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Il n'eft pas néceffaire, pour la régularité de la céfure, que le fens finiffe abfolument après la fixieme ou la quatrieme fyllabe, & qu'il n'y ait rien dans un hémiftiche qui foit régime ou qui dépende de ce qui eft dans l'autre. Il fuffit que ce régime ou cette dépendance n'empêche pas le repos, & n'oblige pas à lier en prononçant, la derniere fyllabe d'un hémiftiche avec la premiere de l'autre. Ainfi quoiqu'en ce Vers,

Tant de fiel entre-t-il dans l'âme des dévots?

dans l'âme des dévors, foit le régime du verbe entre-t-il, la céfure en eft réguliere, parce que, fans forcer le fens de la phrafe, on peut faire naturelement après entre-t-il, une paufe qui diftingue les deux hemifliches. Il en eft eft de même de ces deux Vers:

Que de ton bras-la force les renverse.
Que de ton nom-la terreur les difperfe

où l'on peut fe repofer après de ton bras & de ton nom, quoique ces deux génitifs foient régis par les noms fuivans, la force & la terreur. Nous nous contenterons d'obferver ici les principales circonstances qui peuvent rendre la céfure défectueufe.

I. Le repos étant, comme nous avons dit, effentiel à la céfure, elle ne peut être formée que par une fyllabe qui finit un mot : c'eft-à-dire, que la fixieme ou la quatrieme fyllabe d'un Vers de douze cu de dix fyllabes, doit toujours être la derniere d'un mot, afin que l'on puiffe s'y repofer. Ainfi cette phrafe, quoique de douze fyllabes:

Que peuvent tous les fei-bles humains devant Dieu ?

ne feroit pas un Vers, parce que la fixieme fyllabe eft la premiere du mot foibles, & que l'on ne peut pas s'y repofer. Au lieu qu'en changeant l'ordre des mots, & en difant':

Que peuvent devant Dieu tous les foibles humains ?

on a un Vers parfait dont le repos tombe fur la fixieme fyllabe, formée par le mot Dieu.

II. L'e muet ou féminin, feul ou fuivi des lettres sou ne, n'ayant qu'un fon fourd & imparfait, ne peut jamais terminer la fyllabe du repos. Mais lorsqu'un mot terminé par un e muet feul eft fuivi d'un mot qui commence par une voyele avec laquelle l'e muet fe mange; alors la céfure peut tomber fur la fyllabe qui précede l'e muet, & qui, par J'élifion de cet e, devient la derniere du mot. Par exemple, funefte, qui a trois fyllabes, quand il eft fuivi d'un mot qui commence par une confone, comme quand on dit, funefte paffion; n'en a plus que deux, quand il eft fuivi d'un mot qui commence par une voyele, comme dans funeste ambition : & c'eft fur la feconde que peut tomber la céfure, quand la derniere fe mange avec le mot fuivant. Ainfi dans ces deux Vers:

Et qui feul fans Minif-tre, à l'exemple des Dieux,
Soutiens tout par toi mê-me, & vois tout par tes ieux.

La céfure tombe fur la feconde fyllabe de ministre, & fur la premiere de même, les dernieres fyllabes de ces deux mots fe mangent avec les voyeles fuivantes.

III. Les articles, quels qu'ils foient, étant inféparables des noms, ne peuvent jamais former la céfure des Vers, & celui-ci ne vaudroit rien:

Vous devez vaincre le-penchant qui vous entraîne.

IV. La céfure ne peut pas tomber fur un nom fubftantif suivi de fon adjectif, comme dans ces Vers:

Sais-tu qu'on n'acquiert rien de hon à me facher!
Mais j'aurois un regret-mortel, fi j'étois caufe,
Qu'il fût à mon cher maître arivé quelque chofe.

ai fur un nom adjectif fuivi de fon fubftantif, comme dans ces Vers:

Et pourions par un prompt-achat de cette efclave,
Empêcher qu'un rival nous previene & nous brave.
C'est encore un plus grand-fujet de s'étoner.

