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reine, et un troisième qui probablement ne tombera pas sur mes épaules.

Colas s'en alla en disant : - Peut-être !

Le comte de Staremberg était, près de la cour de France, l'ambassadeur de l'impératrice Marie-Thérèse. Il était venu pour conclure une alliance entre l'Autriche et la cour de Versailles, contre le roi de Prusse. Le cardinal, madame de Pompadour et tous les hommes d'État de notre pays, étaient fort opposés à cette alliance; mais ce n'était pas le compte de Nicolas Rosier.

Rosier s'en alla voir l'ambassadeur d'Autriche, et tout simplement il lui demanda s'il n'était pas possible de lui faire avoir, à tout prix, un voile comme celui de la comtesse de Staremberg ?

L'ambassadeur lui répondit qu'il était aussi impossible, à monsieur de Rosier, d'obtenir un voile pareil, qu'il était impossible à l'Autriche, de conclure une alliance avec la France. - Et si je fais conclure cette alliance? dit Rosier. Vous aurez le voile, répondit monsieur de Staremberg.

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Rosier découvrit que madame de Pompadour en voulait à MarieThérèse, qui ne lui avait jamais fait aucune soumission.

Rosier, sachant le secret de la marquise, en avertit l'ambassadeur. Aussitôt l'ambassadeur en écrivit à sa cour, et courrier par courrier, madame de Pompadour reçut la lettre mémorable de l'impératrice Marie-Thérèse qui l'appelait Sa Cousine! Cousine de l'impératrice! Et ce brutal de roi de Prusse appelait madame de Pompadour: Cotillon II!

L'aliance fut conclue aussitôt entre la France et l'Autriche, en dépit de tous les efforts du cardinal de Bernis, et Nicolas Rosier jeta le beau voile sur la belle tête de Pauline.

Le lendemain du jour où fut signé ce fatal traité, le cardinal de Bernis, fort triste et fort inquiet, voulut s'aller reposer à Fontainebleau, et il emmena Rosier. Rosier écrivit à Pauline qu'il était à Fontainebleau, bien malheureux de ne pas la voir. Pauline persuada à la fille du comte d'Oron que l'air de Fontainebleau lui serait excellent cet été. Monsieur de Soubise voyant Pauline à Fontainebleau, s'en alla demander à la marquise la permission de se recueillir avant son départ pour l'armée, et il partit pour Fontainebleau. Madame de Pompadour voyant son favori à Fontainebleau, persuada au roi qu'il devait aller à Fontainebleau. Voici

donc tout à coup une entrée de valets, de courtisans, de piqueurs, de marmitons, de laquais, de secrétaires, de cuisiniers, de poëtes, de comédiens, de chanteurs, de perruquiers, de gentilshommes et de maîtres de plaisirs, qui s'abattent sur le château. Les salons, les cours, les galeries affluent d'hôtes de toute espèce. C'était un bruit, un tumulte, une cohue; on se presse, on se pousse, on se heurte; les trompettes sonnent, les tambours battent aux champs, les cloches s'ébranlent en volées, les gardes du corps, les chevau légers, les gardes du roi arrivent, enseignes déployées. Saints du ciel! la belle solitude que voilà!

Deux jours après, Rosier, qui avait promis au cardinal de le débarrasser de cette foule, retourne à Paris. Pauline voyant Colas à Paris, se plaint de sa migraine, et revient à Paris; après Pauline le prince de Soubise; après le prince, la marquise; avec la marquise, le roi et l'armée. Le cardinal de Bernis se dit: Il faut que ce Rosier ait fait un pacte avec le diable!

Enfin, le prince de Soubise partit pour l'armée du Rhin avec le roi de France: il fut battu, comme vous savez, à triple couture, et Pauline, qui avait ses vingt ans, et qui ne voulait pas rester fille, épousa son petit Colas de Rosier le jour même de la bataille de Rossbach. >>

LA MARQUISE CHEF DE VOLEURS.

