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Nos lois subséquentes ont conservé le principe que l'instruction devait être faite à charge et à décharge. Or, comment se fait-elle à charge? En déployant de la part des juges d'instruction, ou des procureurs généraux, toute l'activité de leur caractère, pour rassembler les indices du crime et les preuves de culpabilité. Comment pourraitelle se faire à décharge? En déployant de la part du prévenu une activité semblable, sinon par lui-même, puisqu'il est et doit être tenu, au moins par son conseil. Mais, s'il est au secret, si on lui interdit de prendre un avocat et de conférer avec lui avant que l'instruction ne soit parvenue à son terme; si, avant la même époque, et en supposant qu'il lui ait été permis de communiquer avec un conseil, il n'est pas permis à ce conseil de prendre communication des charges, comment empêchera-t-il la prévention de se former? Comment donnera-t-il au juge les indications nécessaires pour opérer à décharge aussi bien qu'à charge? La partie civile est bien reçue à prendre cette communication, elle s'associe à la poursuite, le ministère public l'admet comme auxiliaire; pourquoi cette faveur accordée à la plainte serait-elle refusée aux gémissemens du prisonnier? Pourquoi la défense ne serait-elle pas ici mise à portée de se faire entendre à côté de l'accusation?

Est-elle donc abrogée, cette loi de 1789 suivant laquelle << tout citoyen décrété de prise de corps, pour quelque crime que ce soit, aura le droit de se choisir un ou plusieurs conseils avec lesquels il pourra conférer librement en tout état de cause, et l'entrée de la prison sera toujours permise auxdits conseils ? » (Décret du 9 octobre, art. 10.)

Mais, diront les hommes de l'accusation, si on laisse ainsi pénétrer les conseils près de l'accusé, ils lui indiqueront les moyens de se justifier; si on leur permet de présenter des défenses ab ovo, ils étourdiront le juge de la prétendue innocence de leurs cliens, et, à les entendre, il n'y en aura pas un qui puisse être mis en accusation? Cela ressemble merveilleusement au mot de ce capitaine suisse qui, chargé après une bataille de faire enterrer les morts, faisait jeter tous les corps, pêle-mêle, dans une large fosse; et sur l'observation que plusieurs donnaient

encore signe de vie, répondit : « Bah! si on voulait les croire, il n'y en aurait pas un de mort. »

L'humanité commande plus de ménagemens à ceux qui enterrent et à ceux qui accusent.

D'ailleurs, la loi précitée a pourva au danger des suggestions, en disant que le conseil de l'accusé « aura le droit d'être présent à tous les actes de l'instruction, sans y parler au nom de l'accusé, ni lui suggérer ce qu'il doit dire ou répondre. » (Décret du 9 octobre 1789, art. 18.)

Une preuve enfin que la loi actuelle ne prescrit pas aux juges de garder ce mystérieux secret de l'instruction; la preuve qu'elle ne leur défend pas d'instruire à découvert, c'est qu'il y a des exemples, et même très récens, de conseils admis à assister leur client dans l'instruction.

Je puis citer, pour mon compte, l'affaire suscitée au duc de Vicence, en 1820, pour attaque contre la personne et l'autorité constitutionnelle du roi, prétendue commise par lui en publiant un fragment de ses instructions diplomatiques au congrès de Châtillon. Choisi pour son conseil, il me fut permis d'assister à son interrogatoire ; je n'ai eu occasion d'y relever aucune irrégularité; mais enfin, j'ai pu me convaincre par mes yeux, dans l'intérêt de mon client, que tout s'était passé dans les formes.

Il est vrai qu'on a jugé par suite qu'il n'y avait pas lieu à accusation; mais ce résultat est loin de prouver contre l'exemple et contre l'opinion que j'émets ici.

On objectera peut-être qu'il arrive une époque où copie des pièces doit être signifiée à l'accusé.

Mais cela ne résout pas la difficulté, puisque cette copie n'est jamais délivrée qu'après que l'instruction est totalement terminée, et, pour ainsi dire, à la veille de l'audience.

