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pour eux un certain respect, et, contens de leur commander, ils les laissèrent vivre suivant leurs anciennes lois. Ils apprenaient le grec, plutôt que de les obliger à parler latin : ils imitaient leurs manières, et, hors ce qui regardait le commandement ou la police générale de l'empire, les Grecs changèrent plus les Romains, que les Romains ne changèrent les Grecs. Au contraire, ils méprisaient les barbares, sur lesquels ils avaient l'un et l'autre avantage de la politesse et de la force; et ils croyaient ne leur pouvoir faire un plus grand bien, que de les faire vivre à la romaine. Les barbares, de leur côté, admiraient les Romains, et s'efforçaient d'imiter leur manière de vivre, plus commode et plus magnifique que la leur ; et cette différence de mœurs partageait tout l'empire. La Grèce et l'Orient, c'est-à-dire, tout ce qui avait été sous la domination des successeurs d'Alexandre, parlait grec, et gardait les mœurs des Grecs: tout le reste parlait latin, et suivait les mœurs et les lois romaines. Cette seconde partie comprenait à peu près ce qui composa depuis l'empire d'Occident; c'est-à-dire, l'Afrique, la Mauritanie, l'Espagne, la Gaule, une partie des Iles-Britanniques, quelque peu de la Germanie, la Rhétie, la Pannonie et l'Illyrie. Tout ceci est clair à ceux qui savent l'histoire : les autres auront peut-être quelque peine à croire qu'on parlât la même langue à Cologne, à York, à Lyon, à Cordoue et à Carthage; que l'on y fût gouverné par les mêmes sortes de magistrats, et que l'on Ꭹ vécût sous les mêmes lois.

Il y a des preuves particulières à la Gaule, pour montrer qu'elle devint à la fin toute romaine. Le séjour des empereurs, principalement dans le quatrième siècle, les écrits des auteurs gaulois, comme Ausone, Salvien Sidonius, les noms des Gaulois, entre autres des évêques jusque vers le huitième siècle, les noms de tant de bourgs et de villages qui marquent encore les Romains qui en ont été les maîtres comme Lagny, de Latiniacus ager, ou fundus ; Percy, Patriciacus; Savigny, Sabiniacus, ou, selon une autre prononciation, Savignac, et ainsi des autres. Enfin la langue que nous parlons tient plus du latin sans comparaison que d'aucune autre langue, malgré le mélange des peuples du Nord, qui ont possédé la Gaule depuis les Romains.

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Mais, pour me renfermer dans mon sujet, on ne peut douter que le droit romain ne s'observât dans les Gaules, si l'on fait réflexion que l'un des quatre préfets du prétoire y faisait sa résidence, et que ce magistrat était celui qui rendait la justice souverainement à la place de l'empereur, au-dessus de tous les gouverneurs des provinces; et si l'on observe les inscriptions de plusieurs lois du code de Justinien, qui témoignent qu'elles ont été faites pour la Gaule ou pour les Gaulois . Ajoutez à tout cela que les Romains ont possédé la Gaule paisiblement pendant cinq siècles entiers. César acheva sa conquête environ cinquante ans avant la naissance de Jésus-Christ, et Mérovée, le premier des Français qui fut puissant dans les Gaules, ne s'y établit qu'après l'an 458 de l'Incarnation. Cinq cents ans suffisent pour apporter de grands changemens dans un pays ; et ce qui s'y est pratiqué pendant un si long temps ne s'abolit pas aisément. Tenons donc pour certain que quand les Francs assujétirent les Gaulois, ils les trouvèrent tous Romains, parlant latin, et vivant suivant les lois romaines.

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Mais ce droit romain n'était pas celui de l'empereur Justinien, qui ne fut fait que pour le pays où il commandait, et environ cent ans après l'entrée des Francs dans les Gaules. Le droit romain qui était alors en usage, était contenu dans les constitutions des empereurs, et dans les livres des jurisconsultes. Il y avait trois codes, où les constitutions étaient recueillies : le Grégorien, l'Hermogénien, et le Théodosien; ce dernier venait d'être publié par l'empereur Théodose-le-Jeune l'an 435, et confirmait les deux précédens. On y ajouta dans la suite les Novelles du même Théodose et des empereurs suivans. Les livres des jurisconsultes étaient ceux qui sont autorisés par le code Théodosien 2; savoir, ceux de Papinien, de Paul, de Gaïus, d'Ulpien, de Modestin, et des autres, dont ils

1L. 5. Cod. de adult. 1. 9. Cod. de Munic. 1. 18, etc.
L. 1. Cod. de Theodos, de Resp. Prud. v. glos. Auiani.

allèguent les autorités, qui sont Sévola, Sabin, Julien et Marcel. Cette restriction fait voir que les livres des autres jurisconsultes, dont nous voyons des fragmens dans le Digeste, n'étaient alors d'aucune autorité, ou n'étaient pas connus en Occident. J'estime aussi que les textes de l'édit perpétuel, des lois, des plébiscites, des sénatus-consultes, et surtout de la loi des douze Tables, étaient très rares dès-lors, ou tout-à-fait perdus; puisque Justinien, voulant ensuite faire un corps parfait de tout le droit, ne l'a composé que des constitutions des empereurs et des traités des jurisconsultes. La même chose se prouve par la conférence des lois mosaïques avec les romaines, que l'on croit être aussi du temps de Théodose-le-Jeune, puisqu'elle ne contient que des passages des jurisconsultes et des constitutions tirées des trois codes, et même très peu de celui de Théodose, qui peut-être n'était core publié.

pas enLa plus considérable partie de ce droit était donc le code Théodosien ce fut le livre qui se conserva le plus long-temps après la ruine de l'empire d'Occident; et plusieurs croyaient que c'était ce qu'ils appelaient simplement la loi romaine. En effet, Grégoire de Tours, parlant d'un certain Andarchius, qui était au service de Sigebert, fils de Clotaire Ier, dit qu'il était très savant dans le livre de la loi Théodosienne.

