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cour a reconnu elle-même la nécessité d'abandonner sa jurisprudence pour s'en faire une meilleure : car «le temps ameine souvent nouvelles raisons, ou bien descouvre la vraye intelligence des doubtes, et lors est nécessaire juger autrement, et au contraire de ce qui a été jugé. » (Papon, ibidem.)

Souvent, en pareille occurrence, une cour a ordonné qu'elle verrait les arrêts, c'est-à-dire les registres, pour s'assurer qu'en jugeant elle ne se mettrait pas en opposition avec sa propre jurisprudence. (Voy. BRILLON, verbo caution, no 300; et communauté, no 8.)

Quelquefois, en citant un arrêt, on relève avec empressement qu'il a été rendu sur la plaidoirie même de l'avocat à qui on l'oppose, et qui par là se trouve dans une position difficile. Il doit alors se servir de la connaissance plus particulière qu'il a des circonstances de cet arrêt, pour en fixer le vrai sens et en détourner l'application. C'est ainsi que s'en tira CoCHIN, dans la cause du duc de WirtembergMontbelliard (tome 5 de ses œuvres, p. 493, à l'endroit indiqué en marge par ce singulier sommaire: Façon de se servir d'un arrêt rendu contre son propre sentiment.)

CONCLUSION.

De tout ce que nous venons de dire sur les arrêts, on peut conclure que l'étude des arrêtistes est non seulement utile, mais nécessaire à l'avocat; qu'il doit cependant se défier de tout ce qui ne peut être appuyé que par leur autorité; que la jurisprudence constante des arrêts a force de loi; mais qu'elle ne se forme que par une longue suite d'arrêts, qui, dans tous les temps, ont décidé un point de droit de la même manière, malgré la diversité des circonstances qu'il est très avantageux de pouvoir s'appuyer sur des arrêts rendus en pareil cas; mais qu'ils ne forment que des préjugés, et non des moyens ; que les préjugés confirment toujours les principes, les expliquent quelquefois, et ne les détruisent jamais, en sorte que, quand on est fondé à réclamer les vraies maximes, il n'est ni téméraire ni indécent de remettre en question ce qui paraît avoir été le plus formellement décidé entre d'autres parties.

SECTION ADDITIONNELLE.

De la publicité et de l'impression des arrêts.

Les arrêts sont-ils des actes publics ou secrets? Est-il permis ou défendu à l'imprimerie de s'en emparer? - Ces questions jusqu'ici n'avaient point paru douteuses, et je n'aurais pas songé à les traiter, si elles n'eussent été récemment agitées devant les tribunaux.

A la suite du volume intitulé : Procès fait aux chansons de Béranger, l'éditeur avait fait imprimer sous le titre de pièces justificatives, les réquisitoires du ministère public, l'ordonnance de la chambre du conseil, et L'ARRÊT de la chambre d'accusation qui avait renvoyé l'affaire devant la cour d'assises.

On crut voir dans la publication de cet arrêt (qui, en conformité de l'article 15 de la loi du 26 mai 1819, contenait les couplets incriminés,) une réimpression de l'écrit condamné, une sorte de récidive, qui, dès-lors, suivant l'article 27 de la même loi, eût entraîné le maximum de la peine, sans rémission ni modération.

Je défendais Béranger, en disant qu'il avait publié textuellement et dans son entier l'arrêt de la cour, sans y changer un seul mot ; et que la publication, toujours permise, d'un arrêt de cour souveraine, ne pouvait pas être assimilée à la réimpression prohibée d'un écrit condamné, encore bien que cet arrêt contînt des passages condamnés en effet.

Mon intention n'est pas de reproduire ici tout ce que j'ai dit à l'audience' pour la défense de Béranger; mais je veux seulement indiquer quelques-uns des principaux motifs que j'ai allégués, en point de droit, pour justifier cette publication.

En thèse générale, la publicité des actes de l'autorité, loin de présenter aucun danger, n'offre que des avantages. L'autorité est instituée pour éclairer les citoyens, pour les diriger, les instruire, et leur enseigner ce qu'il leur est permis de faire ou défendu de pratiquer.

Le 15 mars 1822.

De tels actes ne peuvent donc être trop répandus parmi les citoyens.

Ainsi, en prenant pour exemple les actes les plus solennels, les lois; il est si peu défendu de les publier, qu'il est de règle, au contraire, qu'elles n'obligent qu'autant qu'elles ont été promulguées; et, comme après cette promulgation, personne n'est recevable à prétendre qu'il les a ignorées, il est clair que le législateur n'a dû interdire aucun moyen de les faire connaître et de les divulguer.

doit

Cette publicité qui est de l'essence des lois, des ordonnances et des arrêtés de l'administration publique, exister également pour les arrêts des cours souveraines; et il est aisé de le démontrer par les principes comme par les faits.

C'est une maxime qui nous est venue de l'ancien palais, que tout arrêt lu à l'audience appartient au public.

Aussi voyons-nous que, de toute ancienneté, les écrivains ont été en possession de publier, d'imprimer et de commenter les arrêts.

Nous avons montré (ci-devant, pages 474 à 476) à quel point les collections d'arrêts étaient multipliées sous l'ancien régime, et nous ne voyons pas que jamais ce genre de publication ait été entravé.