D'ailleurs, l'art. 305 porte « qu'il ne sera délivré gratuitement aux accusés, en quelque nombre qu'ils puissent étre, et dans tous les cas, qu'une seule copie des procèsverbaux constatant le délit et les déclarations écrites des témoins 1. »

Ainsi, y eût-il cinquante accusés, il faut que les cin

D'après l'art. 320 du code des délits et des peines, de brumaire an IV, copie devait être délivrée gratis à chaque accusé. Voyez encore la loi du 29 frim. an x.

quante avocats chargés de les défendre se morfondent sur la même copie.....

A la vérité, l'art. 305 leur permet de prendre ou faire prendre à leurs frais copie de telles pièces qu'ils jugeront utiles à leur défense; mais l'embarras reste le même, si, comme il arrive le plus souvent, l'accusé n'a pas de quoi

fournir à ces frais..... '.

Voilà pour les pièces. Quant à la personne même de l'accusé, s'il est impossible d'obtenir la permission de communiquer avec lui aussitôt après son arrestation ; au moins, lorsque le moment de communiquer sera enfin venu, que cette communication soit complètement libre; je veux dire sans témoins. Comment, en effet, un accusé qui n'a pas été jusqu'au crime, mais qui a pu avoir quelque tort, qui a fait quelque fausse démarche, pourra-t-il en faire l'aveu à son conseil en présence de gendarmes ou autres gens de police, qui, l'oreille tendue et les yeux ouverts, iront répéter des demi-mots, des expressions surprises ou mal entendues, et interpréteront même les gestes et les inflexions de voix de l'accusé? Je ne ferais pas cette remarque, s'il n'y avait des exemples d'avocats réduits à ne pouvoir communiquer avec les accusés, qu'entre deux guichets, à voix haute, et en présence de la gendarmerie 2.

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A Rome, le libelle de l'accusation devait être rédigé et communiqué à limine litis. — L'accusateur jurait ensuite qu'il était déterminé par la vérité et par l'amour du bien public; non par intérêt, nou par envie de fatiguer ou de perdre l'accusé par des mensonges. Son libelle devait être rédigé avec détail et précision. Voyez les lois 3 et 17, ff. de accusationibus.- A tant de rigueur dans la forme de l'accusation, se joignait la crainte de succomber, car l'accusateur se soumettait à la peine du talion, comme l'atteste cette formule conservée par le président Brisson: Si te injustè interpellavero, et victus exindè apparuero, eŭdem pœnâ quam in te vindicare pulsavi, me constringo partibus tuis esse damnandum atque subiturum. (De formul. et solemn. popul. rom. verhis, lib. v, p. 523; 1583, in-fol.)

Chez nous, par suite de la jurisprudence des Poyet et des Pussort, rajeunie sous le régime impérial, à peine si, en certains cas, un accusé peut, même après son acquittement, obliger le ministère public à lui uommer son dénonciateur. (Art. 358 du code d'instruction criminelle.) On peut voir ce que dit Ayrault, pages 308 et 311, du Danger des interrogatoires sur accusations non communiquées.

Une lettre insérée dans le Constitutionnel du 5 août 1822, contient les détails suivans:

« L'ouverture des assises à Poitiers, pour le jugement du général B***,

SV.-De la libre défense à l'audience.

Le caractère du juge est de se montrer doux et patient. Il tient la balance entre l'accusateur et l'accusé; entre le crime et la peine.

Il ne doit ni s'irriter contre ceux qu'il croit coupables, ni s'attendrir sur le sort de ceux dont les plaintes attaquent . sa sensibilité 1; son devoir est de demeurer impassible et de rechercher imperturbablement la vérité.

Lorsqu'à cette question, qu'avez-vous fait de votre frère ? Caïn répond: Je ne sais : suis-je le gardien de mon frère? Dieu n'entre point en courroux; il ne se montre point offensé de cette réponse insultante; il n'appelle point son tonnerre; il continue ses questions: Le seigneur repartit : Caïn, qu'avez-vous fait ?