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Les Francs et les autres barbares conquérans apportèrent un nouveau droit dans les Gaules; mais comme ils n'avaient aucun usage des lettres en leur langue, leurs lois n'ont été écrites qu'en latin par les Romains, après leur établissement et leur conversion à la religion chrétienne. Dans les premiers temps de leurs incursions, ils n'avaient que des coutumes, qu'ils observaient dans les jugemens, comme ils les avaient reçues de leurs pères, et leur manière de vivre ne leur donnant pas grande matière de procès, ne leur permettait pas aussi d'y observer beaucoup de formalités. Tous ces peuples venaient de Germanie; et Tacite nous apprend dans un traité fait exprès,

quelles étaient les mœurs des Germains. La guerre et la chasse faisaient leur occupation : ils n'avaient ni habitations fixes, ni d'autres biens que des bestiaux; ainsi leurs différends ordinaires n'étaient que pour des querelles ou pour des larcins, et on les décidait dans des assemblées publiques, ou sur les dépositions des témoins produits. sur-le-champ, ou par le duel, ou par les épreuves de l'eau et du feu. Les Romains, quoique soumis à ces barbares par la force des armes, ne les imitaient en rien, et en avaient horreur au commencement: c'était, comme à notre égard, des Cosaques et des Tartares. D'ailleurs les barbares ne faisaient pas leurs conquêtes pour acquérir de la gloire, mais pour butiner, et pour subsister plus commodément que chez eux se contentant d'être les maîtres, ils laissaient vivre les Romains comme auparavant. Au contraire, ils imitaient les mœurs romaines, que leurs pères admiraient depuis long-temps. Ainsi nos premiers rois gardèrent les noms des officiers romains, et appelèrent comme eux les gouverneurs de leurs provinces, ducs, comtes, vicaires; et ceux qui servaient auprès de leurs personnes, chanceliers, référendaires, cubiculaires, domestiques, et en général palatins. Eux-mêmes tenaient à honneur les dignités de consuls, et de patrices, et les noms de glorieux et d'illustres, qui n'étaient chez les Romains que des titres dont on honorait certains magistrats; encore n'étaient-ce pas les plus magnifiques. Leur monnaie consistait en mêmes espèces que la romaine, c'est-à-dire, des sous d'or et des deniers d'argent, et les

rois

y étaient représentés à peu près comme les empereurs. Enfin l'esprit et la politesse des peuples vaincus les rendaient maîtres de leurs vainqueurs en tout ce qui demandait quelque connaissance des lettres et des arts.

Cette dépendance augmenta par la conversion des barbares à la foi chrétienne. Ils révérèrent comme des personnes sacrées les évêques et les prêtres, qu'ils admiraient déjà comme des savans; et les Romains commencèrent à ne les plus trouver si barbares, et à leur obéir plus volontiers. C'étaient néanmoins encore deux peuples différens de langue, d'habits, de coutumes; et leur distinction sem, ble avoir duré en France pendant les deux premières races

de nos rois elle se conserva particulièrement dans les lois; et comme on était obligé de rendre justice à chacun selon la loi sous laquelle il était né et qu'il avait choisie (car ce choix était permis), on jugea à propos de rédiger par écrit les lois, ou, pour mieux dire, les coutumes des barbares.

Nous les avons encore sous le titre de code des lois antiques, recueillies en un seul volume, qui comprend les lois des Visigoths, un édit de Théodoric, roi d'Italie, les lois des Bourguignons, la loi salique et celle des Ripuariens, qui sont proprement les lois des Francs; la loi des Allemands, c'est-à-dire des peuples d'Alsace et du haut Palatinat; les lois des Bavarois, des Saxons, des Angles et des Frisons, la loi des Lombards, beaucoup plus considérable que les précédentes, les capitulaires de Charlemagne, et les constitutions des rois de Naples et de Sicile. Sans examiner chacune de ces lois en particulier, je parlerai seulement de celles qui ont le plus de rapport à la France, après avoir observé qu'ils n'y en a aucune dont on ne puisse tirer de grandes lumières pour l'histoire ou pour la jurisprudence, et que celles qui ont été faites pour les peuples les plus éloignés de nous, ne laissent pas de nous pouvoir être utiles, plusieurs ayant été rédigées de l'autorité des princes français; joint que tous ces peuples du Nord venant de même origine, et ayant ensemble un commerce continuel, gardaient une grande conformité dans leurs mœurs. Je parlerai de ces lois suivant le temps où elles ont été écrites, qui a suivi à proportion l'ordre des conquêtes, et de l'établissement des nations.

SVI. Lois des Visigoths.

Les plus anciennes sont les lois des Visigoths, qui occupaient l'Espagne, et dans les Gaules une grande partie de l'Aquitaine. Comme ce royaume fut le premier qui s'établit, aussi ces lois paraissaient avoir été écrites les premières. Elles furent premièrement rédigées sous Evarix, qui commença à régner en 466; et comme elles n'étaient que pour les Goths, son fils Alaric fit faire pour les Ro

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