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BIEN des gens ont frondé d'abord cette comédie, mais les rieurs ont été pour elle; et tout le mal qu'on en a pu dire n'a pu faire qu'elle n'ait eu un succès dont je me contente. Je sais qu'on attend de moi, dans cette impression, quelque Préface qui réponde aux censeurs, et rende raison de mon ouvrage : et sans doute que je suis assez redevable à toutes les personnes qui lui ont donné leur approbation, pour me croire obligé de défendre leur jugement contre celui des autres : mais il se trouve qu'une grande partie des choses que j'aurois à dire sur ce sujet, est déjà dans une dissertation que j'ai faite en dialogue, et dont je ne sais encore ce que je ferai. L'idée de ce dialogue, ou, si l'on veut, de cette petite comédie, me vint après les deux ou trois premières représentations de ma pièce. Je la dis, cette idée, dans une maison où je me trouvai un soir; et d'abord une personne de qualité, dont l'esprit est assez connu dans le monde, et qui me fait l'honneur de m'aimer, trouva le projet assez à son gré, non-seulement pour me solliciter d'y mettre la main, mais encore pour l'y mettre lui-même ; et je fus étonné que deux jours après il me montra toute l'affaire exécutée, d'une manière, à la vérité, beaucoup plus galante et plus spirituelle

que je ne puis faire, mais où je trouvai des choses trop avantageuses pour moi; et j'eus peur que, si je produisois cet ouvrage sur notre théâtre, on ne m'accusat d'avoir mendié les louanges qu'on m'y donnoit. Cependant cela m'empêcha, par quelque considération, d'achever ce que j'avois commencé. Mais tant de gens me pressent tous les jours de le faire, que je ne sais ce qui en sera; et cette incertitude est cause que je ne mets point dans cette Préface ce qu'on verra dans la critique, en cas que je me résolve à la faire paroître. S'il faut que cela soit, je le dis encore, ce sera seulement pour venger le public du chagrin délicat de certaines gens; car pour moi je m'en tiens assez vengé par la réussite de ma comédie; et je souhaite que toutes celles que je pourrai faire, soient traitées par eux comme celle-ci, pourvu que le reste soit de même.

ARNOLPHE, où LA SOUCHE.

AGNÈS, fille d'Enrique.

HORACE, amant d'Agnès, fils d'Oronte.
CHRISALDE, ami d'Arnolphe.

ENRIQUE, beau-frère de Chrisalde, et père d'Agnès.
ORONTE, père d'Horace, et ami d'Arnolphe.
ALAIN, paysan, valet d'Arnolphe.

GEORGETTE, paysanne, servante d'Arnolphe.
UN NOTAIRE.

La scène est à Paris, dans une place d'un faubourg.

L'ÉCOLE DES FEMMES,

COMÉDIE.

ACTE PREMIER.

SCÈNE I.

CHRISALDE, ARNOLPHE.

CHRISALDE.

Vous venez, dites-vous, pour lui donner la main?

ARNOLPHE.

Oui. Je veux terminer la chose dans demain.

CHRISALDE.

Nous sommes ici seuls, et l'on peut, ce me semble, Sans craindre d'être ouïs, y discourir ensemble. Voulez-vous qu'en ami je vous ouvre mon cœur? Votre dessein, pour vous, me fait trembler de peur; Et de quelque façon que vous tourniez l'affaire, Prendre femme est à vous un coup bien téméraire.

ARNOLPHE.

Il est vrai, notre ami. Peut-être que, chez vous,
Vous trouvez des sujets de craindre pour chez nous;
Et votre front, je crois, veut que du mariage
Les cornes soient partout l'infaillible apanage.

CHRISALDE.

Ce sont coups du hasard, dont on n'est point garant;
Et bien sot, ce me semble, est le soin qu'on en prend.
Mais quand je crains pour vous, c'est cette raillerie
Dont cent pauvres maris ont souffert la furie :
Car enfin vous savez qu'il n'est grands ni petits
Que de votre critique on ait vus garantis;

Que vos plus grands plaisirs sont, partout où vous êtes,
De faire cent éclats des intrigues secrètes....

ARNOLPHE.

Fort bien. Est-il au monde une autre ville aussi,
Où l'on ait des maris si patiens qu'ici?

Est-ce qu'on n'en voit pas de toutes les espèces,
Qui sont accommodés chez eux de toutes pièces?
L'un amasse du bien, dont sa femme fait part
A ceux qui prennent soin de le faire cornard;
L'autre, un peu plus heureux, mais non pas moins infâme,
Voit faire tous les jours des présens à sa femme,
Et d'aucun soin jaloux n'a l'esprit combattu,

Parce qu'elle lui dit que c'est pour sa vertu.
L'un fait beaucoup de bruit qui ne lui sert de guères;
L'autre, en toute douceur laisse aller les affaires,
Et, voyant arriver chez lui le damoiseau,
Prend fort honnêtement ses gants et son manteau.
L'une, de son galant, en adroite femelle,
Fait fausse confidence à son époux fidèle,
Qui dort en sûreté sur un pareil appât,

Et le plaint, ce galant, des soins qu'il ne perd pas;
L'autre, pour se purger de sa magnificence,
Dit qu'elle gagne au jeu l'argent qu'elle dépense;

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