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Je vous répéterai ce que disait Ayrault au duc d'Anjou, dont il était maître des requêtes : « Faites-vous lire les li« vres des royaumes et monarchies, car vous y trouverez « des choses que personne ne vous oserait dire. » - J'ajoute seulement que je l'oserais bien, et, à votre éloge, que vous le prendriez en bonne part.

Sous un gouvernement constitutionnel, c'est-à-dire, un gouvernement fondé sur l'ordre légal; comme prince, comme pair, comme citoyen, vous ne pouvez, monseigneur, rester étranger aux notions qui constituent, je ne dis pas un légiste (vous ne devez pas descendre jusque-là), mais un homme instruit de la constitution de son pays, et des premiers principes du droit et des lois.

Le précis historique que j'ai obtenu l'honneur de faire paraître sous vos auspices a cet avantage, qu'en peu de temps et sans vous distraire de vos autres études, il peut suffire à vous donner une idée sommaire, mais exacte, des principaux changemens survenus dans notre législation, depuis le commencement de la monarchie, jusqu'à la célèbre époque de 1789.

C'est l'histoire ancienne de notre droit. L'histoire moderne ne mérite pas moins d'être méditée ; et je m'estimerai heureux si cette première partie fait naître en vous le désir d'entrer plus avant dans ce genre d'étude, trop négligé dans le haut rang où vous êtes placé.

J'ai l'honneur d'être avec respect, monseigneur,

de votre altesse royale,

Le très dévoué serviteur, DUPIN.

1

Paris, le 1er février 1826.

PRÉFACE

DE L'ÉDITION DE 1826.

Je poursuis, autant que les affaires me le permettent, le dessein que j'ai formé depuis long-temps de relever l'étude du droit, de la faire sortir de l'état de dépression où l'on s'efforce de la tenir, et de la présenter aux disciples de Thémis, non comme une science de chicane et de subtilité, circonscrite à la discussion d'intérêts obscurs et purement privés; mais, ainsi que l'entendaient les jurisconsultes romains, comme une science vaste et sublime qui comprend dans l'immensité de son étendue la connaissance des lois divines et humaines, et le discernement de tout ce qui est juste et injuste, selon les préceptes de la morale, et d'après les règles positives que les législateurs de nos sociétés leur ont données pour sanction.

Si je ne publie que de petits volumes, qu'on ne croie pas que c'est aux dépens des matières que je traite. Je n'ai pas eu le temps d'être court, écrivait un homme d'esprit à l'un de ses amis, en s'excusant de la longueur de sa lettre. En effet, il faut plus de temps pour resserrer beaucoup de choses en peu de mots, que pour noyer des idées superficielles dans un déluge de paroles. Non multa, sed multùm ; telle est la devise que j'ai adoptée pour la com

position de ces petits livres, que je m'efforce de rendre aussi pleins qu'il m'est possible.

Ce genre de composition est au goût du public actuel, à en juger par le succès de mes précédens opuscules, dont quelques-uns sont déjà parvenus à leur septième édition; par exemple, mon Précis historique du droit

romain.

Aujourd'hui, je publie un Précis historique de notre droit français.

Mais, cette fois, je me suis donné un associé : je ne suis que le continuateur d'un historien célèbre, derrière lequel j'ai jugé plus utile de me ranger. Ce n'est pas qu'il m'eût été difficile d'écrire moi-même tout cet abrégé; les matériaux que j'ai réunis sur l'histoire générale de notre droit sont immenses, et j'aurais eu bientôt fait un choix. Mais quelle différence si j'eusse parlé moi-même de l'origine et des abus de la féodalité, des empiétemens de la juridiction ecclésiastique, de la barbarie de nos anciennes lois ! Dans un siècle rempli des préventions de l'esprit de parti, où toutes les discussions sont empoisonnées par les calculs de l'intérêt personnel, de l'ambition et de la mauvaise foi, on eût taxé l'historien moderne de parler un langage révolutionnaire, en appréciant avec aussi peu de respect les institutions du bon vieux temps!

