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voir, sale au possible; un affreux bossu, édenté, à peine un homme..., et j'en vais tirer des monceaux d'or.

LE CHOEUR. Ah! ah! la bonne aventure! Et tu crois que nous te croyons? Et tu penses que nous portons pour rien un bâton ferré? Vraiment, c'est être bien osé que de se moquer de nous à ce point-là !

PROUDHON. Amis! pourquoi ce courroux? Pensez-vous donc que je sois naturellement si méchant, et que je vous dise des sornettes pour me menacer ainsi ?

LE CHOEUR. Que me veut cet échappé de prison? Prends garde! tu as l'esprit malin, nous le savons, mais prends garde, nous avons tout quitté pour t'entendre, et même une grande quantité de beaux oignons qui étaient l'espoir de notre dîner.

PROUDHON. Mais quand je vous dis que ce porte-besace, c'est Plutus en personne; laissez-vous faire, vous allez être riches... LE CHOEUR. Comme Midas?

PROUDHON. Comme Midas! et si vous m'échauffez les oreilles, vous aurez les oreilles de Midas.

LE CHOEUR. O bonheur! ô fortune! ô grand Proudhon!

PROUDHON. Suivez-moi donc, car je prétends, pour ma peine, marcher le premier, quand vous devriez me pousser à grands coups de pied! Hâtez-vous, mes enfants, haussez le ton, faisons autant de bruit que le Cyclope qui bat le fer quand le fer est chaud. Allons! allons!...

Ici je cesse de traduire, tout le reste est intraduisible, ou du moins il faudrait, par politesse, le laisser sur le compte de Carion. Proudhon et les villageois se mettent en marche, en chantant un cantique d'actions de grâces et... Ici s'arrêtent les strophes du chœur, le reste du choeur s'est perdu; point de conclusion à tant de belles promesses que faisait Plutus à ces braves villageois qui doutent du nouveau prophète.... Quelle était la conclusion de ce choeur? On peut la deviner, tant c'était un homme de bon sens, cet Aristophane, mais enfin on ne dit pas ce que deviennent les partageux de cette comédie; on n'a que le commencement de leur cantique et il faut bien s'en contenter, seulement, à l'acte suivant, on voit que le poëte comique a repris le dessus et qu'il accable, de son ironie et de son mépris, le grand système!

C'est ainsi qu'Aristophane se moque du grand systéme par la

bouche de Chremyle le bourgeois. O surprise! Chremyle est riche. Oui, mais Chremyle tremble; il a peur comme s'il avait volé son or dans le temple de quelque dieu! Chremyle est riche, il achète tout ce qui est à vendre... Survient alors l'éternelle entrave, l'éternel remords, la pauvreté, le pauvre de Don Juan, les yeux hagards et pleins de fureur! La pauvreté se plaint...

<< De quoi se plaint-elle? dit l'enrichi... on lui a laissé l'abîme! » A ce propos qu'il nous soit permis d'entourer, de nos hommages sans réserve, ce grand poëte Aristophane, ce libre penseur, ce merveilleux conseiller, cet ennemi de la déclamation; austère et vigilant comme Démosthène 2, et comme lui populaire à force d'austérité et de vertu ; car à peine a-t-il évoqué la pauvreté, comme Molière évoque la statue du Commandeur, Aristophane tire de l'âme de son fantôme décharné, non pas des lamentations sociales et des blasphèmes, mais le conseil et l'espérance.

Oui, dit-elle en relevant fièrement la tête, oui, je suis la pauvreté, et je m'en fais gloire! En même temps, la voilà qui chante son hymne de triomphe! « Otez la pauvreté de ce monde, laissez le monde à Plutus.... soudain, plus de poëtes, plus d'artisans, plus d'artistes! Faites des hommes autant de riches, quel mortel consentira à forger le fer, à construire les légers navires, à demander à Cérès les fruits de la terre? Soudain vous n'êtes plus qu'une race de lâches et de paresseux! Supprimez la pauvreté sainte, vous vous condamnez à labourer, à bêcher, à faire les habits, à les laver à la fontaine. Plus de lits pour le sommeil ! plus de tapis pour le repos! plus de pourpre et plus de vin pour les noces! Respect à la pauvreté! Maîtresse habile et ménagère, elle est la fortune, elle est la force, elle est la gloire; d'elle seule vient le charme du foyer domestique; elle donne la puissance, le sang-froid, la bonté, l'élégance; elle protége le riche contre le gueux, elle défend le mendiant contre le riche.

