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Encor, fi ta valeur à tout vaincre obftinée,

Nous laiffoit pour le moins refpirer une année.

Encore de trois fyllabes avec l'e muet a quelque chofe de languiffant dans le corps du Vers, avant un mot qui commence par une confone, & il eft mieux de ne l'employer ainfi qu'à la fin du Vers:

Etudions enfin, il en eft temps encore.

On fait auffi quelquefois avec de trois fyllabes, en y ajoutant que.

Quitons donc pour jamais une ville importune,
Où l'honeur eft en guerre avecque la fortune.

ARTICLE II.

De la Rime.

A Rime qui fait la plus grande beauté des Vers François, eft uns Lovenance de fon la fin des mots, de chaque vero doit finir

par un mot qui ait cette convenance de fon avec le dernier mot d'un autre Vers. Ainfi ces deux Vers riment ensemble.

A ta foible raifon garde-toi de te rendre :

Dieu t'a fait pour l'aimer, & non pour le comprendre.

La Rime n'étant que pour l'oreille, & non pas pour les ieux, on doit plutôt en juger par le fon que par l'orthographe. Ainfi, quoique les fyllabes finales de deux mots s'écrivent différemment, il fuffit ordinairement qu'elles produifent le même fon, pour qu'elles riment enfemble, comme repos & maux dans ces deux Vers:

Tout confpire à la fois à troubler mon repos,
Et je me plains ici du moindre de mes maux.

Par la même raifon, fi les fyllabes finales de deux mots s'écrivent de la même maniere, & qu'elles fe prononcent différemment, elles ne peuvent rimer ensemble. Ainfi la rime de ces deux Vers est défectueuse :

Ma colere revient, & je me reconois :
Immolons en partant trois ingrats à la fois.

De la Rime Mafculine & Féminine.

La rime fe divife en mafculine & féminine: d'où les Vers font appelés mafculins ou féminins, comme nous l'avons dit, page 819. La Rime féminine et celle qui finit ou par un e muet fimplement, comme dans ces deux Vers:

L'Eternel est fon nom. Le monde eft fon ouvrage.

Il entend les foupirs de l'humble qu'on outrage.

ou par un e muet fuivi d'une s, comme dans ceux-ci :

Objet infortuné des vengeances céleftes,

Je m'abhore encor plus que tu ne me déteftes.

ou par une muet fuivi des lettres nt, comme dans ceux-ci :

C'eft lui-même. Il m'échaufe. Il parle. Mes ieux s'ouvrent :

Et les fiecles obfcurs devant moi fe decouvrent.

La Rime mafculine eft celle qui eft formée par toute autre terminaison que par une muet, foit par une voyele, comme dans ces Vers: Miférables jouets de notre vanité,

Faifons au moins l'aveu de notre infirmité.

foit par une confone, comme dans ceux-ci :

Le faux eft toujours fade, ennuyeux, languiffunt;
Mais la nature eft vraie & d'abord on la fent.

Les troifiemes perfones du pluriel de l'imparfait de l'indicatif & du conditionel préfent des Verbes, n'ont pourtant pas la rime féminine, quoique terminés en oient , parce que ces cinq lettres ont, comme nous avons dit, le fon de l'è ouvert, & qu'ainfi elles forment une rime masculine, comme dans ces deux Vers:

Aux acords d'Amphion les pierres fe mouvoient,

Et fur les murs Thebains en ordre s'élevoient.

On ne confidere prefque jamais que le fon de la derniere fyllabe des mots pour la rinne mafculine. Ainfi vérité rime avec piété; raifon avec maifon; malheur avec douleur; fuccès avec procès, &c.

Mais le fon de la derniere fyllabe des mots ne fuffit pas pour la rime féminine, parce que la prononciation fourde & obfcure de l'e muet empêche d'y apercevoir une convenance fenfible. Ainfi quoique la derniere fyllabe de monde foit femblable à la derniere de demande, cependant ces deux mots ne riment pas, non plus que louange avcc menfonge; fidele avec fcandale, &c.

Il faut donc encore prendre la convenance des fons, néceffaire pour la rime féminine, de la pénultieme fyllabe des mots. Ainfi monde rimera fort bien avec profonde; demande avec offrande; louange avec mélange; fidele avec modele; fcandale avec morale, &c.

De ce qui fuffit ou ne fuffit pas pour la Rime.

La Rime tant mafculine que féminine eft d'autant plus parfaite qu'il y a plus de reffemblance dans les fons qui la forment. Ainfi, quoique plaifir rime bien avec foupir, & prudence avec récompenfe; cependant

Nnnnnij

plaifirs rime encore mieux avec defir, & prudence avec providence, parce qu'outre la conformité des fons ir & ence effentiele à lune & à l'autre rime, les confones f& d qui les précedent font encore les mêmes: ce qui ajoute un nouveau degré de perfection à la rime.

