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un mot terminé en mée, & confiée ne rimera bien qu'avec un mot terminé en iée.

Il n'en eft pas de même des rimes féminines en ie, & en ue, que l'on emploie quelquefois fans qu'elles foient précédées des mênies confones, comme dans ces Vers:

O Ciel pourquoi faut-il que ta fecrete envie
Ferme à de tels heros le chemin de l'Afie.

Polinice, Seigneur, demande une entrevue:
C'eft ce que d'un héraut nous apprend la venue.

Les mots terminés en ui, uie, uis, uit, doivent toujours rimer avec des mots qui ayent la même terminaifon, & le fon de la diphthongue ui étant affez plein de lui-même, il n'est pas néceffaire qu'elle y foit précédée des mêmes confones.

En quelles occafions il faut faire acorder la rime avec l'Orthographe.

Quoique nous ayons dit plus haut qu'il n'étoit pas néceffaire, pour la validité de la rime, que les dernieres fyllabes des mots s'écrivent avec les mêmes lettres, & qu'il fuffifoit qu'elles produififfent le même fon, il y a néanmoins quelques occafions où l'Orthographe doit s'accorder avec la rime.

I. Un mot terminé par une s, par un x, ou par un, ne rimeroit pas avec un mot qui ne feroit pas terminé par l'une de ces trois lettres. Ainfi aimable ne rimeroit pas avec fâbles; ni difcours avec jour; ni vérité, avec vanités ou méritez; ni genou avec vous ou courroux; ni cheveux avec heureux, & la rime de ces deux Vers eft défectueufe:

Oui, vraiment, ce vifage eft encor fort mettable.
S'il n'eft pas des plus beaux, il eft des agréables.

Mais il n'eft pas néceffaire que les mots dont la rime eft terminée par l'une de ces trois lettres, foient du nombre pluriel, ni que ce foit la même lettre qui les termine. Ainfi le difcours rimera avec les jours; célestes avec tu déteftes; le nez avec vous donnez; vanités avec méritez; vous avec courroux; paix avec jamais; loix avec rois, &c.

II. Quoique I'r ne fe prononce pas à la fin des Vers, dans les mots terminés en er avec l'é fermé, cependant ils ne doivent rimer qu'avec des mots également terminés en er, comme dans ces deux Vers:

Un ennemi fi noble à fu m'encourager :

Je fuis venu chercher la gloire & le danger.

III. On ne fait guere rimer une perfone de Verbe terminée en ois ou en vit ayant le fon de l'é ouvert, avec un mot qui auroit le même fon, mais qui s'écriroit différemment, comme j'aimois avec jamais; manquoit avec banquet. Il faut ordinairement recourir à une autre perfone

de Verbe terminée par les mêmes lettres, comme dans ces deux Vers:

Et fans trop s'enquérir d'où la laidę venoit,

11 fut, c'en fut aflez, l'argent qu'on lui donnoit.

IV. Les troifiemes perfones du pluriel des Verbes, terminées en ent ou en oient, ne doivent jamais rier qu'avec d'autres troifiemes perfones de Verbes qui ayent les mêmes terminaifons. Ainfi ils difeni ne rimeroit pas avec marchandise, ni faffent avec surface: mais dijent rimeroit bien avec lifent, & fafent avec efacent.

V. Les mots terminés par anc & ang, ne riment ordinairement au fingulier qu'avec des mots qui ayent l'une ou l'autre terminaifon, comme dans ces deux Vers:

Rempliffez les autels d'offrandes & de fang,

Des victimes vous-même interrogez le flanc.

VI. Quand un mot eft terminé par un t, il ne peut rimer qu'arec un mot qui foit terminé par un ou par un d. Ainti hezard rimera avec départ; verd avec couvert; nid avec finit; accord avec fort; fourd avec court, &c. comme dans ces deux Vers:

Sur l'argent, c'eft tout dire, on eft deja d'acord,
Ton beau-pere futur vide fon cofre fort.

& dans ceux-ci :

Vous voyez quel éfroi me trouble & me confond.

Il parle dans mes ieux, il cft peint fur mon front.

