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chent au ciel. Au Parisien les hôpitaux, les monts-de-piété; aux Parisiens les sarcasmes en plein théâtre; les Parisiens sont des Badauds, rien de plus. Partout on les représente gagnant leur vie à grand'peine, sobres, économes, frileux, souffreteux, exploités par les charlatans de toute espèce, avides de plaisirs à bon marché, aimant la promenade le dimanche et le jeu de volant sur leur porte, honnêtes, indulgents, naïfs, éloignés de toute intrigue et privés de toute espèce d'ambition. Aux Parisiens la province a tout pris; elle a pris les plus riches faubourgs, les plus nobles hôtels, elle a pris les ministères, elle a pris les Tuileries, elle a pris cet Opéra et ces théâtres royaux dont se plaint si injustement la province de payer les comparses. Le faubourg Saint-Germain et la Chaussée-d'Antin, l'or, le crédit, les monuments publics, les arts, le chant, la danse, les fêtes, la puissance, la Cour, dans Paris tout cela appartient à la province. C'est à peine si la province abandonne à l'honnête Parisien, qui a travaillé toute sa vie à parer la ville, à la nettoyer, à la bâtir, un peu d'espace sur le boulevart du Mont-Parnasse, sous les portiques moisis de la Place Royale et dans les déserts du Marais. >>

Et puis quand j'avais bien prouvé à la province qu'en fin de compte elle avait tort de se plaindre, et que la province était l'âme et le cœur de Paris, je vous prenais un air inspiré et je portais ce Paris-province au troisième ciel, un peu au-dessus du ciel où fut saint Paul dans ses ravissements à Patmos. « Mais, juste ciel, si vous ôtez Paris de la France, que reste-t-il à la France? Paris c'est notre gloire nationale, c'est notre orgueil national. Otez de Paris les quartiers livrés aux seuls enfants de Paris, et vous aurez la plus belle cité de l'univers. Là tous les arts habitent, et ils ne peuvent habiter que là. La science, l'antiquité, l'art oratoire, la peinture, l'agriculture, la poésie, la musique, le beau langage, l'instruction, source féconde ouverte à tous, où tous viennent puiser à pleines mains autant d'œuvres parisiennes. La science et l'eau des fontaines y coulent à grands flots; prends et lis, prends et bois ! Dans cette Athènes unique au monde, ont établi leur siége éternel, le goût attique, la grâce, la philosophie, l'égalité, la guerre à tous les préjugés. Là toute la France passe, se regarde et se reconnaît. Là cette vaste Bibliothèque, où sont entassés, dans un ordre merveilleux, tous les

trésors de l'esprit humain. Voulez-vous donc que tout cela soit détruit ou divisé? voulez-vous que ces monuments soient muets et sans gloire? Voulez-vous que ces vastes murailles soient effrayées de leur solitude? Dites qu'il n'y a plus de capitale, et je vous jure, mes très-chers frères, que vous aurez prononcé d'un mot, une oraison funèbre, près de laquelle l'oraison funèbre du grand Condé ne sera plus qu'un article de journal..... Allons! courage. Hâtezvous, trompettes de la moderne Jéricho! Promenez de ville en ville, comme on vous le propose, la royauté, la Chambre des députés, la cour de cassation et la cour des comptes, les ministères, la pairie, l'Institut, les théâtres, les musées, les bibliothè ques, tout ce qui fait que Paris est Paris, et vous verrez bientôt les provinces et les villes favorisées de ces intrigues, succomber inévitablement sous un fardeau pour lequel elles ne sont pas faites. Alors vous les entendrez demander avec des prières, avec des larmes, de renvoyer à Paris ce bruit, ce tumulte, ces intrigues, ces ambitions, ces discordes, ces révolutions qui passent, ces longues batailles dont Paris supporte le poids, dont la France recueille la gloire comme les derniers venus à la vigne de l'Évangile. C'est pourtant là une proposition qui a été faite sérieusement dans un des journaux absolutistes : Quelle nécessité y a-t-il, disait le grand publiciste, à ce que Paris soit toujours la capitale? Rome fut-elle anéantie parce que Constantin porta ses pénates ailleurs? »

