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continua de régir les pays conquis; car telle était l'humanité de ces conquérans nommés barbares, qu'ils laissaient aux vaincus le choix de la loi sous laquelle ils voulaient vivre.

Suivant ces principes d'une politique tolérante, les Bourguignons permirent aux Romains qui vivaient dans leur royaume de suivre la loi romaine, Il faut juger les Romains suivant les lois romaines, dit Gondebaud dans le préambule de la loi des Bourguignons. Inter Romanos verò, sicuti à parentibus nostris statutum est, ROMANIS LEGIBUS præcipimus judicari. Voyez Lindenbrog., p. 267; et voilà pourquoi Papien, à l'exemple d'Anien, composa un livre de réponses, Liber responsorum tiré du code de Théodose, des Novelles du même empereur et de ses successeurs, et des livres de plusieurs jurisconsultes, pour servir de règle aux citoyens qui préféraient le régime de la loi romaine à celui de loi gombette.

Les Francs eux-mêmes, quoiqu'ils eussent des lois et des coutumes nationales, accordèrent pareillement aux vaincus la faculté d'opter pour le droit qui leur paraîtrait préférable. C'est ainsi que Clotaire ordonna que les contestations entre Romains seraient jugées suivant les lois romaines causas inter Romanos controversas romanis terminari legibus. Baluz., tom. 1, Capit. p. 7.

Les choses restèrent sur ce pied jusqu'au temps de Charlemagne, qui, en 804, sentant le besoin de pourvoir de lois les nations auxquelles il avait préalablement donné un maître ordonna de rédiger par écrit les coutumes de tous les peuples de sa domination ».

De là sont venues les lois des Allemands, des Bavarois, des Lombards, etc., que Eccard, Lindenbroge, Dom Bouquet et autres ont compilées avec tant d'érudition.

La loi Salique et la loi des Ripuaires. ÉGIN. in vita Carol. Mag., cap. 29. BALUZ,, t. I, p. 989.

2

Éginard, dans la vie de Charlemagne, chap. 20, nous atteste ce fait : Eum nimirùm, omnium nationum, quæ sub ejus dominatu erant, jura, quæ scripta non erant, describi ac litteris mandari fecisse; et c'est ce qui a fait dire à un ancien poète :

Cunctorum sui regni leges populorum
Collegit, plures indè libros faciens.

Quoique, dans ces premiers temps, on paraisse s'être servi en Orient du code et des Novelles plutôt que des Pandectes, il ne faut cependant pas croire que les Pandectes eussent absolument cessé d'exister. L'opinion la plus accréditée à cet égard est qu'on en découvrit un exemplaire dans la ville d'Amalphi, qui fut prise en 1137 par Lothaire II. Cet empereur en fit don à ceux de Pise quî l'avaient aidé de leur flotte dans son expédition. Des Pisans, cet exemplaire passa aux Florentius; et Irnerius, qui enseignait alors à Bologne, ayant eu besoin d'y recourir, en prit occasion de l'expliquer dans ses leçons. Lothaire lui-même en introduisit l'usage dans les écoles et dans les tribunaux. Voyez, sur cette histoire, Sigonius, de Reg. Ital., lib. 7; HENRI BRENKMAN, de Amalphi à Pisanis direpta, § 24; p. 65; et le CARDINAL D'OSTIE, in cap. 1, pr. X de test., n. 2.

Depuis cette époque, le droit romain fut effectivement enseigné dans toutes les universités de l'Europe, et cousu de notes et de scolies, par une foule de docteurs, dont Accurse réunit ensuite toutes les gloses dans une seule.

La glose d'Accurse a joui d'une très grande célébrité ; son crédit a même été jusqu'à surpasser celui du texte, comme nous l'attestent plusieurs auteurs et notamment Fulgose, qui, dans une note sur la loi 6, C. de oblig. et act., n'hésite pas à dire qu'il préfère la glose au texte, volo enim pro me potiùs glossatorem quam textum ; mais aujourd'hui elle est tombée dans un discrédit total.

Les jurisconsultes de cette école ne se bornèrent pas à commenter le texte du corps de droit, ils imaginèrent de lui donner une autre division, et créèrent cette distinction, que les modernes n'ont point adoptée : digestum vetus, infortiatum, et novum.

De plus, ils abrégèrent les Novelles, et les reportèrent, par forme d'apostilles, en marge des lois que ces Novelles avaient pour but de changer ou de modifier. Ils finirent

C'est ce qu'on appelle les Pandectes Florentines. On les regarde généralement comme les plus exactes que nous ayons. Cujacius persuaserat sibi Florentinas Pandectas esse OMNIUM INTEGERRIMAS; proindèque eas CASTIORA DIGESTA appellavit in comment, ad § ult., l. 3, ff. de acq. vel amilt. poss. lib. 54, Pauli ad edictum.

même par insérer ces extraits dans le code, sous le titre d'Authentiques, quoiqu'il soit certain qu'en plusieurs endroits ils ne reproduisent pas fidèlement le sens du texte. L'invasion des barbares avait amené le système des fiefs, el ce système, en se compliquant, avait introduit une foule de coutumes nouvelles, que trois sénateurs de Milan rédigèrent par écrit et ajoutèrent au corps de droit sous le titre de Consuetudines feudorum.

Tels furent les travaux des jurisconsultes de cette première école, qui fleurit dans le 12° et le 13° siècle.