VII. On fait rimer enfemble tous les mots dont la derniere fyllabe a le fon de la voyele nafale in, de quelque maniere qu'elle s'écrive. Ainfi divin rimera avec humain, faim, deffein & chacun de ces mots rimera avec les autres, comme dans ces Vers:

Je n'y puis plus tenir, j'enrage, & mon deffein
Et de rompre en vifiere a tout le genre humain.
Déja d'un plomb mortel plus d'un brave eft atteint;
Sous les fougueux courfiers, l'onde écume & fe plaint.

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VIII. Quand les mots font terminés par une s ou par un x, venance des confones ou des voyeles précédentes ne s'exige plus avec la méme féverité. Il fuffit que les dernieres fyllabes aient le même fon. Aiufi combats rimera avec trepas; rangs avec tyrans; effets avec (crisfaits; heres avec travaux; balcons avec féconds; dehors avec accords; jours avec fourds & courts, &c.

IX. Eohn, hors les ci conftances que nous venons d'expliquer, on peut faire rimer enfeinhle toutes les confones & voyeles qui ont le même fon, quelques diferentes qu'elles puiflent être par le carcere. Ainfi être rimera avec connoître & maître; race avec ierraffe; con, Litt avec frere; chofe avec caufe, &c.

X. L' mouillée ne peut jamais rimer avec l'l fimple. Ain travail ne rimeroit pas avec cheval, ni merveille avec nouvelle, ni famille avec tranquille, &c.

Rime d'un mot avec lui-même.

Un mot ne peut pas rimer avec lui-même, à moins qu'il ne foit pris dans des fignifications différentes. Ainfi la rime de ces deux Vers eft irréguliere.

Les chefs & les foldats ne fe connoiffent plus.
L'un ne peut commander, l'autre n'obeit plus.

au lieu qu'il n'y a rien de répréhensible dans les rimes des Vers fuivans:

Prends-moi le bon parti. Laiffe-là tous les livres.

Cent francs au denier cinq, combien font-ils ? vingt livres.

Cependant, par un fort que je ne conçois pas,
Votre douleur redouble & croit à chaque pas,

Quand notre hôte charmé, m'avifant fur ce point,
Qu'avez-vous donc, dit-il, que vous ne mangez point?

Pour favoir où la belle eft allée,
Va-t-en chercher par-tout. J'arends dans cette allée.
Suffit, j'en fuis quite.

Après ce que j'ai dit, foufrez que je vous quite.
11 eft vrai, cher Crifpin; mais enfin tu fais bien
Que cela ne fait pas prefque le quart du bien.

Rime d'un fimple avec fon compofé.

Un mot fimple ne rime pas avec fon compofé, comme ami avec ennemi; écrire avec fouscrire; voir avec prévoir; mettre avec remettre; faire avec défaire, &c. Ainfi la rime de ces deux Vers ne peut paffer qu'à la faveur de la pensée :

Je connois trop les Grands: dans le malheur amis,
Ingrats dans la fortune, & bientôt ennemis.

A l'égard des compofés d'un même mot, on peut les faire rimer enfemble, lorfque leurs fignifications n'ont point de raport, comme dans ces deux Vers:

Dieu punit les forfaits que leurs mains ont commis,
Ceux qu'ils n'ont point vengės, & ceux qu'ils ont permis.

Rime de l'é fermé avec l'è ouvert.

L'é fermé ne rime pas avec l'è ouvert. Ainfi l'oreille eft bleffée de la rime des mots terminés en er avec l'é fermé, comme aimer, triompher, mériter, chercher, confier, &c. avec les mots terminés cn er avec

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l'e ouvert, comme la mer, l'enfer, Jupiter, cher, fier, &c. Ce défaut fe trouve dans les Vers fuivans:

He bien, brave Acomat, fi je leur fuis fi cher,
Que des mains de Roxane ils vienent m'aracher.

Ataquons dans leurs murs ces Conquerans fi fiers:
Qu'ils tremblent à leur tour pour leurs propres foyers.

De même les oreilles délicates auront peine à acorder la rime de terre avec celle de pere, quoi qu'en puiffe dire l'Auteur de ces deux Vers:

La main, la même main qui t'a rendu ton pere,

Dans ton fang odieux pouroit venger la terre.

non pas parce qu'il y a deux rr daus terre, & qu'il n'y en a qu'une dans pere, mais parce que l'e eft ouvert dans terre, & qu'il n'est qu'un peu ouvert dans pere, ce qui fait deux fons différens.

