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sein, ou faute de les avoir connus, et que Benoît avait retrouvés en divers lieux, particulièrement dans les archives de l'église de Mayence. On accuse avec raison le diacre Benoît, ou ceux dont il a compilé les mémoires, de n'avoir point assez choisi ce qu'ils ont inséré aux capitulaires. Au commencement du sixième livre de la collection, on voit 53 articles tirés des lois Mosaïques, dont plusieurs assurément ne convenaient ni au pays, ni au siècle de Charlemagne. En suite de ces sept livres, il y a quelques capitulaires de Louis - le - Débonnaire, suivant les matières ecclésiastiques, retrouvés après la collection de Benoît, et distribués en quatre additions, dont la première ne concerne que la discipline monastique.

L'autorité des capitulaires ne pouvait manquer d'être grande, puisque le roi les faisait par le conseil des principaux de ses sujets, du consentement de tous. Ils furent donc observés par tout l'empire français, c'est-à-dire, quasi par toute l'Europe, principalement pendant le règne de Charlemagne, de Louis-le-Débonnaire et de ses enfans. Outre le soin que l'on prenait de les faire connaître à tous les peuples, une des principales charges des intendans, ou envoyés du prince, était de les faire exécuter dans les provinces de leurs départemens. Long-temps après, les capitulaires étaient encore considérés comme des lois, ainsi qu'il paraît par les épîtres d'Ives de Chartres, par les décrétales d'Innocent III, et par le décret de Gratien, où il y en a grand nombre d'insérés. Tel était donc le droit de la France sous la seconde race de nos rois; on y observait les capitulaires, la loi salique, et les autres lois de chaque nation, mais surtout la loi romaine.

§ XIII. Loi romaine sous la seconde race.

On voit le soin que les rois eurent de la conserver, par un article des capitulaires de Charles-le-Chauve 3, où, après avoir établi une peine contre ceux qui usent de faus

Art. 43, 44, 45.

2 Baluze, præf. n. q. 8. Capit. cap. 3. ann. 803, n. 19. 3 Cap. 31, edict. Pissense, artic. 20.

ses mesures, il ordonne que dans les pays sujets à la loi romaine, les coupables seraient punis suivant cette loi; ajoutant que ni lui, ni ses prédécesseurs n'ont jamais prétendu rien ordonner qui y fût contraire : ce qu'il répète souvent dans le même édit.

De plus, la loi romaine n'était pas moins nécessaire en ces temps-là pour ceux qui n'étaient point Romains, que sous la première race. Les capitulaires, qui étaient les seules lois nouvelles, contiennent peu de choses qui puissent fournir des principes de jurisprudence. Une grande partie ne regarde que la discipline ecclésiastique; et l'on y a transcrit beaucoup de canons des anciens conciles. Ceux qui traitent des choses temporelles ne regardent souvent que des affaires particulières; il y en a même qui visiblement ne sont que des instructions pour les commissaires envoyés dans les provinces : le peu qui reste d'articles généraux sont des lois fort imparfaites. Ce sont plutôt des exhortations à la vertu, que des lois pénales; et comme on sait que les ecclésiastiques en étaient les principaux auteurs, on pourrait les soupçonner de n'avoir pas assez distingué le style des lois qui commandent et font exécuter par la force, d'avec le style des avis charitables et des préceptes de morale: il fallait donc toujours avoir recours aux lois romaines pour les questions de droit, particulièrement dans les matières des contrats et de l'état des personnes. Car les serfs étaient un des plus fréquens sujets des différends. Voici un exemple mémorable du droit qui s'observait en France sous la seconde race 1. Adrevalde, moine de Saint-Benoît-sur-Loire, qui vivait du temps de Charles-le-Chauve, dit qu'il y eut un différend entre l'avoué de St-Benoît et celui de St-Denis, touchant quelques serfs pour le terminer, l'on tint des plaids où se trouvèrent plusieurs juges et docteurs des lois; et de la part du roi, un évêque et un comte; mais l'on ne put rien conclure en la première assemblée, parce que les juges de la loi salique n'entendaient rien à régler les biens ecclésiastiques, qui se gouvernaient par la loi romaine. Les envoyés du roi assignèrent une autre assemblée à Orléans,

Lib. 1. de miracl. Ben. cap. 25.

où l'on fit venir, outre les juges, des docteurs-ès-lois, tant de la province d'Orléans que de celle du Gâtinois. Et après tout cela, peu s'en fallut que le différend ne se terminât par un duel entre les témoins. On voit ici que la loi romaine et la loi salique étaient en vigueur, et que chacune avait ses juges différens; que l'église suivait la loi romaine; qu'il y avait des personnes qui faisaient profession de l'enseigner, et qu'il y en avait dès-lors à Orléans; que les envoyés du prince présidaient à ces jugemens, et que l'on ordonnait quelquefois le combat entre les témoins. Tout ce que j'ai expliqué jusqu'ici est ce que j'appelle l'ancien droit français.

S XIV.

Désordre du dixième siècle.