- « O vil Plutus! tu défigures les hommes, tu les accables de goutte et d'infirmités, tu leur ôtes la force et l'élégance; moi,

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4. Tacite l'a dit : Timidi et imbelles, quales amœna Græcia et deliciæ orien tis educunt. Ces Grecs timides et efféminés, à la façon des hommes d'Orient!

la Pauvreté, je les laisse jeunes, prestes, sobres, honnêtes, éloquents! Vous disiez tout à l'heure que Jupiter était riche : il est pauvre, et voilà pourquoi il est un Dieu! Quelle est la récompense suprême de Jupiter, sur la terre des héros? - une couronne d'or? Non! non! une branche de laurier sauvage! »

C'est merveilleux à entendre tout ce passage, et l'on se demande ce que veut dire ce mot: Progrès! quand après tant et tant d'années, tant et tant de siècles, de révolutions, de religions, de croyances, l'humanité se retrouve si loin, si loin de ces idées justes, saines, consolantes, sociales, honnêtes?...

Après la louange de la pauvreté arrivent les ennuis de l'abondance: A quoi bon ces coffres pleins d'or, ces cruches remplies d'encens, ce puits d'huile, et ces tonneaux de vin? La pauvreté passe son chemin en compagnie du travail, dédaignant les sycophantes qui ne croient ni à la pauvreté, ni à son camarade le travail; le pauvre d'Aristophane aurait honte de s'engraisser en se mélant des affaires des autres. Enfin, et ceci est la conclusion du Plutus: «< riche ou pauvre, qu'importe? c'est pour si peu de temps ! » La vieillesse arrive en psalmodiant le proverbe : Les Milésiens étaient braves jadis ! Ce proverbe est un oracle, un oracle qui sert, depuis la quatre-vingt-seizième olympiade. Que de nations oubliées, après leurs jours glorieux, ont pu inscrire, sur leur tombeau Les Milésiens étaient braves, jadis!

A cette comédie de Plutus, il y a un sixième acte, ou, si vous aimez mieux, un cinquième acte, plus un tableau, comme cela se passait au ci-devant Théâtre-Historique dans la pièce de M. Bulwer, intitulée : l'Argent. Dans le dernier tableau, les dieux se plaignent d'être négligés par les hommes, depuis que la Fortune s'est répandue çà et là comme l'eau des fontaines l'encens ne fume plus sur les autels déserts; on n'y traîne plus les victimes sanglantes. L'Olympe est abandonné à qui veut le prendre, et, pour le remplir, les dieux vaincus poussent, au sommet de l'Olympe, le mendiant, l'aveugle, le besacier du premier acte, le dieu Plutus! M. Bulwer (nous l'avons vu à l'œuvre, qui insultait mademoiselle de La Vallière) n'est pas Aristophane, non, pas plus qu'il n'est Walter Scott ou lord Byron. Sa plaisanterie est triste, sa gaieté est grossière; il remplace l'esprit par le bruit, le bon mot par le grognement; il grogne pour le parterre, comme on gro

gnait pour O'Connell. En vain le traducteur ou les traducteurs, à force de tact et de politesse, ont habilement atténué l'accent, la gentillesse, le dialogue et le goût du terroir, il reste encor assez de cette composition tudesque, de cette plaisanterie normandesaxonne, pour témoigner à chaque passage, à chaque mot, de son origine étrangère. Croyez-moi, mes chers confrères, quand vous voudrez rester dans les bornes légitimes du goût, du style, des convenances, de l'imagination et de l'esprit, soit que M. Bulwer fasse des comédies, soit qu'il écrive des tragédies, soit qu'il invente des romans...., ne vous adressez ni aux comédies, ni aux tragédies ni aux romans, ni aux poëmes, ni à l'esprit, ni au génie de M. Bulwer.