En forte que par cette raison, terre ne rimera bien qu'avec des mots où l'e fera ouvert, tels que guerre ou tonerre, comme dans les Vers fuivans du même Auteur :

Et ce peuple autrefois, vil fardeau de la terre,
Semble apprendre de nous le grand art de la guerre.

Ce peuple de vainqueurs armés de fon tonerre,
A--il le droit afreux de depeupler la terre?

Rime des Voyeles longues avec les Voyeles breves.

Les voyeles longues, foit qu'elles fe trouvent dans la derniere fyllabe des Vers mafculins, ou dans la pénultieme des Vers féminins, riment mal avec les voyeles breves, comme m'le avec cabale; intérêt avec objet; conquête avec coquete; dépôt avec dévot; côte avec grote; fantôme avec homme; trône avec courone; gîte avec vifite, &c. Ainfi la rime de

ces Vers n'est pas tout-à-fait exacle:

Je l'inftruiri de tour, je t'en donne parole,
Mais forge aulement à bien jouer ton rôle.

Si ce n'eft pas aflez de vous céder un trône,
Prenez encor le mien, &e vous l'abandonne,

Cependant une voyele breve peut abfolument rimer avec une longue, quand elle a de fa nature un fon allez plein, & que la difference du brof an long n'étant pas top fenfible, elle peut être facilement aidée & couigee por la prononciation: ce qui regarde principalement les voyeles a&u, Airi quoiqu'elles foient breves dans les mots preface & tout, M. Delpreaux a fait rimer ces mots avec grâce & goût, où elles font longues dans ces Vers:

Un Auteur à genoux dans une humble préface,
Au Lecteur qu'il ennuie a beau demander grace.

T

Aimez-vous la mufcade? On en a mis par-tout.
Saus mentir ces pigeons ont un merveilleux goût.

Au refte, c'eft à l'oreille à juger fi les voyeles longues & breves peuvent ou ne peuvent pas former de bonnes rimes.

Rime des Hemistiches.

Un Vers eft défectueux, quand le premier hémifliche rime on a quelque convenance de fon avec le dernier, comme dans ceux-ci:

Il ne tiendra qu'à toi de partir avec moi.

Allez, vous êtes fou dans vos transports jaloux.
Je fuis ruftique & fier, & j'ai l'ame grofsiere.

Il en eft que le ciel guida dans cet empire,

Moins pour nous conquerir, qu'afin de nous inftruire.

ou quand le dernier hémistiche d'un Vers rime avec le premier du Vers qui le précede, comme dans ceux ci :

Un fiacre me couvrant d'un déluge de boue,
Contre le mur veifin mecrafe de fa roue;
Et voulant me fauver, de po.eurs inhumains,
De leur maudit baton me donnent dans les reins.

ou quand le dernier hemiftiche d'un Vers rime avec le premier hémiftiche du Vers fuivant, comme dans ceux-ci:

Il faut pour les avoir, emplover notre foin:

Ils font à moi du moins, tout autant qu'a mon frere.

ou quand les deux premiers hémilliches de deux Vers qui fe fuivent riment ensemble, comme dans ceux-ci :

Sinon demain matin, fi vous le trouvez bon,
Je mettrai de ma main le feu dans la maiton.

Mais c'eft quelquefois une beauté, lorfque par figure on fe fert ou des mêmes rimes, ou des mêmes mots dans les deux hémiftiches, ou qu'on répete même l'hémifliche, comme dans ces Vers:

Tantôt la terre ouvroit fes entrailles profondes;
Tantôt la mer, rompoit la prifon de fes ondes.

Là le corps immortel à notre âme obéit;
Ici le corps mortel l'aveugle & la trahit.

Qui cherche vraiment Dieu, dans lui feul fe repofe;
Et qui craint vraiment Dieu, ne craint rien autre chofe.

Quelque grâce qu'ayent ces confonances & ces répétitions, on ne doit les employer qu'avec beaucoup de réferve & de ménagement.

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