Quand les fyllabes qui forment la rime, c'ef-i-dire, la derniere pour la rime mafculine, & la pénultieme pour la rime féminine, commencent par une voyele, il eft néceffaire, fi elles ne font pas les premieres du mot, qu'elles foient précedées d'une autre voyele, comme on peut le reconnoître dans les mots li-en, nati-on, préci-eux, artificiele, vertu-eufe, fci-ence, &c.

Or il faut, pour la plus grande perfection de la rime de ces fyllabes, que non feulement elles foient précédées des mêmes voyeles, mais encore que les confones qui précedent ces voyeles, foient les mêmes ou ayent le même fon. Ainfi lien qui rime avec gardien, rimera encore mieux avec italien; nation qui rime avec union, rimera mieux avec ambition; précieux qui rime avec curieux, rimera mieux avec audacieux; artificiele qui rime avec citadele & matériele, rimera beaucoup mieux avec effentiele; vertueuse qui rime avec fameuse & monftrueuse, rimera mieux avec impétueufe; fcience qui rime avec espérance & confiance, rimera beaucoup mieux avec patience, &c.

On appele rime riche ou heureufe, celle qui eft formée par la plus grande uniformité de fons; & rime fuffifante ou commune celle qui n'a rien de plus que les fons effentiels.

Il arrive même que les fons effentiels à la rime ne fuffifent pas en bien des occafions, & qu'il faut encore y ajouter le fon des confones ou des voyeles précédentes. Ainfi liberté ne rimeroit pas avec aimé, quoique l'é fermé foit le fon final de l'un & de l'autre mot; ni créa avec allia, quoiqu'ils ayent tous les deux la voyele a pour derniere fyllabe.

Les fons effentiels à la rime ne fuffifent pas, quand ils ne font ni affez pleins ni affez marqués, ou qu'ils fe trouvent à la fin d'un grand nombre de mots, parmi lefquels on peut aifément choifir ceux dont la rime a plus de Convenance.

Les fons effentiels à la rime fuffifent, quand ils font pleins, ou qu'ils fe trouvent dans des monofyllabes, ou qu'ils ne font précédes mêmes confones ou des mêmes voyeles, que dans un très-petit nombre de mots.

des

I. Les fons que l'on appele pleins, font ceux de l'a & de l'o, des г ouverts, des voyeles compofées, ai, ei, oi, au, eau, eu, & ou; voyeles nafales an, am, en, em, in, im, ain, ein, aim, on om, un, um, des voyeles longues, des diphthongues, ie, oi, ui, ieu, ien, ion, oin, & des voyeles fuivies de plufieurs confones femblables ou différentes. Ainfi combats rimera avec embaras; fatale avec inegale; repos avec héros; parole avec immole; progrès avec fuccès; mer avec enfer; ouvert avec offert; même avec extrême; jamais avec parfaits ; maître avec paroître; reine avec peine; tableau avec fardeau; rigoureux avec cheveux; bonheur avec ardeur; courroux avec genoux; venin avec

car

defein; pardon avec leçon, commun avec importun; lumiere avec riere; vouloir avec favoir; ennu avec aujourd'hui; conduite avec pourfuite; entretiens avec conviens; temoin avec befoin; horrible avec fenfible; injure avec murmure, &c.

Le fon de l'a n'en plein & fuffifant pour la rime, que quand il eft dans la pénultieme fyllabe da mot, ou qu'étant dans la derniere, il eft fuivi de quelque confone, comme dans agreable, favorable, état, fénat, trépas, foldats, remparts, etendards. Mais s'il eft la derniere lettre du mot, comme dans toutes les troiten.es perfones du fingulier du prétérit des Verbes de la premiere conjugaifon, il faut qu'il foit précédé de la même confone ou de la même voyele. Ainti condamna rineroit avec donna, mais non pas avec tomba, marcha, confia, ni avec d'autres où l'a ne feroit pas précédé d'une n.

Quoique le fon de la rime en ant ou en ent, foit plein, néanmoins à caufe du grand nombre de mots où elle fe trouve, on ne doit faire rimer enfemble que ceux où ant & ent font précédés des mêmes confones ou des mêmes voyeles. Ainfi diamant ne rimeroit bien qu'avec un mot terminé en mant ou ment, comme égarement; & fuppliant ne rimeroit bien qu'avec un mot terminé en iant, comme criant, &c. Par la même raifon eu & on, précédés d'une confone, ne riment pas bien avec eu & on, précédés de la voycle i. Ainfi heureux ne rime pas bien avec ambitieux, ni moon avec paffion; mais heureux rimera avec courageux; moiffon avec trahifon; ambitieux avec furieux; & paffion avec religion.