Or, si Dieu a montré cette patience et cette douceur envers sa créature, quelle longanimité n'a-t-on pas droit d'attendre d'un mortel qui juge son semblable! avec quelle indulgence ne doit-il pas écouter jusqu'aux moindres circonstances de la justification!

Je n'entends pas seulement parler ici de l'obligation où est le juge d'interroger l'accusé avec austérité, mais sans rudesse; avec droiture, et sans trop de subtilité; sans mettre non plus son amour-propre 2 à embarrasser par

est toujours fixée au 26 août. — Le ministère public a fait assigner cent soixante-onze témoins à charge. La plupart des accusés n'ayant pu jusqu'à ce jour obtenir des avocats de leur choix, qu'ils voulaient prendre en partie dans le barreau de Paris, il leur en a été nommé d'office. Ceux-ci ne peuvent entrer dans la prison que sur un permis du procureur général, lequel permis doit être visé par le commandant de la place, et ensuite par le général commandant le département. Ce permis n'est bon que pour une fois. Il doit donc être renouvelé toutes les fois que les avocats ont à communiquer avec leurs cliens, et ces formalités prennent du temps. Les défenseurs ne peuvent voir les accusés qu'entre deux guichets, et en présence des guichetiers. Les grilles des guichets sont si distantes Pune de l'autre, qu'il faut parler très haut pour se faire entendre. On a réclamé à ce sujet auprès du procureur-général, qui a renvoyé cette réclamation au préfet; on attend sa réponse... »

In cognoscendo, neque excandescere adversùs eos quos malos putat, neque precibus calamitosorum inlacrymari oportet. Loi 19, ff. de officio præsidis.

• Tel était Tibère, avec lequel sæpè confitendum erat, ne frustrà quæsivisset. TACIT. III, annal. 69.

des questions captieuses un malheureux qui, d'ordinaire, a plus besoin d'être rassuré que circonvenu. Je ne parle pas seulement du devoir qui lui est imposé de faire aux témoins toutes les questions à charge et à décharge, et toutes les interpellations jugées nécessaires par l'accusé et ses conseils.

Mais j'ai principalement en vue cette défense qui ne commence proprement que là où l'instruction finit, et qui consiste dans la réfutation suivie des chefs d'accusation, et la discussion raisonnée de toutes les charges produites contre l'accusé.

C'EST TYRANNIE 2,

DENIER CETTE DÉFENSE SERAIT UN GRIME 1. LA DONNER, Mais non pas libre, c' Le décemvir Appius ne refusa pas précisément d'entendre Virginius; mais à chaque instant il coupait le fil de son discours par de brusques interpellations; tandis que, d'autre part, il écoutait son affidé Claudius avec une complaisance marquée 3.

Polyperchon se comporta avec la même indécence visà-vis de Phocion, accusé par Agonidès. Pour montrer son iniquité, Plutarque dit : « Mais les parties n'étoient point également ouyes, pour ce que Polyperchon rabrouoit souvent Phocion, et lui rompait à tous coups son propos, ainsi comme il cuidoit (voulait) déduire ces justifications; jusques à frapper par colère d'un baston qu'il tenoit à la main contre terre; et à la fin, fut si cruel, qu'il lui commanda tout résolument de se taire 4. »

Tacite 5 reproche à Tibère d'avoir montré une sembla

'Ammien Marcellin appelle cela nefas ultimum.

Ayrault, de l'Ordre, formalité et instruction judiciaire, liv. ¡er, n° 8. Cet auteur était lieutenant criminel au siége présidial d'Angers, sous les règnes de Charles IX et Henri III.

3 Tite-Live.

4 Plutarque, traduction d'Amyot, tome vi, page 309, édition de Clavier, 1801.

5 Nec dubium habebatur, sævitiæ captarumque pecuniarum teneri reum sed multa adgerebantur etiam insontibus periculosa, quùm super tot senatores adversos, facundissimis totius Asia eòque ad accusandum delectis responderet solus, et orandi nescius, proprio in metu, qui exercitam quoque eloquentiam debilitat non temperante Tiberio, quin premeret voce, vultu; eò quod ipse creberrimè interrogabat : neque refellere, aut eludere dabatur. TACIT. III, annal. 67.

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