Au lieu de cela, c'est un abbé qui va parler. Et quel abbé! Fleury, le sage Fleury, le savant auteur de l'histoire ecclésiastique, dont le nom, depuis trois demi-siècles, fait autorité chez tous les peuples de la chrétienté!

L'avantage de donner à ce précis une tournure plus appropriée aux idées du moment, est-il comparable au bonheur de trouver les abus et les excès de l'ancien ordre de choses condamnés par un homme aussi désintéressé ?

Cette esquisse historique de notre droit a été imprimée

plusieurs fois en tête de l'Institution au droit français, par Argou, ouvrage élémentaire en 2 vol. in-12, fort répandu en 1789, mais devenu inutile depuis les changemens introduits dans la législation, et surtout depuis la publication des nouveaux codes.

L'histoire de Fleury se trouvait donc exilée des bibliothèques modernes, avec l'ouvrage, désormais inutile, auquel elle était attachée. J'ai voulu la sauver de cet oubli.

Je me suis efforcé de corriger toutes les fautes dont les précédentes éditions étaient remplies. J'y ai ajouté quelques notes, mais bien courtes et en petit nombre ; et j'y ai introduit des divisions par paragraphes pour soulager l'œil et reposer l'attention du lecteur.

On lira, j'en suis sûr, cette histoire avec un vif intérêt : sa brièveté même sera un attrait de plus : in historiá illustri, nihil est brevitate dulcius.

Malheureusement, cette histoire finit au règne de Louis XIV : et l'on s'en aperçoit; car l'auteur, ferme jusque-là, subit l'influence qui agit sur presque tous les historiens quand ils arrivent au temps où ils vivent.

J'ai entrepris de continuer.

J'aurais voulu amener cette histoire jusqu'à l'ère nouvelle, qui date pour nous de l'établissement du gouvernement représentatif et constitutionnel. Mais je n'ai pas encore eu le temps d'achever: et je m'arrêterai cette fois en 1789. Là, d'ailleurs, se termine ce qu'on doit appeler l'histoire ancienne de notre droit. Celle des temps postérieurs a un caractère distinct, une physionomie à part; c'est une autre histoire enfin.

Plus tard, j'espère achever l'œuvre et la conduire à son

terme 1.

1 C'est ce que j'ai pu faire seulement cette année (1834).

Mon dessein est aussi, si Dieu m'en laisse le temps, de publier successivement une suite de dissertations qui correspondront aux divers paragraphes du précis historique que je publie en ce moment, et d'y donner des développemens critiques que j'appuierai des meilleures autorités. On pourrait faire ainsi l'Histoire de France par les lois ;

et à ce sujet voici mon idée.

La vérible histoire n'a pu être écrite jusqu'ici. L'ancien régime laissait trop peu de liberté. L'écrivain était dominé de toutes parts. Qu'attendre, par exemple, de la franchise d'auteurs censurés, et de l'indépendance d'historiographes érigés en titre d'office?

D'ailleurs, nos historiens ont presque toujours manqué d'une qualité essentielle. On s'est persuadé en général que l'histoire ne pouvait être écrite que par des hommes de lettres; et tout écrivain qui avait d'ailleurs quelques connaissances géographiques et de chronologie, a cru pouvoir raconter des événemens, des combats, des révolutions.

Cela pouvait suffire aux époques où l'absence de toute liberté civile et religieuse interdisait l'examen des institutions et des lois. Mais aujourd'hui, on peut dire qu'une histoire manque essentiellement son but, quand elle est muette ou superficielle sur des discussions où l'esprit de nos contemporains aime surtout à s'arrêter.

Or, pour bien rendre compte des institutions et de la législation d'un peuple, suffit-il donc d'être littérateur, et n'est-il pas nécessaire d'être publiciste et jurisconsulte? Ici je revendique les droits de notre profession. A chaque pas, l'historien rencontre de véritables questions de droit. Elles ne peuvent pas se traiter par énonciation, comme le font la plupart des historiens, qui se servent même le plus souvent de termes impropres quand ils viennent à parler de ces sortes de matières; mais elles exigent

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