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AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR

SUR

LES FACHEUX.

CETTE comédie-ballet fut représentée à Paris, le 4 novembre 1661, sur le théâtre du Palais-Royal.

Le sieur Riccoboni croit voir l'idée mère de la comédie des Fâcheux dans une ancienne farce italienne qui avoit pour titre le Case Svaligiate. Pantalon est amoureux d'une jeune fille qu'il poursuit vivement, et qu'il a obligée de lui donner un rendez-vous. Un valet imagine d'en faire manquer l'heure au vieillard en le faisant arrêter successivement par différens personnages: mais quelle différence de gens apostés pour interrompre Pantalon, et qui sans doute n'avoient que des charges de caractères factices, avec des originaux du comique le plus vrai que Molière fait trouver sur les pas de l'impatient Éraste!

N'est-il pas plus naturel de penser que Molière conçut l'idée de sa comédie d'après l'excellent tableau de la neuvième Satire d'Horace, Ibam forte viâ sacrá? puisque la première scène en est une imitation évidente. Nous l'avons déjà vu puiser chez le même poète latin la plus ingénieuse scène du Dépit amoureux. Molière n'eut que très peu de temps pour composer cet ouvrage ; il fut fait et répété en quinze jours. Ce fut à Vaux, le 20 août 1661, qu'il parut devant toute la cour dans la maison du dernier surintendant des

finances, qui voulut y recevoir son maître, et qui étoit bien loin de prévoir une disgrace qu'on fut tenté de faire éclater au milieu même de la fête. '

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Le célèbre Lebrun avoit été chargé de ce que la décoration théâtrale pouvoit exiger de son goût et de son pinceau, et M. Pellisson, premier commis du ministre dans le département des affaires poétiques, comme le dit ingénieusement M. de Fontenelle de Desmarets, attaché au cardinal de Richelieu, fut l'auteur des vers récités dans le Prologue par une Naïade qui tout à coup sortit des eaux pour y débiter un éloge pompeux de Louis xiv, qui servit, par la suite, de modèle aux prologues de Quinault.

La scène vii du ir acte ne parut point alors. Ce fut au sortir de la première représentation que Louis XIV, en félicitant Molière du plaisir qu'il venoit de lui donner, et voyant M. de Soyecour, chasseur jusqu'au ridicule, lui dit qu'un pareil original manquoit à sa pièce. Cette observation du maître fut un ordre pour notre auteur, et ce caractère passa six jours après à Fontainebleau, sous les yeux de ce prince qui en parut enchanté.

On dit que Molière qui ignoroit les termes de la chasse s'en étoit fait instruire par M. de Soyecour luimême; mais tant de gens pouvoient lui rendre ce service qu'il n'est guère vraisemblable que Molière, dont la conduite fut toujours honnête et sage, eût donné à M. de Soyecour cette préférence désobligeante.

Le peu de temps qu'avoit eu Molière pour satisfaire

Le roi, dit M. Racine, vouloit le faire arrêter dans Vaux. Quoi! au milieu d'une fête qu'il vous donne ? dit la reine; et ce mot fit changer le roi de résolution.

le surintendant, l'avoit engagé à chercher des secours auprès d'un de ses amis. On sut qu'il avoit chargé le fameux Chapelle de la scène de Caritides, et bientôt ce fut à ce rimeur voluptueux et facile qu'on attribua le succès de notre auteur. Chapelle se défendit mal de ce bruit, et Molière fut forcé de lui faire dire par Despréaux, leur ami commun, de favoriser moins à cet égard l'opinion de ses ennemis, sans quoi il se verroit obligé de montrer la misérable scène qu'il lui avoit apportée et qu'il avoit été forcé de refaire en entier, parce qu'il n'y avoit pas aperçu la moindre lueur de plaisanterie. Ce seroit une chose assez curieuse à trouver que cet essai dramatique de Chapelle, pour faire voir combien ce qu'on appelle esprit dans le monde est au-dessous du génie et même du talent.

Molière s'arrangea pour les intermèdes de sa pièce avec Beauchamp, maître des ballets, qui consentit à les attacher si bien à l'ouvrage que chacun parût n'en être qu'une suite. Il eût fallu plus de temps pour mûrir et pour perfectionner ce projet qui ne fut exécuté qu'imparfaitement; mais Molière a grande raison de dire dans sa Préface, que cette idée peut servir à d'autres choses qui pourroient être méditées avec plus de

loisir.

Avec quel chagrin ne doit-on pas voir dans cette même Préface, que Molière se promettoit d'examiner un jour toutes ses pièces et d'y faire les remarques dont elles auroient besoin ! Quelle excellente poétique ses successeurs auroient eue sur un genre dont il a possédé seul le secret et l'étendue! et plût au ciel qu'il eût eu le temps de rendre notre commentaire inutile! Pour lier ensemble les différens caractères des Fâcheux

dont il avoit fait choix, il se servit, comme il le dit lui-même, du premier nœud qu'il put trouver. Un amant inquiet et dont l'amour est traversé par un oncle qui le hait, étoit un personnage excellent à faire tourmenter par des importuns; l'intrigue n'a que ce fil léger mais partout il s'aperçoit, partout il lie les scènes jusqu'au dénoûment qui se sent trop de la précipitation avec laquelle cette comédie fut faite. On ne voit qu'avec peine Damis concevoir le projet de faire attendre Éraste par des coupe-jarrets à la porte de sa maîtresse, chez laquelle cet oncle a appris qu'il devoit venir malgré sa défense. Les gens attachés à Éraste qui se trouvent là très heureusement, et qui entendent le projet affreux de Damis, en l'attaquant lui-même fournissent, à la vérité, à Éraste une occasion de défendre les jours de l'oncle d'Orphise, et d'éteindre sa haine pour lui; mais ce moyen trop romanesque met en jeu trop de scélérats, et termine désagréablement une pièce inimitable jusque-là.

Avant les Fâcheux on ne connoissoit de comédies à scènes épisodiques que les Visionnaires, ou plutôt les Fous de Desmarets. On en a vu beaucoup depuis les Fâcheux; mais il paroît qu'elle sera toujours la seule de ce genre qui soit digne d'une véritable estime, malgré le défaut observé dans le dénouement et celui de la première scène du premier acte dont on parlera dans les observations.

Nous ajouterons ici que cette comédie est la seule que Molière ait osé dédier à Louis xiv.

SIRE,

J'AJOUTE une scène à la comédie, et c'est une espèce de Fâcheux assez insupportable, qu'un homme qui dédie un livre. VOTRE MAJESTÉ en sait des nouvelles plus que personne de son royaume, et ce n'est pas d'aujourd'hui qu'ELLE se voit en butte à la furie des épîtres dédicatoires; mais bien que je suive l'exemple des autres, et me mette moimême au rang de ceux que j'ai joués, j'ose dire toutefois à VOTRE MAJESTÉ, que ce que j'en ai fait, n'est pas tant pour lui présenter un livre, que pour avoir lieu de lui rendre grâces du succès de cette comédie. Je le dois, SIRE, ce succès qui a passé mon attente, non-seulement à cette glorieuse approbation dont VOTRE MAJESTÉ honora d'abord la pièce, et qui a entraîné si hautement celle de tout le monde, mais encore à l'ordre qu'ELLE me donna d'y ajouter un caractère de Fâcheux, dont ELLE eut la bonté de m'ouvrir les idées ELLE-MÊME, et qui a été trouvé partout, le plus beau morceau de l'ouvrage. Il faut avouer, SIRE, que je n'ai

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