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Retranchement de l's dans certains Verbes.

On retranche fouvent dans les Vers I's finale de la premiere perfone du fingulier du préfent de l'indicatif, & de la feconde de l'impératif de quelques Verbes des trois dernieres. conjugaifons, principalement de ceux qui ont ces perfones terminées en ois & en is. Et cette licence fervira à confirmer que l'ufage d'écrire en Profe quelques-unes de ces mêmes perfones fans s, avoit été vraisemblablement introduit par les Poetes qui y laiffent ou retranchent l's finale, felon qu'elle leur eft néceffaire on non, pour la liaifon des mots ou pour la jufteffe de la rime. Il femble qu'on ne peut mieux le prouver qu'en faifant voir par des exemples, que pour obferver des regles indifpenfables de la Verfification, un Poête emploie avec Is finale, un Verbe qu'un autre emploie fans s. & que fouvent le même Auteur admet ou n'admet pas l's dans le même Verbe. Ainfi M. Defpréaux qui écrit crois avec uns, pour le faire rimer avec doigts, dans ces deux Vers:

Mais moi qui dans le fond fais bien ce que j'en crois,
Qui compte tous les jours vos défauts par mes doigts.

l'écrit fans s dans ceux-ci, pour le faire rimer avec moi :

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En les blamant enfin, j'ai dit ce que j'en croi;

Er tel qui me reprend, en pense autant que moi.

Racine écrit vois avec un s, pour le faire rimer avec fois, dans ces deux Vers:

Depuis cinq ans entiers, chaque jour je la veis,
Et crois toujours la voir pour la premiere fois.

& fans s dans ceux-ci, pour le faire rimer avec moi:

Vous ne répondez point? Perfide, je le voi,

Tu compres les momens que tu perds avec moi.

Moliere écrit je dis avec une s, pour le lier avec la voyele fuivante dans ce Verbe :

Je te le dis encor, je faurai m'en venger.

& fans s dans ceux-ci, pour le faire rimer avec étourdi :

Un brouillon, une bête, un brufque, un étourdi,
Que fais-je ? un. . . . cent fois plus encor que je ne di.

Je fais eft employé avec une s dans les Vers fuivans :

Je ne fais où je vais; je ne fais où je fuis. Rac.
Je fais où je lui dois 'trouver des défenfeurs. Id. ·
Je fais où gir le lievre, & ne puis fans travail
Fournir en un moment d'hommes & d'attirail. Ãet.

il eft employé fans s dans ceux-ci, pour rimer avec bleffé: Monfieur, ce galant homme a le cerveau bleffe.

Ne le favez-vous pas ?

Dois avec un s:

Je fai ce que je sai. Mol.

Apprends-moi fi je dois ou me taire ou parler. Defpr.
J'ignore, dites-vous, de quelle humeur il eft,
Et dois auparavant confulier, s'il vous plaît. Mol.

Doi fans s:

Sans parens, fans amis, fans efpoir que fur moi,
Je puis perdre fon fils, peut-etre je le doi. Rac.
Celle-ci peut-être aura de quoi

Te plaire. Accepte-la pour celle que je dei. Mol.

Reçois avec une s:

Je reçois à ce prix l'amitié d'Alexandre. Rac.

Reçoi fans s

Je ne puis t'exprimer l'aise que j'en reçoi.

Et que me direz-vous, Monfieur, fi c'étoit moi! Mol.

J'averti & je frémi fans s:

Vifir, fongez à vous, je vous en averti ;

Et fans compter fur moi, prenez votre parti. Rac.

Ah! bons Dieux, je frémi.

Pandolfe qui revient! fût-il bien endormi! Mol.

Moliere a pouffé la licence encore plus loin, puifqu'il a retranché l's du prétérit je vis dans ces deux Vers:

Hélas! fi vous faviez comme il étoit ravi,

Comme il perdit fon mal, fi-tôt que je le vi.

Ce peu d'exemples fuffira pour donner lieu de juger que ce retranchement de l's eft une licence poétique, & qu'il eft plus régulier, comme nous avons dit, de ne pas l'admettre dans la Profe.