Et comme il fallait répondre, une fois pour toutes, à ces malédictions contre la ville éternelle (il paraît même que je n'y ai pas suffisamment répondu, car ces malédictions se sont reproduites bien souvent en dépit de mes foudres et de mes éclairs), comme il fallait enfin réduire à néant cette parole de William Pitt, parlant de Londres et de l'Angleterre. — « O ces villes énormes, avec elles, rien n'est solide; soulevez Londres, et l'Angleterre est perdue! Je prenais corps à corps le Bas-Empire et la ville

de Constantin :

« Vous avez raison, mes maîtres, d'appeler Rome à votre aide! Rome, en effet, fut anéantie le jour où Constantin transporta à Byzance le despotisme de la ville éternelle. Choisissez avec soin l'emplacement de votre nouvel empire, sacré empereur; placez-le entre deux mers, sous le plus beau ciel, au plus

faites votre ville toute en

beau point de la terre d'Orient; marbre et en fer, avec des ports, des forteresses, de hautes tours, des môles de deux lieues, des temples élevés à votre dieu nouveau. N'oubliez rien dans ce séjour enchanté, ni les produits de l'Italie, ni les parfums de l'Orient. Transportez dans ce nouveau monde les trésors de l'ancienne Rome, reine des villes; amenez à grands frais, dans votre contrefaçon de capitale, les sciences et les arts de la Grèce, et les mâles vertus de cette croyance nouvelle venue de Judée, appelez à vous les martyrs, les saints apôtres, les reliques sacrées; tout est prêt pour vous recevoir, César, tout vous favorise, la mer est calme, les Barbares sommeillent, levez-vous, vos Romains vous suivent, le sénat est à vos ordres, tout va bien... Cependant, direz-vous au Capitole, aux Dieux de Rome, aux Douze Tables, au Mont-Aventin, à Jupiter Stator, aux tombeaux de la voie Appienne, aux campagnes chantées par Virgile et par Horace: Levez-vous et suivez-moi! >>

Cette éloquente défense de Paris qui, pour le moins, aurait dû me placer dans l'estime des Parisiens, à côté du général Moncey qui défend pied à pied la barrière de Fontainebleau contre l'armée des alliés (ils sont de fiers ingrats, ces Parisiens!), fut définitivement ma dernière campagne extra muros, et le moment était venu enfin, où j'allais m'enfermer dans la citadelle du feuilleton. Rude épreuve et qui ferait reculer le plus hardi, s'il pouvait se rendre compte de tant de choses indigestes que les beaux esprits contemporains vont lui servir. A ce propos j'ai souvent rêvé que je me donnais un jour des armes parlantes, qui auraient servi à la critique présente, à la critique à venir. Ces armes parlantes, je les empruntais modestement à Son Altesse monseigneur le cardinal de Richelieu. Il n'était encore que le très-habile évêque de Luçon que déjà il avait fait graver, sur son cachet, une autruche avalant des morceaux de fer. La légende disait en son style figuré Fortis dura coquit: « Il n'est rien de si dur que le courage ne digère. »

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Mon entrée au feuilleton tient à des causes purement politiques, et voici comme aux élections du mois de novembre 1830, le cens électoral avait été abaissé par la nouvelle Charte à une somme si peu ronde que même plusieurs gens de lettres se virent électeurs, en dépit de toutes leurs espérances. Au nombre de ces nouveaux

électeurs que venait de créer la loi nouvelle, était M. Duviquet lui-même, et le brave homme, content de son prétexte, tout joyeux de ces grandeurs inespérées, partit pour Clamecy, sa patrie, où il devait exercer ses droits de citoyen émancipé. Il me semble encore le voir et l'entendre récitant ce vers de Virgile :

Candidior postquam tondenti barba cadebat,

qu'il traduisait ainsi, en homme qui sait tous ses poëtes par cœur : Et j'avais soixante ans quand cela m'arriva!