Et voilà comme, si le Vaudeville a le droit de défaire un conte charmant, le feuilleton a le droit de refaire à son tour, le conte que le Vaudeville a défait! Cherchez et vous trouverez, c'est un mot de l'Évangile. Même la chambre civile, au Palais-de-Justice, à plus forte raison la cour d'assises, est une mine excellente et de facile exploitation à qui la sait mettre en œuvre; messieurs les dramaturges le savent bien, pourquoi donc messieurs les journalistes auraient-ils l'air de ne pas s'en douter? Quel plus beau drame à faire je vous prie, que celui-ci, que l'on pourrait intituler parfaitement: La marquise chef de brigands!

L'affaire a été plaidée, et par un avocat illustre. Il représentait les héritiers d'une grande dame née en 1745, le dernier moment de règne pour les femmes; aussi les femmes en ont conservé un tendre souvenir. Cette dame avait épousé dans le cours de sa vie,

cinq maris, en légitime mariage, à savoir deux barons, un marquis, un comte prince souverain, le comte de Montbéliard d'Hombourg, ma foi et un chef de brigands. A ce mot, chef de brigands, je vous laisse à penser si j'ai été attentif.

Quand elle est la femme de ce chef de brigands, cette marquise, cette baronne, cette comtesse, s'en va avec son nouveau mari dans une de ses terres à elle; car elle était tout à fait marquise, comtesse et baronne, et cette terre était située aux environs de Caen sur les bords de la mer. Cette terre, c'était même un château tout à fait, avec fossés, pont-levis et souterrain.

Là, notre chef de brigands et sa marquise, qui était belle comme cela convenait à une grande dame de la cour de Louis XV, vivait heureux, en honnête homme et sans trop d'efforts. Il avait autant d'amour pour sa femme que s'il eût été baron, marquis, ou même comte et prince souverain de naissance. Bonheur bientôt troublé ! tranquillité d'un jour! Les anciens brigands de ce monsieur, apprenant qu'il a fait une grande fortune, qu'il a un château, une femme et un souterrain, s'en vont le trouver un beau jour, et lui proposent, le pistolet au poing, de leur donner la moitié de son château, d'égorger sa femme, et de les cacher, en attendant mieux, dans son souterrain. La proposition paraît dure au brigand retiré ; cependant, il promet à messieurs ses confrères qu'ils seront contents de leur ancien capitaine ; à coup sûr, il leur donnera pour le moins sa femme et la moitié de son château d'ici à peu de jours. — En attendant, il les cache dans son souterrain. Comment ce drame eût fini, Dieu le sait! Heureusement, la dame découvrit le complot, elle prit la fuite, et la maréchaussée de la ville de Caen s'empara de toute la bande et du souterrain, où elle était cachée. Le chef de voleurs seul parvint à s'échapper. On n'en a plus entendu parler depuis; ce qui prouve qu'il est devenu honnête homme, ou qu'il est mort.

Je vous demande si c'est là une belle histoire! Mais il aurait fallu entendre maître Chaix-d'Est-Ange la raconter! Quel feu! quels sarcasmes! quelle logique! Pour moi je ne me suis jamais intéressé comme j'ai été intéressé ce jour-là! Que n'aurais-je pas donné pour la voir un instant, cette femme, débris vivant et si merveilleusement aventureux du siècle passé, tour à tour baronne, marquise, princesse, veuve d'un brigand, puis enfin la femme

d'un ingénieur militaire, c'est-à-dire, toujours au sommet de l'échelle sociale, et changeant seulement d'échelons à mesure que changent les époques; marquise sous Louis XV, baronne sous Louis XVI, princesse allemande sous la Convention, femme d'un chef de brigands sous Robespierre, mariée à un officier du génie sous Bonaparte, il ne lui manquait plus, pour être au grand complet, que d'épouser le neveu d'un évêque, sous Charles X.

Mais hélas! Figurez-vous qu'elle a été enlevée, il n'y a pas quinze jours, cette même femme que vous avez vue tout à l'heure sous des formes si diverses, enlevée, vous dis-je, à quatre-vingt-dix ans passés, au bel âge.... pour plaider. »

Un accident de la rue, aussi bien qu'un bout de la Gazette des Tribunaux devient souvent un bon prétexte à écrire une page qui soudain est acceptée! Ainsi je me rappelle très-bien que plusieurs journaux qui plaidaient la cause du peuple et de ses misères, ont reproduit l'histoire et la mort subite d'un malheureux écrivain que j'avais lue, en deux lignes, dans le journal du soir, et dont j'écrivais le billet d'enterrement.