Il eft hon d'observer avant de finir cette article, que la plupart des regles que nous venons d'établir, fur-tout de celles qui regardent la Cefure & la Rime, ne font que pour la plus grande perfection des Vers, & qu'elles ne doivent pas toujours être prifes à la rigueur. Outre qu'il eft quelquefois permis d'en facrifier quelques-unes à une belle penfée, les Vers doivent être plus ou moins parfaits à proportion que le fujet que l'on traite eft plus ou moins relevé. Ainfi dans les comédies, dans les fables, dans les contes, & autres pieces d'un flyle fimple & familier, on ne doit pas exiger que les Vers foient auffi harmonieux & auf réguliers que dans les poèmes épiques, dans les tragédies, dans les fatyres, & autres pieces d'un fiyle noble & férieux.

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Du mélange & de la combinaison des Vers les uns avec les autres.

E mélange des Vers les uns avec les autres, peut fe confidérer, ou par la rime, ou par le nombre des fyllabes dont ils font compofés; c'est-à-dire, que dans les différens Ouvrages de Poéfie, les rimes mafculines font mêlées avec les féminines, & fouvent les grands avec les petits Vers.

Il n'y a point d'ouvrage en Vers où les rimes mafculines ne foient mêlées avec les féminines, & qui par conféquent ne foient compofé de Vers mafculins & de féminins.

Mais il n'eft pas également néceffaire que les Vers d'un ouvrage ou d'une piece, foient toujours d'une même longueur ou d'un même nombre de fyllabes.

On obferve généralement aujourd'hui de mêler les rimes masculines & feminines, de maniere que deux différentes rimes de même efpece ne fe trouvent jamais enfemble dans une même fuite de Vers; c'eftà-dire, qu'une rime mafculine ne peut être fuivie que de la rime mafculine qui y répond, ou d'une rime féminine: ce qui n'étoit point pratiqué par les anciens Poêtes qui mêloient toutes les rimes au hazard, & comme elles fe préfentoient, comme on le voit dans Marot.

Le mélange des Vers, par raport au nombre des fyllabes, n'eft pas réglé il dépend ordinairement du goût & de la volonté du Poête. Suivant les différentes manieres dont on peut aranger les rimes mafculines & féminines, on les divife en rimes fuivies & en rimes entremêlées.

Les rimes font appelées fuivies, lorfqu'après deux rimes mafculines, il s'en trouve deux féminines, enfuite deux mafculines, & ainfi de fuite, comme dans ces huit Vers:

On ne m'a jamais vu, furpaffant mon pouvoir,
D'un indifcrete main profaner l'encenfoir,

Et periffe à jamais l'afreufe politique,

Qui prétend fur les cœurs un pouvoir defpotique,
Qui veut,
le fer en main, convertir les mortels,
Qui du fang hérétique arofe les autels,

Et fuivant un faux zele, ou l'interèt, pour guides,
Ne fert un Dieu de paix que par des homicides.

Les rimes font appelées entremêlées, lorfqu'une rime mafculine eft féparée de celle qui y répond, par une ou deux rimes féminines; ou Jorfqu'entre une rime féminine & fa femblable, il fe trouve une on deux rimes mafculines, comme dans ces exemples:

Vous qui ne connoiffez qu'une crainte fervile,
Ingrats, un Dieu fi bon ne peut-il vous charmer!
Eft-il donc à vos cœurs, efi-il à difficile

Et fi penible de l'aimer ?

Dieu parle; & nous voyons les trônes mis en poudre,
Les chefs aveuglés par l'erreur,

Les foldats confternés d'horreur,

Les vaiffeaux fubmerges, ou brûlés par la foudre.

Lorfque les rimes font fuivies, les Vers font ordinairement du même nombre de fyllabes. Ainfi les Vers que l'on appele fuivis, font ceux qui ont communément le même nombre de fyllabes, & dont les rimes font fuivies.

Lorfque les rimes font entremêlées, les Vers font quelquefois du même nombre de fyllabes, mais le plus fouvent ils ne le font pas ; & on appele Vers entremêlés, ceux qui font compofés de divers nombres de fyllabes, & dont les rimes font entremêlées.

On ne fait guere que de quatre fortes de Vers fuivis ; favoir :

I. Les Vers de douze fyllabes ou alexandrins, que l'on emploie ordinairement dans les poemes héroïques, dans les tragédies, les églogues, les élégies, les fatyres, &c.

