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que je choisis là une belle heure pour faire amende honorable de mes premières prétentions?

FONTAN.

Le dernier feuilleton de M. Duviquet s'adressait à un écrivain, très-singulier et très-brave au fond de l'âme, qui a disparu depuis longtemps déjà, et qui, après ces grands bruits que nous faisons tous, peu ou prou dans la république des lettres, un grand bruit d'une heure, à tout jamais s'effacent et disparaissent, on ne sait dans quel néant. M. Fontan, c'était lui! appartenait à cette poésie intermédiaire qui s'est montrée, un moment, à la fin de ce que nous appelions la littérature de l'empire, et au commencement de ce qui allait être la nouvelle école; on pourrait appeler ces écrivains le trait-d'union entre M. de Jouy et M. Victor Hugo; ils ont vécu, Fontan et deux ou trois poëtes de sa caste, à l'ombre peu féconde de M. Casimir Delavigne, leur chef, dont ils admiraient surtout les hardiesses. Les hardiesses de M. Casimir Delavigne ! Ces jeunes gens n'avaient guère de goût au travail littéraire ; ils avaient fait de mauvaises études, ils menaient, pour la plupart, une vie errante, ils se contentaient d'attendre que la renommée et la gloire vinssent frapper à leur porte, quand ils auraient dû courir après elles. La gloire des lettres ressemble au bonheur des élus dans le ciel, il n'y a que les violents qui la ravissent, et ce n'est pas en se lamentant, et ce n'est pas en se révoltant contre les lois établies, et ce n'est pas en se traînant dans l'oisiveté des lieux où l'on parle sans agir, où la montagne hurle sans enfanter, ce n'est pas en blasphémant contre les dieux irrités que les Muses viennent en aide à ces rebelles. La Muse éternelle veut être invoquée avec une passion vive, un cœur dévoué; la Muse se plaît dans une maison tranquille et dans un esprit reposé; elle veut l'ombre en été, le chaud rayon en hiver; elle dit à celui qui l'aime : espère et crois, ose et continue! Elle n'a rien à voir dans les discordes et dans les tempêtes civiles; autant elle se plaît aux doux concerts des passions printanières, autant elle hait les hurlements de la passion politique Cantus cornicum, le cri des corbeaux ! Disons tout, au bout de cette agitation stérile, au milieu de ces bruits sourds que font dans leur ombre folle ces beaux esprits de ténèbres, il y

a plus d'impuissance et de présomption que de véritable colère. Impuissants, ils s'en prennent à l'univers entier du vide et de l'inanité de leur cerveau; ils vont ainsi, rêvant à mille affaires, et se faisant à eux-mêmes un petit Olympe à part; au sommet de cet Olympe, ils s'admirent entre eux, se donnant toutes sortes de noms sous lesquels se cache la bâtardise de l'esprit. Autrefois, ils s'appelaient des fantaisistes; ils s'appellent aujourd'hui des Bohèmes. Insensés, qui jouent avec leur propre jeunesse, et qui ne voient pas déjà qu'elle s'envole, emportant tout ce qui les rendait excusables. O jeunesse! à peine envolée, on la pleure; en vain on la pleure, il n'est plus temps, elle ne reviendra plus, et elle vous laisse inutiles, médiocres, inconnus, sans fortune et sans nom, dans la plus triste et la plus misérable position où puisse tomber un galant homme..... Il y en a tant et tant dans ce Paris littéraire dont j'écris ici la véridique histoire. Tant de malheureux qui étaient nés pour bien faire, et qui n'ont rien fait, soit que le courage leur ait manqué, soit que le travail, cette divine habitude, et qui suffirait à fructifier toute une vie, leur soit apparu comme un supplice, ou bien, et c'est un cas qui n'est pas rare, ont-ils aspiré, tout de suite, aux œuvres impossibles! Ambition! - paresse! - impuissance! Il faut se répéter souvent cette parole du sage, lorsqu'on veut vivre de cette profession des lettres : Connais-toi toi-même. En ai-je vu mourir déjà qui arrivaient dans la carrière inspirés, beaux et jeunes, et ne doutant de rien, en tout semblables à ce beau Gylippe lorsqu'il entre à Syracuse tenant, au bout de son épée... une étoile!

