur toutes les circonstances propres à démontrer qu'ils ont jugé des espèces différentes, ou consacré d'autres principes que ceux dont il est maintenant question. Quare, si adfertur arresti alicujus auctoritas, facilè eliditur, si contrarium arrestum opponatur, nisi fortè per posteriùs derogatum sit specialiter priori, atque eo viso et expenso, maturá, deliberatione contrà sit judicatum. Hinc fit, ut AD jus cœrtum

EX ARRESTIS CONSTITUENDUM OMNIA ARRESTA NOTA HABERE OPOR

TEAT; quod quis præstare potest, maximè cùm eá in re fidem alienam sequi necesse sit. Atque indè fit, ut in magnos errores sæpè incidamus, quùm unius aut alterius arrest auctoritate exterriti, contra arrestorum contrariorum, qua nobis nota non erant, auctoritatem, aut judicamus, aut consilium damus; et sic in fraudem quamvis sine fraude clientem impellimus. HÉRAULT, de rer. judic. auct. Lib. 11, c. 24, § 5, in Thes. Otton. t. 2, p. 1274.

TROISIÈME RÉGLE. Il ne suffit pas de voir tous les arrêts dans un seul arrétiste, il faut conférer les arrétistes entre

eux.

L'on peut avoir omis une circonstance essentielle qu'un autre n'aura pas négligée 1; celui-ci aura donné plus d'étendue aux faits, celui-là plus de développement aux moyens; en les voyant tous, on profite de ce qu'il y a de

« Outre qu'il n'est pas nouveau de voir les mêmes arrêts rapportés par différens auteurs, chacun selon son génie, n'y ayant rien de plus commun et de plus fréquent dans nos livres. » (Soësve.)

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