II. Les Vers de dix fyllabes ou communs, qui font en ufage dans les ouvrages d'un flyle naïf & familier, tels que font les épitres de Marot, les épitres & les allégories de Rouffeau.

III. On fait encore des Vers fuivis de huit fyllabes: mais l'usage en eft aflez rare, & on ne s'en fert guere que dans des fujets férieux.

Si l'on fait quelquefois des Vers fuivis de fept, de fix, ou d'un moindre nombre de fyllabes, ce n'eft que dans des pieces badines & de caprice.

IV. Une autre forte de Vers fuivis, qui eft fort belle, quoiqu'elle ne foit pas fort ordinaire, eft de mettre alternativement un Vers de fix fyllabes à la fuite d'un grand Vers, avec des rimes fuivies.

Le principal défaut que l'on doit éviter dans les Vers fuivis, eft de faire rimer deux Vers mafculins avec deux Vers mafculins, quand ils ne font féparés que par deux Vers féminins; ou deux Vers féminins avec deux Vers féminins, quand ils ne font féparés que par deux Vers mafcu lins comme on voit dans ces fix Vers, les deux premiers féminins riment avec les deux derniers qui font auffi féminins :

Par les mêmes fermens Britannicus fe lie,
La coupe dans fes mains par Narciffe eft remplie,
Mais fes levres à peine en ont touché les bords,
Le fer ne produit point de fi puiffans efforts,
Madame, la lumiere à fes ieux eft ravie,

Il tombe fur fon lit fans chaleur & fans vie.

La confonance ou la convenance des fons dans les rimes mafculines

& féminines qui fe fuivent, produit encore un effet défagréable à l'oreille, comme dans ces quatre Vers:

Et toutes les vertus dont s'éblouit la terre,

Ne font que faux brillans, & que morceaux de verre.
Un injutte guerrier, terreur de l'univers,

Qui fans fujet courant chez cent peuples divers. . . .

Des Stances.

Les rimes entremêlées s'emploient plus ordinairement dans les ftances qu ailleurs.

On appele Stance, ou quelquefois Strophe, un certain nombre de Vers après lefquels le fens eft fini & complet.

Le nombre des Vers qui peuvent compofer une flance n'eft pas fixe : mais il ne doit pas eire moindre que de quatre, & communement il ne s'y en trouve grere plus de dix.

La mefure des Vers qui entrent dans une flance n'eft pas plus fixe que le nombre. I's Sonent être tous d'une même forte, c'est-à-dire, avoir un même nombre de fyllahes, comme douze, dix, huit & fept; ou l'on peut y mêler & verfes fortes de Vers par raport au nombre des fyllabes, fans autre regle que le goût & la volonté du Poéte : ce qui fait qu'en confidérant les nances par le mélange des rimes, par le nombre des Vers, & par le noe des fyllabes de chaque Vers, on peut les varier en une infinité de fortes, dont nous ne pourions developer les combinaisons, fans entrer dans des calculs immenfes, qui ne feroient d'aucune utilité au Lecteur, & ne manqueroient pas de l'ennuyer.

Une ftance n'eft proprement appelée Stance, que quand elle eft jointe à d'autres mais fi elle eft feule, elle emprunte ordinairement fon nom du nombre de Vers dont elle eft compofée: en forte qu'on l'appele Quatrain, fi elle eft de quatre Vers; Sixain, fi elle eft de fix; & quelquefois, en la confidérant par le fujet, on l'appele Epigramme ou Madrigal.

On donne fouvent le nom d'Ode à une fuite de flances fur un même fujet.

Quand les flances d'un même ouvrage ont un même nombre de Vers, un même mélange de rimes, & le nombre des fyllabes de chaque Vers s'y trouve également diftribué, en les appele Stances régulieres. Au lieu qu'elles font appelées irrégulieres, fi elles font différentes les unes des autres, ou par le nombre des fyllabes de chaque Vers.

Il est encore néceffaire, pour la perfection des ftances, que celles qui font faites fur un même fujet, commencent & finiffent par les mêmes rimes; c'est-à-dire, que fi la premiere flance commence par une rime feminine, & finit par une rime mafculine, la feconde doit auffi commencer par une rime féminine, & finir par une rime mafculine, & ainfi des autres. D'où il arrive que quand une ftance commence & finit par

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