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Et j'hésitais, et je cherchais ma voie, ici, là, partout, allant d'une école à l'autre, incertain, malheureux, haletant. A tout propos je faisais l'exposé de mes doctrines dramatiques, et Dieu sait si elles étaient encore incertaines entre ceci et cela, entre les chefs-d'œuvre d'autrefois et les chefs-d'œuvre du lendemain. Comme j'étais tout à fait sans expérience, et que naturellement j'avais la prétention d'en montrer beaucoup, je me vouais à tous les saints du théâtre; j'appelais à mon aide Aristote, Boileau, Schlegel, la préface de Cromwell, et surtout la révolution de juillet. J'ai déjà remarqué plusieurs fois, à mon dam et préjudice, que les révolutions servaient de bouc expiatoire aux plus mauvaises actions littéraires; c'est d'ordinaire la révolution que les poëtes accusent de l'abandon où se trouve la poésie; c'est elle que les critiques accusent du mauvais goût général; tous ces drames bâtards, c'est la révolution de juillet qui les a mis au jour; toutes ces comédies manquées, c'est la révolution de février; les mauvais vaudevilles qu'on va faire, avant peu, la révolution du 2 décembre 1852 en sera chargée! On dirait, à nous entendre accuser les révolutions, qu'Horace et Virgile ne sortaient pas des discordes civiles, que Montaigne et Rabelais ont vécu dans un pays sans orage. Après la Fronde, il y eut Corneille! après l'empire et ses désastres, il y eut Béranger! « De grâce, m'écriais-je « aux premiers jours de 1831, de grâce, qui que vous soyez qui ⚫ voulez faire du drame, n'oubliez pas que vous écrivez au milieu * d'une révolution. Abandonnez-vous aux faits, sans prétendre les ⚫ régler; laissez crier vos acteurs, qu'ils bouleversent la ville, qu'ils poussent mille cris divers, qu'ils renversent les lois et les trônes, « qu'ils changent les hommes, les couleurs, les faits, les mœurs, ⚫ les adorations et le blâme de toute une cité surprise dans le ⚫ sommeil, vous aurez alors une tragédie terrible sans doute, « mais une tragédie véritable et bien jouée; vous aurez une émotion à l'usage d'un peuple qui vient de se faire libre, émotion ⚫ au delà de tout calcul, indépendante de toute méprise. Je sais ■ bien qu'il sera dur d'oublier les rhétoriques consacrées, les mo« deles consacrés; mais il le faut, soit que vous vouliez enseigner, ⚫ soit que vous vouliez écrire; tout est changé dans l'art, les acteurs sont changés, le lieu de la scène est changé, le but, le ⚫ plan, les moyens du drame, sont changés; taisez-vous donc,

« supportez tant de révolutions en silence; Aristote et Boileau ne << seraient eux-mêmes que des contre- révolutionnaires aujour« d'hui. »

Certes, voilà un passage éloquent; seulement en le lisant avec beaucoup de soin et d'attention, vous vous apercevez que ces belles périodes sonores n'ont absolument aucun sens. Ce serait bien le cas de dire avec le poëte :

Où diable mon esprit prend-il ces gentillesses?

et j'admire, quand j'y pense, la bienveillance avec laquelle on lisait ces belles choses Comme on a été bon pour ces informes essais! avec quelle patience on les a supportés! et que cela était ridicule à côté de tant de belles pages savantes et pleines de sens, qui s'écrivaient à ma droite, à ma gauche et chaque jour ! C'est un grand écueil à éviter, le succès trop facile, et surtout quand on est destiné à parler longtemps au public. La lutte a cela d'utile et de bon, elle pousse un homme fait, un talent sérieux; vous arrivez moins vite, il est vrai, mais une fois arrivé, vous n'êtes plus embarrassé par ces commencements d'enfant gâté, de plume facile, de bel esprit de rencontre et de hasard. Vous êtes longuement débattu, tant mieux, mon fils, vous n'en serez que mieux écouté, le reste de vos jours; vous serez bon a toutes choses, dans l'avenir, et l'on ne dira pas à chaque instant : « Euh! euh! c'est un bel esprit, mais si futile! Il sait écrire, et bien; il est zélé, fidèle, actif, laborieux, mais ça lui coûte si peu ! » Et les pédants qui se mettent à votre place, et les grands penseurs qui prennent votre soleil! Et les rois que vous défendez qui savent à peine le nom d'un futile de votre espèce! Que j'en ai vu se briser, de ces plumes brillantes, semblables à quelque oiseau des tropiques, attelé au char du soleil!