Il y avait dans Fontan l'étoile et le nuage, l'inspiration et l'impuissance; il voulait beaucoup, il travaillait peu; il se débattait entre le passé d'un art qui était mort, et l'avenir d'une poésie entrevue à peine, et dont les premières lueurs lui avaient brûlé les yeux. Il était Breton d'origine, et cette langue qui se parle, chaque jour à Paris dans la poésie et dans la prose, était loin d'avoir dit à Fontan tous ses secrets. Toutefois, il faisait des vers charmants, très-vifs et très-nets; il écrivait de belles pages incisives et mordantes. C'était vraiment un esprit distingué, mais absolument incapable de porter longtemps le faix de la vie littéraire; en un mot, on le pouvait placer au rang de ces talents que la nature ébauche et qu'elle ne daigne pas finir.

« Ces faibles semences de génie amusent une jeunesse ardente « qui leur sacrifie les plaisirs et les plus beaux jours de la vie. « Je regarde ces jeunes gens comme les femmes qui attendent « leur fortune de leur beauté : le mépris et la pauvreté sont la << peine de ces espérances. Les hommes ne pardonnent point aux << misérables l'erreur de la gloire1. »

Fontan donc, que la poésie avait peine à nourrir, et Dieu sait s'il vivait de peu, se mit à écrire en prose, et le malheur voulut qu'il partageât les rancunes et les haines d'une autre fraction de gens de lettres, héros épuisés de la prose inconnue, qui avaient pour chef M. Alphonse Rabbe, un de ces grands génies manqués et très-dangereux, qui, d'avortements en avortements, arrivent à détester le genre humain, comme si le genre humain était le complice de leurs mésaventures.

Alphonse Rabbe avait en lui-même autant de fiel que de talent pour le moins; un horrible accident lui avait dévoré le visage; de beau qu'il était, il était devenu hideux, et ses affreuses tristesses débordaient de tout ce qui sortait de sa plume. On le doit placer au nombre des journalistes de la Restauration. Il avait plusieurs des qualités d'un bon journaliste; il en avait l'ardeur, la passion, les colères, malheureusement il en avait toutes les violences. Il a beaucoup écrit, il n'a rien laissé, des résumés, des brochures, des souvenirs. Il mourut à quarante ans, dans le désespoir. M. Victor Hugo, tout brillant de sa gloire acceptée, et dans ce très-beau livre qu'on appelle : les Chants du Crépuscule, adresse à son ami Alphonse Rabbe, une touchante élégie. Hé! j'ai bien peur que l'immortalité du faiseur de résumés historiques ne se résume en ces vers de M. Victor Hugo:

O noble ami, pareil aux hommes d'autrefois,
Il manque parmi nous ta voix, ta forte voix,
Pleine de l'équité qui gonflait ta poitrine;

Il nous manque ta main qui grave et qui burine,
Dans ce siècle où par l'or les sages sont distraits,
Où l'idée est servante auprès des intérêts,...
Temps de fruits avortés et de tiges rompues,
Où dans l'esprit humain tout étant dispersé,
Le présent, au hasard, flotte sur le passé!

1. Vauvenargues, Réflexions et Maximes.

Et le poëte allait ainsi célébrant, en très-beaux vers, cet homme qui l'avait encouragé un des premiers, qui, l'un des premiers, lui avait enseigné cette politique çà et là flottante, entre l'obéissance et la conspiration, mélange singulier de toutes les aventures que pouvaient contenir les sociétés secrètes qui s'agitaient sous la Restauration.

Aux paroles du poëte, Alphonse Rabbe ne répondait pas :

Hélas! que fais-tu donc, ô Rabbe, ô mon ami,
Sévère historien dans la tombe endormi!