Cependant fi le fubftantif eft fuivi ou précédé de plufieurs adjeclifs, il peut être féparé par la céfure. Ainfi ces Vers font bons:

Morbleu, c'eft une chofe-indigne, lâche, infàme,

De s'abaiffer jufqu'à trahir fon âme.

Vengez-moi d'une ingra-te & perfide parente.

V. Les adverbes monofyllabes, comme, plus, très, fort, bien, mal, mieux, trop, &c. ne peuvent pas être féparés par la céfure, des adjectifs ou des verbes auxquels ils font joints comme dans ces Vers:

Ce jargon n'eft pas fort-nécessaire, me femble.
Si le chef n'eft pas bien-d'acord avec la tête.
De grâce, contez-moi-bien tout de point en point.
Nous verrons qui nendra-mieux parole des deux.
Vos ieux ne font que trop-affures de lui plaire.

VI. La céfure ne peut pas féparer les pronoms perfonels, des Verbes dont ils font nominatifs, ni les pronoms conjonctifs, des Verbes dont ils font régimes, quand ils les précedent ou les fuivent immédiatement. Ainfi ces Vers ne vaudroient rien :

Je me flate que vous-me rendrez votre eftime.
Songeons que la mort nous-furprendra quelque jour.

VII. Les pronoms, ce, cet, ces; mon, ma, mes; que, qui, quel, quoi, dont; lequel, laquelle ne peuvent jamais former la céfure d'un bon Vers, coinme dans ceux-ci :

Fuyon's les vices qui-nous font perdre la grâce.

Tant mieux. Vous faurez que-depuis tantôt la belle
Sent toujours de fon mal quelque crife nouvelle.

Celui, celle & ceux, s'y foufrent quelquefois, mais ils ont toujours quelque chofe de languiffant & de profaïque, comme dans ces Vers:

Il n'eft fort entre ceux-que tu prends par centaines,

Qui ne puiffe arrêter un rimeur fix femaines.

VIII. Le verbe fubftantif érre, fuivi d'un nom adjectif, ne peut pas en être féparé par la cefure, fur-tout quand il eft à la troifieme perfone du fingulier du préfent de l'indicatif, comme dans ces Vers:

On fait que la chair eft-fragile quelquefois.

Si notre efprit n'ell-pas-fage à toutes les heures,

Les plus courtes erreurs font toujours les meilleures.

IX. Les Verbes auxiliaires immédiatement suivis des participes, ne doivent pas en être féparés par la céfure, fur-tout s'ils ne font que d'une fyllabe, comme dans ces Vers:

Que vous ferez toujours, quoi que l'on fe propose,
Tout ce que vous avez-été durant vos jours.

Et comme je vous ai-rencontré par hazard,
J'ai cru que je devois de tout vous faire part.

Je ne faurois foufrir, a-t-il dit hautement,
Qu'un honète homme soit-trainé honteufement.

X. Quand deux verbes ou un verbe avec un nom font un fens indivifible, la céfure ne doit pas les féparer, comme dans ces Vers:

Mon pere, quoiqu'il eût la tête des meilleures,
Ne m'a jamais rien fait-apprendre que mes heures.

Car le ciel a trop pris-plaifir de m'affliger,
Pour me donner celui de me pouvoir venger.

Si bien que les jugeans-morts après ce temps-là,
Il vint en cette ville, & prit le nom qu'il a.

XI. La céfure ne peut pas fe trouver entre un verbe & la négation pas, ou tout autre adverbe négatif, comme dans ces Vers:

Non, je ne foufrirai-pas un pareil outrage.
Croyez que vous n'aurez-jamais cet avantage.

XII. La céfure eft encore mauvaise quand elle fépare une prépofition de fon régime, comme dans ces Vers:

Peut-être encore qu'avec toute ma fuffifance,
Votre esprit manquera dans quelque circonftance.
Par vos geftes durant-un moment du repas....

Si j'avois jamais fait cette baffeffe infigne,
De vous revoir après-ce traitement indigne.