Objectera-t-on que les collections que nous avons citées ne renferment le plus souvent que des arrêts en matière civile ? - Mais quelle serait donc la raison de différence?

On peut voir de l'inconvénient à publier les secrets d'une famille, à l'occasion d'un procès en nullité de mariage, en séparation de corps, en désaveu de paternité; ou dans une cause fondée sur des faits de dol et de fraude; de captation et de suggestion : et toutefois cet inconvénient n'a jamais paru assez grave pour contrebalancer l'avantage de faire connaître des décisions qui fournissent des précédens aux jurisconsultes, dans les causes semblables, et méritent, par leur sagesse, de suppléer au silence ou à l'obscurité des lois. Mais ce résultat est-il donc comparable à celui qu'on obtient par la publicité des arrêts en matière criminelle, soit sous le rapport des garanties sociales, soit à cause de l'exemple?

Il est aisé d'ailleurs de prouver, en point de fait, que

l'on a toujours librement usé du droit de publier les procès criminels, aussi bien que les espèces des arrêts en matière civile.

Sans rappeler ici le procès de Calas, qui a exercé tant de plumes généreuses, celui des trois roués, dans lequel un magistrat courageux s'est acquis une gloire immortelle par son infatigable ardeur à demander justice de la justice même; qui ne connaît le recueil général des Causes célèbres? qui ne sait également qu'une foule de procès criminels ont été imprimés et publiés séparément, avec toutes les procédures et les arrêts intervenus à la suite!

De ce nombre est le procès du régicide Damiens, qui fut imprimé in-4o, sans qu'on ait redouté que l'atrocité des faits l'emportât dans l'opinion publique sur la rigueur de la peine.

En 1731, on a imprimé en deux volumes in-folio le procès de la Cadière et du père Girard 1. On y trouve les scènes les plus lubriques racontées avec une incroyable naïveté ; toute la fantasmagorie dont le bon père s'était entouré pour frapper l'imagination de sa pénitente; les stations qu'il lui a fait faire en plusieurs couvens; les interrogatoires, les dépositions des témoins, etc., etc.; enfin, l'arrêt du parlement du 10 octobre 1731, qui, malgré les faits reconnus constans, se borne à renvoyer le père Girard devant le juge ecclésiastique, et toutefois, pour l'honneur des jésuites, condamne la pauvre fille aux dépens, et ordonne qu'elle sera remise à sa mère pour en avoir soin.

Ces mêmes jésuites ayant, à la fin, mérité d'être chassés par arrêt du parlement de Paris, cet arrêt, en date du 6 août 1762, fut publié sous toutes les formes; la spéculation s'en empara, et il fut réimprimé en placard dans un cartouche, dont les vignettes offrent la réunion de quatorze figures, qui représentent les principaux vices reprochés à ces messieurs; tels que l'arrogance, la trahison, la fourberie, la perfidie, l'ambition, la calomnie, l'homi

'Recueil général des pièces concernant le procès entre la demoiselle Cadière, de la ville de Toulon, et le père Girard, jésuite, recteur du séminaire royal de ladite ville. 2 vol. in-folio, 1731. Quelques exemplaires sont avec gravures. Il y a à la bibliothèque des avocats un très bel exemplaire de ce procès, qui a appartenu à la bibliothèque des Carmes.

cide, l'hypocrisie, le larcin, avec guirlande de serpens entrelacés, etc., etc. On lit au bas que le prix est de 16 sous.

Certes, le droit général d'ixprimer, de publier et de mettre en vente les arrêts des cours, est bien établi par des exemples aussi saillans; mais comme on opposerait peutêtre que ces exemples sont en matière criminelle ordinaire, et non en matière de délits de la presse, il me reste à montrer que la même publicité avait également lieu pour les arrêts rendus contre les livres écrits ou réputés dange

reux.

Les réquisitoires des avocats généraux contre les ouvrages qu'ils déféraient à la cour, contenaient toujours le texte des passages qui leur paraissaient devoir en entrainer la suppression.

J'ai cité à l'audience les deux exemples suivans :

Il parut, en 1776, une brochure intitulée, des inconvéniens des droits féodaux; on y remarquait entre autres cette assertion: que le roi peut affranchir les serfs, même sans le consentement des seigneurs, dans leurs fiefs; et que, s'il en usait ainsi, la liberté adorerait son auteur, et l'indépendance serait l'hommage perpétuel et le premier titre de la vassalité. L'aristocratie n'avait garde de laisser impunie une telle insolence! Réquisitoire dans lequel ce passage est textuellement rapporté : et, le 23 février 1776, ARRÊT du parlement qui condamne l'écrit à à être lacéré et brûlé au pied du grand escalier (car alors on condamnait les écrits à la peine capitale). Cet arrêt a été imprimé, lu, publié et affiché, avec le réquisitoire, el dans le réquisitoire le passage qui avait motivé la condam

nation.

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Quelques années après, parut l'Histoire philosophique de Raynal. L'ouvrage était plus important, la matière plus étendue, les propositions plus hardies. On y disait notamment que la philosophie commençait à éclairer le monde... L'auteur avait ajouté : L'imposture parle dans tous les temples et la flatterie dans toutes les cours. Tout écri

-

'Ce qu'il n'était pas permis impunément, en 1776, de signaler comme un inconvénient, fut supprimé, en 1789, comme une usurpation, un abus....

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