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TRIBOULET.

Ici commence un certain travail régulier. Ainsi je vois sur ma liste des pieces mortes et enterrées : le Fou du Roi, un vaudeville de MM Dupeuty et Rochefort : « Prenez garde, disais-je aux deux auteurs, prenez garde à Triboulet, » et, comine si j'eusse prévu le héros malheureux du Roi s'amuse (il était encore en germe

dans le cerveau du poëts), je traçais (à l'avance, on l'eût dit) le portrait de ce fou glorieux. « Le sage, le célèbre et l'effronté Triboulet, fidèle comme un chien, malin comme un singe, bariolé de mille couleurs, gourmand, ra lleur, plein de proverbes comme Saucho, Triboulet qui pensa arrêter la fortune de Charles-Quint mieux que Luther. Triboulet n'appartient qu'à trois ou quatre hommes qui ne sont plus, Cervantes, Rabelais, Molière; aussi les auteurs, qui cette fois avaient consulté leurs forces, ont-ils fait prudemment de n'avoir dans leur pièce qu'un Triboulet pour rire, un pauvre farceur de boulevart, un rieur en plein vent qui a froid, moins que rien, pas même un plaisant de corps de garde je ne sais pas comment on se hasarde à appeler quelque chose Triboulet, quand on y met si peu d'esprit. »

LA FILLE DU BANDIT.

Le portrait n'est pas tracé, tant s'en faut, de main de maître, et je ne sais guère pourquoi je tiens à le placer là. Après Triboulet venait ce même jour une pièce de M. Scribe: Jeune et Vieille. Dans cette pièce, il y avait une jeune mariée assez délurée; elle est surprise par son amant (le mari est absent) et elle s'écrie: Il n'y a pas de verrous. Ceci était fait pour mademoiselle Jenny Vertpré, déjà vieillissante, et qui paraissait au second acte en robe feuille morte; ici seize ans, là soixante ans. Elle était mieux au second acte qu'au premier, à cause d'un petit reste d'hier, comme disait Antonio. Quant à la Fille du Bandit, qui était bel et bien un mélodrame, en voici l'analyse en deux mots, et je me souviens que M. Duviquet fut content de ce petit passage-là :

« Cette fille a épousé le comte Alfred. Le comte Alfred revient de ses terres pour dissiper la tristesse de madame son épouse. En même temps arrive le brigand qui vient pour voler un portefeuille. La jeune comtesse, qui ne reconnaît pas monsieur son père, le fait arrêter. Quand il est arrêté elle le reconnaît; quand elle le reconnaît, elle le suit dans les ruines où il se cache. Alors le brigand veut la revendre au comte, qui lui en donne cent mille florins. Le marché est à peine conclu et le comte Alfred vient de recevoir son Elvina, quand surviennent des gendarmes qui s'emparent du brigand. Le brigand arrêté s'écrie, en montrant la

comtesse: Elle est ma fille! Alors on fouille le compagnon de Meldorf, et l'on découvreô surprise) des papiers qui prouvent que l'Elvina du comte Alfred n'est pas la fille du brigand Meldorf; au contraire, Elvina a pour père le baron Walstein, qui pleure sa fille, depuis si longtemps. Alors tout s'arrange, tout le monde est heureux, tout est dit. »

LA VENTE A L'ENCAN.