Dans le 14, vécurent Bartole, Balde, Tartagne, Salicet, Paul de Castres, Jason, etc., qui ne se bornèrent plus à faire des notes détachées sur le corps de droit, mais qui le commentèrent avec plus de suite et d'étendue. Et pourtant, quoique les écrits de ces jurisconsultes offrent des rapprochemens admirables et des décisions d'une grande justesse, on ne peut s'empêcher d'avouer qu'on y trouve aussi beaucoup d'inepties, de sottises et de puérilités. Mais il en faut accuser un siècle où les hommes studieux étaient destitués, pour le fond et pour le langage, des secours que les bonnes études et une connaissance plus exacte de l'histoire, de la philosophie et de la critique, ne devaient offrir qu'aux âges suivans.

Ce n'est guère, en effet, que dans le 16e siècle que la jurisprudence sortit du chaos, et jouit d'une splendeur qu'elle dut à Cujas 1, aux frères Pithou, à P. Faber, Fr. Hotoman, et à tant d'autres savans que fournit la France, et particulièrement l'illustre école de Bourges 2.

Mais si ce siècle eut ses avantages, il eut aussi ses inconvéniens. Le goût des lettres, en perfectionnant l'esprit des commentateurs, leur donna en même temps plus de

Cujas est, sans contredit, le premier des interprètes du droit: il introduisit une nouvelle manière de traiter et de commenter le droit romain. La jurisprudence romaine devint elegantior; et Nettelbladt nous apprend que cette jurisprudence mieux, cultivée, plus polie, fut nommée Jurisprudentia Cujaciana.

On sait à quel point la science du droit fut cultivée dans cette ville, qui d'ailleurs a donné le jour à tant d'hommes célèbres, On y révère singulièrement la mémoire de Cujas; chacun y montre encore aux étrangers la maison qu'il habitait, et son portrait est conservé dans l'une des salles du palais de Jacques Cœur, Mais il est à regretter qu'il soit dans un jour

subtilité, au point que, si l'on en excepte un petit nombre, on verra que tous les auteurs qui ont travaillé sur le droit romain n'ont employé leur temps et leurs soins qu'à poursuivre des chimères, à se créer des monstres pour avoir le plaisir de les combattre, et à rechercher des antinomies souvent imaginaires, uniquement pour se montrer fins et subtils, et pour faire dire d'eux, qu'ils avaient enfin trouvé ce que nul autre auparavant n'avait soupçonné. Commentis veritatem obruunt, dit Duaren, quò aliquid paulò argutius nec ab aliis antè excogitatum in medium adduxisse videantur 1.

Ce mauvais goût a eu son terme, et la manière des jurisconsultes est devenue plus polie. En 1583, Denis Godefroy donna une édition du corps de droit qui fit époque parmi les jurisconsultes, et dont le texte fut adopté pour leçon commune dans les universités et au barreau. Il y joignit des notes qui sont un chef-d'œuvre de science, de critique, de précision et d'élégance, et qui l'ont fait nommer, par d'Aguesseau, le plus docte et le plus profond de tous les interprètes des lois civiles.

Pothier, après lui, travailla sur un nouveau plan. Au lieu de commenter servilement le texte des lois romaines, il les rangea dans un nouvel ordre, leur assigna des divisions plus naturelles, et prouva qu'une méthode où tout est exactement lié, est le meilleur moyen d'éclaircir ce qui est obscur ou confus:

Tantùm series juncturaque pollet!

Heineccius poussa plus loin la hardiesse : fort de sa doctrine et maître de sa matière, il ramena chaque partie du droit à ses premiers élémens; et, procédant à la manière des géomètres, il réduisit la jurisprudence à sa plus simple expression, et forma de ses axiomes une chaîne dont tous les anneaux se lient avec une exactitude qui en fait la principale force.

tellement défavorable, qu'on y distingue à peine les traits de ce grand homme; et c'est avec un vrai sentiment de piété que nous exprimons le désir de voir transférer cette précieuse image dans la salle de la cour d'appel. Ses magistrats, en seraient les dignes dépositaires.

1

Voyez ci-dessus nos Réflexions sur l'enseignement et l'étude du droit, pages 17 et 18.

CHAPITRE VIII.

Du droit romain dans le 19me siècle.

Tel était l'état de la jurisprudence romaine à la fin du 18e siècle.

Bientôt une révolution terrible éclata. Son premier effort se porta sur les lois. Les anciennes institutions furent détruites; les écoles de droit furent fermées; les avocats supprimés; les lois romaines réduites au silence, ainsi que nos vieilles lois françaises, et le tout remplacé par une foule de lois qui se succédaient sans suite, et se multipliaient sans raison. Corruptissima republicá, plurimæ leges. TACIT., Annal. III, 27.

Mais un siècle plus heureux commence :

Magnus ab integro sectorum nascitur ordo.

L'ordre succède au chaos, un gouvernement ferme sort du sein de l'anarchie, des fondemens solides s'élèvent du milieu des ruines; tout renaît, et la France, devenue maîtresse de l'Europe par la force de ses armes, affermit son empire par la sagesse de ses lois. Les écoles de droit sont rouvertes, et la foule des élèves s'y précipite. On y enseigne le code Napoléon; mais un de ses rédacteurs avait fait pressentir qu'on ne saurait jamais ce code, si l'on n'étudiait que lui seul; et l'on arrête que les lois romaines feront partie de l'enseignement. « Lois aussi étendues que << durables (peut-on dire avec le chancelier d'Aguesseau), << toutes les nations les interrogent encore à présent, et <«< chacune en reçoit des réponses d'une éternelle vérité. « C'est peu pour les jurisconsultes romains d'avoir interprété la loi des XII tables et l'édit du préteur; ils sont « les plus sûrs interprètes de nos lois mêmes; ils prêtent,

«

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