Il partit; pendant qu'il écoutait là-bas des professions de foi, 'allais voir les pièces nouvelles à sa place, et le hasard, qui n'est pas toujours un méchant dieu, fit justement qu'en l'absence de ce digne homme une pièce nouvelle et en vers, un drame, parbleu! vit le jour, au jour languissant de la rampe du ThéâtreFrançais. Or, voici le feuilleton que j'écrivis, à propos de cette piece infortunée, sous mon consulat née, et qui serait bien morte sans moi.

LE PREMIER FEUILLETON.

Première représentation du NEGRE, drame en quatre actes et en vers libres, par un esclave de la rime.

« Or, si vous aimez Brutus, écoutez bien, voici une seconde édition de la légende. Vous allez revoir le vieux Brutus légèrement rembruni avec un jus de réglisse; un Brutus africain, nommé Lazaro, qui fait le fou pour mieux dissimuler; qui perd son fils, comme le vieux Brutus; idée simple et facile, elle doit, si nous sommes sages, nous donner un théâtre tout neuf. A l'œuvre, donc, poëtes; cuivrez-moi, pour nous plaire, Athalie et Mérope; frisez les cheveux de Britannicus et de Cinna; faites parler tout ce beau monde Athénien en petits vers et les poings fermés, ceci fait, nous avons du drame nouveau, pour cent ans au moins.

Quoi qu'il en soit, le vieux Lazaro est un fou qui n'est pas fou. Il arrive sur le théâtre en éclatant de rire; il porte une culotte rouge, une casaque verte et un manteau couleur feuille-morte; il parle bas, il écoute sans qu'il paraisse écouter; du reste, c'est un gaillard emporté comme on n'en voit pas, qui a perdu sa femme dans les mauvais jours et qui sait distiller à merveille les

sucs vénéneux du mancenillier; véritable père Sournois dont il faudra se méfier.

Ce bonhomme de nègre est le père d'un fils aussi doux que son père est féroce. Je dirai même que ce respectable enfant est un peu niais, pour ne pas dire innocent. C'est un bon nègre, un de ces estimables nègres d'autrefois, qui disaient à tout bout de champ: « Bonjour, maîtresse à moi! Pauvre nègre à vous! » et deux ou trois locutions pleines d'effet, au temps de l'Histoire des deux Indes, par l'abbé Raynal. En un mot, il faut voir ce bon nègre, plié en deux, on dirait l'enseigne d'un marchand de tabac. Trop heureux le théâtre à li! trop heureux le poëte à li!

Au lever du rideau le petit nègre fait mille culbutes fort aimables à côté de sa sœur de lait. Cette sœur de lait, qui ne doit pas être trop blanche puisqu'elle va sans chapeau sous le soleil du tropique, est cependant d'une blancheur extrême à côté de tous les négrillons qui l'entourent. C'est une jeune fille qui avait envie de ressembler à la Virginie de Bernardin de Saint-Pierre, et dont les nègres doivent dire: bonne petite blanche à nous! Bref, ce nègre aime cette blanche, cette blanche aime ce nègre, tous les deux s'adorent sans le savoir: ainsi marche la pièce; mais, attendez s'il vous plaît, vous allez voir ce que vous allez voir. Au moment où le spectateur s'y attend le moins, arrive une cargaison d'esclaves; les uns sont noirs avec des mains jaunes, les autres sont jaunes avec des mains noires; ils ont tous des perruques de mouton fort bien faites et un morceau de toile blanche autour des reins. C'est un spectacle intéressant celui de tous ces malheureux qui viennent vous raconter que le voyage a été terrible et qu'ils ont mangé deux de leurs compagnons dans la traversée, à la croque-au-sel. Tous ces noirs parlent aussi bien qu'une mauvaise ode de J.-B. Rousseau. Il y en a un qui crie: Ma fille ! ma fille! mais le chef de l'habitation, qui s'appelle Mendoce et qui est pourtant un homme fort doux, ne veut pas acheter cette petite fille; le nègre crie toujours: Ma fille! ma fille! Mendoce touché, offre dix guinées de la petite, le marchand en veut trente, Mendoce ne veut pas les donner, l'esclave se retire en murmurant. Prends garde à toi, honnête Mendoce! car vraiment j'en ai pitié; le sieur Mendoce est le meilleur des bons blancs, qui jamais aient acheté des noirs.

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