Il faut placer à cette date (le 6 novembre 1830) un feuilleton qui eut un assez grand retentissement : la Vente à l'Encan. Je racontais, à ma façon, comment, après la retraite de la famille royale, on avait mis en vente les petits meubles de Son Altesse Royale Madame la duchesse de Berry. Le commissaire - priseur n'avait pas fait avec plus de minutie le relevé de cette vente, que je ne le fis moi-même, blâmant toutes choses, et livrant à l'ironie ces tristes débris d'un si grand naufrage, que tant d'honnêtes gens s'arrachaient au poids de l'or. Hélas! quand on est jeune et qu'on a la rage d'écrire (scribendi cacaothès, dit Juvénal), tout prétexte est bon à tout écrire, et je ne voyais pas qu'il y avait en ceci un certain crime contre le respect que je devais à ces augustes infortunes. Aujourd'hui j'aurais le même chapitre à écrire, je l'écrirais dans un sentiment tout différent, et à genoux devant ce malheur et cette fuite aux pays lointains, entre deux files de gardes du corps chargés d'escorter jusqu'à Cherbourg le deuil de la monarchie expirante, il me semble que je serais aussi applaudi et plus loué; à coup sûr je serais plus content de moi. Tout ce que je tournais alors en ironie et en pitié, je le tournerais aujourd'hui en sympathie et en déférences. Je ne reprocherais pas au roi, à Dieu ne plaise! d'avoir appelé salle des maréchaux, une des salles du château d'Holyrood; je ne dirais pas aujourd'hui : « que je comprends l'invasion du château des Tuileries, » ces lâches et violentes contrefaçons du premier 40 août, qui a voué les Tuileries à la ruine, à la honte. Non; et quand je me verrais en présence de ces robes fanées, de ces voiles déchirés, de ces manteaux semés de fleurs de lis, la fieur du printemps et de la royauté de la France, s'écrie un vieux conteur, je me garderais bien d'appeler à l'aide de mon couplet en prose, l'image horrible

de la revendeuse à la toilette. O misère ! quand je pouvais, à propos de ces nobles haillons, rappeler cette anecdote de la reine mère de Louis XIII, exilée à Cologne, mourante, et partageant, entre ses derniers serviteurs, les fragments de son dernier manteau royal! Voilà une histoire qui eût été à sa place au milieu de l'encan de Son Altesse Royale Madame. Et puis, le beau mouvement que j'aurais eu si, lorsque je vois ces déguisements du dernier bal, la robe et le bonnet de la Cauchoise, la ceinture et le tablier de l'Auvergnate, j'avais prévu qu'un jour viendrait où l'illustre princesse, à l'aide de ces habits d'emprunt, tâcherait de reconquérir le royaume de son fils! Il y avait aussi, dans cette vente, la harpe de la jeune princesse, l'équipage du jeune prince; tous ces riens qui devaient soulever tant de regrets, tant de pitié, tant de souvenirs. Ah! le noble chapitre, le glorieux chapitre que j'ai manqué là.

LES IAMBES.

Cependant la chose publique était lente à se rétablir; les révolutions, semblables à des flots chargés de gravier et d'écume, laissent après elles un limon abominable et tenace. Après les jours de violence et de sang arrivent les doutes, les représailles, les ambitions, les émeutes, les volontés de la foule et ses caprices; partout le bruit, la ruse et la peur; l'anarchie est la reine de ces masses déchaînées; dans ce jeu effrayant de la force et du hasard, la société tout entière peut rester abîmée. Il ne faut donc pas songer, en ces moments où tout est prétexte à tout briser, aux élégances et aux beaux arts, la poésie est morte et le drame se tait. Le seul poëte de ces temps d'orage, ce fut M. Auguste Barbier, l'auteur de ces lambes, un instant populaires, qui avaient pris le pas sur les Harmonies de M. de Lamartine, ce livre charmant, écrit au pied du hêtre de Virgile, imprimé pour ainsi dire sur les barricades du mois de juillet. Qu'est-il devenu, cet Auguste Barbier, célèbre un instant? Pourquoi ce silence obstiné? A relire aujourd'hui ses vers remplis de vengeances, de poésie et de fureurs, on se demande d'où venait cet homme et quelle Providence le poussait? Il parlait à la façon des prophètes; il avait, on l'eût dit, quelque chose d'Ézéchiel, allant de visions en visions:

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