Les voyeles qui n'ont pas un fon plein, font l'e fermé, ou feul, comme dans beauté, ou fuivi des confones f, & r, comme dans beautés, aimez, aimer; l'i & l'u, ou feuls, comme dans ami, vertu, ou fuivis d'une confone qui n'en alonge pas fenfiblement le fon, comme dans amis, vertus, habit, tribut, &c. Et ces voyeles ne pouront former de bonnes rimes mafculines qu'autant qu'elles feront précédées des mémes confones ou des mémes voyeles. Ainfi beauté rimera bien avec divinité; beautés avec divinités; aimez avec animez; aimer avec animer; pitié avec amitié; ami avec endormi; vertu avec combatu; amis avec endormis, &c.

On peut donner pour regle générale que quand les rimes mafculines font bonnes ou fuffifantes, elles font encore meilleures en devenant féminines par l'addition de l'e muet; parce qu'outre la nouvele conformité de fon que l'e muet y ajoute, il oblige encore d'apuier davantage fur la penultieme fyllahe, & en rend par-là le fon plus plein qu'il n'étoit auparavant. Par exemple, fi confiere & révéré, foupir & defir, fujet & difcret, interdit & petit riment bien; confacrée & révérée, foupire & defire, fujete & difcrete, interdite & petite, riment encore mieux.

Mais de ce que les rimes féminines font bonnes, comme puiffante & chancelante, heureufe & furieufe, il ne s'enfuit pas que les rimes femblables mafculines le foient auffi: car pulfant riuieroit mal avec chancelant, & heureux avec furieux, comme nous l'avons obfervé plus haut.

II. On ne cherche pas une fi grande conformité de fon, quand on fait rimer un monofyllabe avec un autre monofyllabe ou avec un mot de plufieurs fyllabes. Il fuffit que le fon effentiel à la rime s'y trouve. Ainfi loi rimera avec foi & avec éfroi pas avec bas & avec états; paix avec faix & avec jamais, mis avec pris & avec fortis; dit avec efprit; vous avec loups & avec courroux, &c. & par la même raifon il n'y a rien d'irrégulier dans la rime de ces deux Vers:

Lui que tu fis languir dans des tourmens honteux,
Lui dont l'aspect ici te fait baiffer les ieux.

III. Quand il n'y a qu'un très-petit nombre de mots où les fons effentiels à la rime foient précédés des mêmes confones ou des mêmes voyeles, cette rareté difpenfe des regles que nous venons d'établir, & autorife à fe contenter des rimes fuffifantes. Ainfi parce qu'il n'y a que très-peu de mots terminés en pir, on fait rimer foupir avec defir; & on fait rimer trahir avec obéir, à caufe du petit nombre de mots où ir est précédé des mêmes voyeles.

Cette licence ne peut regarder qu'un très-petit nombre de mots terminés en u, us, ut; is, it & ir: encore faut-il en ufer avec beaucoup de ménagement, & quand on eft abfolument forcé par la difete de la rime.

Mais à l'égard des mots terminés en é fermé feul, ou fuivis des lettres 5,1,, & en i feul, le nombre en eft fi grand, qu'on ne doit jamais fe difpenfer de les faire rimer par les confones ou voyeles qui précedent l'e, & l'i. Ainfi quelque beaux que foient ces Vers pour le fens, ils pêchent par la rime:

Un juge incorruptible y raffemble a fes pieds
Ces immortels efprits que fon foufle a créés.

Ayez pitié d'un cœur de foi-même ennemi,

Moins malheureux cent fois, quand vous l'avez hai.

La terminaifon en ai des prétérits de l'indicatif des Verbes de la premiere conjugaifon, des futurs de tous les Verbes, & du préfent de l'indicatif du Verbe avoir, ayant le fon de l'é fermé, on peut fort bien la faire rimer avec un mot terminé en é fermé, comme dans ces Vers:

Vaincu, chargé de fers, de regret confumé,
Brûlé de plus de feux que je n'en alumai.

Mon oncle, foyez sûr que je ne partirai
Qu'après vous avoir vu bien cloué, bien mure.

Non, je ne prétends plus demeurer engagé,
Pour un cœur où je vois le peu de part que j'ai.

La rime féminine de l'é fermé ne doit pas être moins parfaite que la mafculine, & il n'y a guere de Poêtes qui n'obfervent pas les mêmes regles à l'égard de l'une & de l'autre. Ainfi cimée ne rimera bien qu'avec

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