Pour entendre comment s'est formé le droit nouveau, il faut voir comment l'ancien se réduisit en coutumes, et comment l'étude du droit romain se rétablit. L'origine des coutumes est toujours obscure, puisqu'elles ne sont différentes des lois que parce qu'elles s'observent sans être écrites en sorte que s'il arrive qu'on les écrive, ce n'est qu'après qu'elles sont établies par un long usage. Mais l'origine de nos coutumes a une obscurité particulière, en ce qu'elles se sont formées pendant le dixième et le onzième siècles, qui est le temps le plus ténébreux de notre histoire. Voici ce que j'en puis deviner.

les

Sur la fin de la seconde race de nos rois, et vers le commencement de la troisième, l'Italie et les Gaules étaient tombées en une anarchie et une confusion universelles. Ce désordre commença par la division des enfans de Louis-le-Débonnaire, et s'accrut considérablement par ravages des Hongrois et des Normands, qui achevèrent d'y éteindre le peu qui restait de l'esprit et des manières romaines. Mais le mal vint au dernier excès par les guerres particulières, très fréquentes alors non seulement entre les ducs et les comtes, mais généralement entre tous ceux qui avaient une maison forte pour retraite : car tout le monde portait les armes, sans excepter les evêques avec leurs clercs, et les abbés avec leurs moines; et il ne leur restait plus d'autre moyen de se garantir du pillage, après

avoir employé en vain pendant long-temps les prières et les censures ecclésiastiques. Ces petites guerres étaient conformes aux anciennes mœurs des barbares, et on en voit les causes dans leurs lois. Outre le duel, qui était un des moyens ordinaires de décider les causes obscures, ils avaient le droit appelé Faide, par lequel il était permis aux parens de celui qui avait été assassiné de tuer le meurtrier, quelque part qu'ils le rencontrassent, excepté en certains lieux, comme à l'église, au palais du prince, en l'assemblée publique, à l'armée, et lorsqu'il était en chemin pour y aller car, en ces rencontres, celui qui était sujet à cette vengeance, était en paix . Ainsi une seule mort, même d'accident, en produisait d'ordinaire plusieurs autres. C'est apparemment à cause de ce droit, que les lois n'ordonnaient point la peine de mort contre les meurtriers, mais seulement des peines pécuniaires ou plutôt des estimations de dommages-intérêts; aussi les nommentelles compositions. Il était au choix des parens de venger la mort, ou de se contenter de cet intérêt civil. Quoi qu'il en soit, les petites guerres étaient établies universellement en France pendant le dixième siècle.

Comme il est difficile de ramener à la raison des esprits une fois effarouchés, tout ce que purent faire d'abord les ecclésiastiques les plus zélés et les princes les plus religieux, fut d'obtenir une cessation d'armes limitée à certains jours 2, c'est-à-dire depuis le soir du mercredi de chaque semaine jusques au lundi matin. Pendant ces jours tous actes d'hostilité étaient défendus à l'égard de tout le monde; d'ailleurs il y avait certaines personnes qu'il n'était jamais permis de maltraiter, savoir, les clercs, les pélerins et les laboureurs, tout cela sous peine d'excommunication 3. C'est ce que l'on appelle la trève de Dieu, qui fut depuis confirmée et étendue.

On peut croire que pendant ces désordres, l'ignorance et l'injustice abolirent insensiblement les anciennes lois, et qu'à force d'être méprisées, elles demeurèrent incon

'Pax fadio fit.

2 Glaber. lib. 3, c. 1.

3 Toto tit. extra de tre. et pace.

nues. Ainsi les Français retombèrent dans un état approchant de celui des barbares, qui n'ont point encore de lois ni de police. Encore étaient-ils plus misérables, en ce qu'il leur restait assez de connaissance des arts pour forger des armes et former des forteresses; de sorte qu'ils avaient plusieurs moyens de se nuire que les sauvages n'ont pas. Ils n'étaient pas ignorans pour le mal comme pour le bien : la tradition de tous les crimes s'était conservée; et ils avaient la férocité de leurs pères, sans en garder la simplicité et l'innocence.

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De là viennent nos vieilles fables de ces félons qui insultaient aux faibles, qui fermaient les passages, et empêchaient le commerce; et de ces preux qui erraient dans le monde pour la sûreté publique, et pour la défense des dames. Les auteurs de ces temps n'étaient pas fort inventifs; ils copiaient les mœurs de leur temps, y ajoutant seulement pour le merveilleux les géans, les enchanteurs et les fées.

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Malgré cette confusion, il restait quelque forme de justice, et les différends ne se terminaient pas toujours par la force. Il y avait différens juges pour les roturiers et pour les nobles. Je me sers de ces noms, dont l'usage est plus nouveau , parce que la distinction qu'ils marquent subsistait dès-lors; et je nomme roturiers, les paysans, les artisans, et les autres personnes franches ou serves qui composaient le menu peuple. Ils étaient jugés par l'autorité des nobles, c'est-à-dire par les chevaliers, et autres personnes puissantes qui commencèrent lors à s'ériger en seigneurs, et à s'attribuer en propriété la puissance publique, dont auparavant ils n'avaient au plus que l'exercice 2. Car tant que l'autorité royale fut en vigueur, principalement sous la famille de Charlemagne, il n'y avait point d'autre seigneur que le roi ; la justice ne se rendait publiquement qu'en son nom, et par ceux à qui il en donnait le

Il est redevenu ancien pour nous.
Notez l'origine des Seigneuries.

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