Or, ce sérére historien publiait chaque semaine un pamphlet intitulé : l' Album (je vois encore la couverture et l'image de cet album), et dans ce pamphlet d'une violence irritante écrivait Fontan; si bien que l'audace, accrue à mesure que redoublait l'impunité, Fontan en vint à écrire un abominable article intitulé: le Mouton enragé! Ce mouton enragé, c'était S. M. le roi Charles X, aimable et bienveillante majesté qui, certes, devait se croire à l'abri de pareilles injures. Pour ce crime sans excuse, Fontan fut condamné à dix ans de réclusion. Il prit la fuite, emmenant, compagnons de son exil, sa compagne et son chat; tous les trois ils menèrent en Belgique une vie errante, et malheureuse à ce point qu'il fallut revenir et demander asile à la prison de Poissy. Mais le roi insulté était si naturellement porté à la clémence, qu'au bout de six mois de cette prison il s'inquiéta de Fontan. Il ne demandait qu'à pardonner, le cher sire! De son côté, le ministre de l'intérieur, M. de Martignac, ne voulait pas la mort du pécheur; de tout quoi il s'ensuivit que Frédéric Soulié et moi nous partimes pour la prison de Poissy, munis de pleins pouvoirs et tout décidés à forcer Fontan à écrire une lettre d'excuses au roi de France. On n'allait pas vite en ce temps-là de Paris à Poissy, et le chemin avait paru bien long à M. Magalton, un prosateur manqué, lorsqu'il parcourait cette route abominable, attaché à un galérien galeux. Chemin faisant, Soulié et moi nous arrangions la lettre que nous devions proposer à Fontan. Notre premier projet était tout simplement un acte de soumission parfaite; il a insulté le roi, qu'il se jette aux pieds du roi, disions-nous. Cinq ou six lieues plus loin, nous relisions, le crayon

à la main, ce premier projet de recours en grâce, et songeant à Fontan, nous étions épouvantés de notre hardiesse et nous nous demandions de quel front offrir à sa signature, une lettre dans laquelle Fontan et le roi ne traiteraient pas d'égal à égal? — Bref, à force d'ajouter à la dignité de Fontan ce que nous retranchions à la juste majesté du roi, et par un habile compromis tout à l'avantage de l'incarcéré, nous étions parvenus à formuler une lettre si complaisante que l'on n'aurait pas su dire, au premier abord, si, en fin de compte, Fontan n'était pas l'insulté du roi? Arrivés à la prison, la prison entière nous fut ouverte, et nous vîmes accourir notre confrère dans l'uniforme de ces forçats. Il n'y manquait que le collier de l'ordre. Il était calme, il souriait, et quand après toutes les précautions les plus exagérées de l'exorde par insinuation, nous en vinmes à lui proposer d'une voix timide, de signer ce compromis entre lui et la couronne, bonté divine! il eût fallu le voir déchirer avec rage cette supplique humiliante. « Qui! moi, Fontan! moi! demander pardon à un tyran! pour qui me prenez-vous?... » Il avait des éclairs dans les yeux.

Nous revinmes à Paris, Soulié et moi, et comme à coup sûr, l'univers avait les yeux fixés sur nous, nous convinmes de rendre compte, à l'univers, de la seule mission dont nous ayons jamais été chargés. Lisez la lettre qui vit le jour à cette occasion, le 6 mai 1830: S. M. roi de France et de Navarre, le roi Charles X avait encore à régner... deux mois!

<< Monsieur,

A M. BERTIN.

« Voici bientôt quinze jours que le public s'entretient de la maison centrale de Poissy, sans trop savoir en quoi elle diffère de la prison ordinaire et par quelle loi elle est régie. Il est temps enfin que l'on apprenne exactement à quel supplice est réservé l'écrivain pour qui les portes de cette maison doivent s'ouvrir. Je vous adresse quelques détails authentiques sur cette maison de force et sur la détention de M. Fontan. On verra, d'après ce récit, qui n'a rien que de très-exact, si les plaintes de la presse sont injustes, et si cette peine inouïe, appliquée aux lettres et aux dé

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