LES FÊTES DE VERSAILLES.
L'AMOUR MÉDECIN. - LE BOURGEOIS GENTILHOMME.
SAIRE DE LA NAISSANCE de Molière.

LULLI, MOLIÈRE ET QUINAULT.

-

ANNIVER

Ces divertissements, ces ballets, ces fêtes, ces cadeaux, ces longues sérénades apportées d'Italie, la Seine traversée par des barques chargées de fleurs et de mélodies, et toute semblable à l'Arno qui coule à Florence, ce récit galant que nous fait le magnifique Menteur de Corneille, splendidè mendax, ces couplets satiriques et ces chansons à boire, ces menuets, ces sarabandes et ces chaconnes, qui donc anime soudain ces fêtes de la poésie et de la jeunesse, au plus beau moment de Louis XIV et de son règne?

Quel Amphion a construit la comédie à machines, afin que les plus beaux rêves amoureux d'un roi de vingt ans soient réalisés sur un théâtre? - Quelle vie nouvelle ajoutée à la poésie de Quinault, à la prose de Molière, et quelle est la voix puissante qui sait chanter, d'une façon si lamentable, les héros de ce siècle, apportés à Notre-Dame de Paris, sous un sacorphage d'or et de velours? Vous l'avez dit, vous l'avez nommé, l'enchanteur de Versailles naissant, le vrai poëte de ces poésies, le collaborateur de ces grands poëtes, l'homme le plus populaire et le plus aimé de cette cour qui s'abandonne à tous les enivrements de l'amour et de la gloire, c'est Lulli! C'est ce méchant petit Italien, arrivé on ne sait d'où, dans les cuisines de la grande Mademoiselle, et qui déjà se faisait remarquer par le bruit harmonieux qu'il savait

rencontrer dans le choc de deux casseroles de cuivre et de leurs deux couvercles! Ce singe effronté et malin inventait la musique du grand siècle, comme Racine a inventé la tragédie.

Il avait ce vil bouffon — la verve ingénieuse de ces Italiens enfants de la mélodie, qui chantent comme l'oiseau chante, et sans plus de préparation. Il était vif, mélodieux, câlin, railleur, avide d'argent et de renommée, dormant peu, ne rêvant jamais, composant toujours, et aussi content de trouver une idée, par la toute puissance du hasard qui est le vrai dieu des musiciens, que de la rencontrer dans sa passion ou dans son génie Il a été toute sa vie le maître de son art; il a été le seul et sans partage; il a tenu à ses gages, assez minces, un des plus grands poëtes de la France, nommé Quinault, et peu s'en est fallu qu'il ne fit, de La Fontaine lui-même, un poëte à sa suite! Heureusement que le bonhomme se révolta contre les prétentions de Baptiste (on l'appelait ainsi, à la cour), et que ce métier de librettiste lui fit horreur.

On ne sait plus aujourd'hui (et tant mieux!) ce qu'était un divertissement de la cour, et comment s'arrangeait un ballet dansé devant Leurs Majestés, par Monsieur, par Mademoiselle, par le Roi enfin. Ce serait toute une histoire, l'histoire de ces divertissements dans lesquels se divertissent, en effet, pour leur propre compte, et sans souci du qu'en dira-t-on, ces jeunes gens et ces jeunes demoiselles, sous les regards de la reinemère, de M. le cardinal ou de la reine de France, pas un ne s'inquiétant, parmi les acteurs ou les spectateurs, de ces fêtes de l'ile enchantée, de l'opinion de la foule, au delà de la cour. Le plaisir, c'est la grande affaire. Que les jeunes gens soient bien faits, que les princesses soient belles, que, les uns et les autres, ils soient brillants comme autant d'étoiles qui servent de cortège au soleil, voilà tout ce qu'on demande. Le reste ne vaut pas la peine qu'on s'en inquiète. D'art et de goût, de vérité et même de de cence, il en est à peine question.

Tous les patois, et tous les baragouins, et toutes les pointes, et tous les mots à double sens sont parfaitement admis dans ces folies des soirées royales, où chacun lutte à qui fera sourire le maître de céans, que le maitre s'appelle Kichelieu ou bien Louis XIV. D'abord on se déguise en mille habits plus étranges

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