J'y fuis encor, malgré-tes infidélités.

XIII. Enfin les conjonctions compofées de plufieurs mots dont le dernier eft de ou que, comme afin de, de peur de, de peur que, avant de, avant que, auffi-tôt que, tandis que, encore que, &c. ne doivent pas étre féparés par la céfure. Ainfi ce Vers feroit mauvais :

Quoi! vous fuyez tandis que vos foldats combatent ?

Au refte, comme la céfure ett faite pour l'oreille, on peut donner pout regle générale & infaillible, qu'une céfure ett bonne, fi elle fatislat l'oreille; & qu'elle eft vicienfe, fi l'oreille en efl choquée : & ce n'hi que par la lecture des bons Vers, qu'on peut fe mettre en état d'en juger.

Des Licences dans la Verfification.

On appelle Licences certains mots qui ne feroient pas reçus dans la Profe commune, & qu'il efl permis aux Poêtes d'employer. La plupart même de ces mots, fur-tout dans la Poéfie fublime, ont beaucoup plus de grâce & de nobleffe que ceux dont on fe fert ordinairement. Le nombre n'en eft pas grand. Voici les principaux :

Les humains ou les mortels pour les hommes.

Mon cher fils, dit Louis, c'eft de là que la grâce
Fait fentir aux humains fa faveur efficace.

Plus fage en mon refpect, que ces hardis mortels,
Qui d'un indigne encens profanent tes autels.

Forfaits pour crimes....

O toi, de mon repos compagne aimable & fombre,
A de fi noirs forfaits prèteras-tu ton ombre?

Courfier au lieu de Cheval.

Les momens lui font chers; il court dans tous les rangs,

Sur un courfier fougueux, plus léger que les vents.

Glaive pour épée.

Ils s'ataquent cent fois, & cent fois fe repouffent.
Leur courage s'augmente, & leurs glaives s'emouflent.

Penfer pour Penfie.

Votre âme à ce penfer de colere murmure.

Les ondes pour les eaux.

Le limon croupiffant dans leurs grotes profondes,
S'éleve en bouillonant fur la face des ondes,

Fl

Flanc pour fein.

Les Dieux m'en font témoins, les Dieux qui dans mon flanc,
Ont alumé le feu fatal à tout mon fang.

Antique pour ancien.

Suivez-moi, rappelez votre antique vertu.
C'eft un ufage antique & facré parmi nous,

L'Éternel au lieu de Dieu.

L'Éternel en fes mains tient feul nos deftinées :
Il fait, quand il lui plaît, veiller fur nos années.

Hymen ou hymenée pour mariage.

Crois-tu que d'une fille humble, honête, charmante,
L'hymen n'ait jamais fait de femme extravagante?
A qui même en fecret je m'étois deftinée;
Avant qu'on eût conclu ce fatal hymenée!
Espoir a plus de nobleffe qu'efpérance.

D'un espoir renaiffant le peuple eft enivré.

Jadis pour autrefois.

Sermens jadis facrés, nous brifons votre chaîne.

Soudain pour auffi-tôt.

Le falpêtre enfoncé dans ces globes d'airain,
Part, s'échaufe, s'embrafe, & s'écarte foudain,

Alors que pour lorfque.

Aveuglé par fon zele, il te défobéit,

Et penfe te venger, alors qu'il te trahit.
Cependant que pour pendant que, tandis que.

Cependant que j'embraffe une image frivole,
Rome entiere m'appele aux murs du Capitole,

N'a guere pour il n'y a pas long-temps.

Cette loi que n'a guere un faint zele a dictée,
Du ciel en ta faveur y femble être apportée.

On fupprime fouvent ne avant les Verbes, dans les interrogations négatives:

Vois-tu pas que fa haine égale mon amour?

au lieu de dire, ne vois-tu pas, &c.

Il est très ordinaire de fupprimer l'e must du mot encore, pour le faire de deux fyllabes en érrivant encor.

Nanan

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