L'ÉCRIVAIN PUBLIC.

L'écrivain public s'en va tous les jours. On l'a tué à force de maîtres d'école. A cette heure où chacun sait lire et écrire, que voulez-vous qu'il devienne, ce pauvre esprit complaisant et toujours prêt à vous servir? - Autrefois il était le truchement universel, il était la providence des amoureux, l'avocat des misérables; il était la poésie courante des jours de fète; il était le guide le plus sûr de cette conversation de toutes les passions qui se fait, d'un bout de la France à l'autre. Hélas! aujourd'hui, l'écrivain public ne peut plus vivre. Il y a quelqu'un qui a beaucoup plus d'instruction que lui, ce quelqu'un-là c'est tout le monde. C'en est fait, plus de confidences, plus de mystères, plus de révélations, le métier d'écrire à la volonté des personnes a perdu toute sa poésie. Depuis que l'écrivain public n'est plus à craindre, on a cessé de l'estimer. Aussi voyez comme il est vêtu! Entendez-le pousser ses gémissements plaintifs; son habit n'a plus une seule tache d'encre. Le malheureux ! La misère l'a perdu. Aujourd'hui, il ne vit plus que de lettres anonymes, voilà sa der

nière ressource, ressource honteuse et lâche. Mais cependant que voulez-vous que devienne un malheureux écrivain public, qui est forcé par le malheur d'écrire sur sa boutique: - Ici l'on écrit soi-même. On écrit soi-même! tu l'avoues, malheureux! On écrit soi-même! et quel est donc ton métier en ce cas-là, écrivain public que tu es? Vous rappelez-vous ce qui est arrivé l'autre soir, avant-hier, la nuit du dernier bal masqué? Au coin d'une rue et dans une échoppe, se tenait un malheureux poëte à la réforme. Il avait vu des jours meilleurs. Il avait écrit des journaux et des livres. Il avait fait jouer avec succès une tragédie au ThéâtreFrançais. Un jour qu'il s'était trouvé brisé dans une de ces révolutions littéraires, aussi fréquentes, parmi nous, que les révolutions politiques, ce pauvre diable s'était fait écrivain public. Il avait fait pour vivre tout ce que peut faire une plume honnête. Mourant de faim il avait écrit des chansons de table; seul au monde, que de fois il avait demandé la main des plus belles personnes du quartier! Il avait écrit tant de lettres d'amour sans obtenir un tendre regard! Il avait souhaité tant de bonnes fêtes, sans qu'on lui jetât même le plus petit bouquet de violettes! Pour enterrer son unique enfant, il avait rimé sur ce cercueil, acheté à crédit, une chanson joyeuse. Pauvre éloquence qui s'était oubliée ellemême ; — il avait obtenu aux divers ministères tant de belles places qui l'auraient fait puissant! Il avait arraché à la charité publique tant d'aumônes qui l'auraient fait riche! Il avait ouvert l'hôpital à tant de malheureux sans asile! Par ses mains, par sa tête, avaient passé toutes les espérances, tous les amours de ce quartier populeux.

Il avait été la voix, l'écho, la romance plaintive, le plaidoyer hardi, la chanson politique, le censeur de ce quartier confié à son esprit. Et cependant, l'hiver venu, son dernier hiver, tout

lui manqua.

Maintenant qu'il les avait tous mariés, placés, défendus, les ingrats! personne n'avait plus besoin de lui! pas une main ne lui était tendue dans cette génération dont il avait été l'orateur et le poëte. Et lui, il souffrait sans se plaindre. Cependant, s'il eût voulu, il avait de quoi se venger. Dans ce siècle de mémoires contemporains, il n'avait qu'à prendre la plume pour écrire ses mémoires d'écrivain public, et comme il savait le secret de toutes les cui

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