Images de page
PDF
ePub
[ocr errors]

LE DUC D'ORLÉANS,

FRÈRE UNIQUE DU ROI.

MONSEIGNEUR,

Je fais voir ici à la France des choses bien peu proportionnées. Il n'est rien de si grand et de si superbe que le nom que je mets à la tête de ce livre, et rien de plus bas que ce qu'il contient. Tout le monde trouvera cet assemblage étrange, et quelques-uns pourront bien dire, pour exprimer l'inégalité, que c'est poser une couronne de perles et de diamans sur une statue de terre, et faire entrer par des portiques magnifiques, et des arcs triomphaux superbes, dans une méchante cabane. Mais, Monseigneur, ce qui doit me servir d'excuse, c'est qu'en cette aventure je n'ai eu aucun choix à faire, et que l'honneur que j'ai d'être à VOTRE ALTESSE ROYALE, m'a imposé une nécessité absolue de lui dédier le premier ouvrage que je mets moi-même au jour. Ce n'est pas un présent que je lui fais, c'est un devoir dont je m'acquitte, et les hommages ne sont jamais regardés par les choses qu'ils portent. J'ai donc osé,

MONSEIGNEUR, dédier une bagatelle à VOTRE Altesse RoyalE, parce que je n'ai pu m'en dispenser; et si je me dispense ici de m'étendre sur les belles et glorieuses vérités qu'on pourroit dire d'ELLE, c'est par la juste appréhension‘que ces' grandes idées ne fissent éclater encore davantage la bassesse de mon offrande. Je me suis imposé silence pour trouver un endroit plus propre à placer de si belles choses; et tout ce que j'ai prétendu dans cette Épitre, c'est de justifier mon action à toute la France, et d'avoir cette gloire de vous dire à vous-même, MONSEIGNEUR, avec toute la soumission possible, que je suis,

DE VOTRE ALTESSE ROYALE,

Le très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur,

MOLIÈRE.

SUR

L'ECOLE DES MARIS.

CETTE comédie en vers et en trois actes est la seconde nouveauté qui fut jouée en 1661 sur le théâtre du Palais-Royal. Il y avoit déjà sept mois que la troupe de Molière, toujours sous le titre de la troupe de Monsieur, у continuoit ses représentations, depuis qu'elle avoit été forcée de quitter le théâtre du Petit-Bourbon, dont la démolition avoit été ordonnée pour élever le plus superbe monument de l'architecture françoise.

Tous les éditeurs de Molière, et presque tous ceux qui ont écrit sur ses ouvrages, ont fixé la première représentation de l'École des Maris au 24 juin 1661, erreur dans laquelle ils ne seroient pas tombés s'ils avoient jeté les yeux sur la Muse historique de Loret. Le gazetier en prose rimée, dans une feuille du 17 juin, nous apprend qu'elle fut jouée le 12 de ce mois chez le célèbre M. Fouquet, dans une fête que ce ministre

'Le théâtre du Petit-Bourbon étoit situé vis-à-vis Saint-Germain-l'Auxerrois, à l'entrée du Louvre, et Louis XIV en ordonna la démolition, en 1660, pour exécuter le dessin sublime de Claude Perrault, qui avoit été heureusement préféré à celui du cavalier Bernin; la critique en annonçoit l'exécution impossible, mais plus d'un siècle de durée sans aucune altération atteste qu'il n'est point de monument de la grandeur de Louis XIV plus auguste et plus solide que la fameuse colonnade du Louvre. On en doit la découverte, depuis quelques années, aux soins de M. le marquis dé Marigny.

donnoit à la reine d'Angleterre, à Monsieur et à Madame. C'est dans cette même feuille du 17 qu'il ajoute que cet ouvrage faisoit alors le charme de tout Paris. Les premiers qui ont parlé de cette pièce ont donc écrit le 24 au lieu du 4 (disent les historiens du Théâtre François), mais c'étoit le 14 qu'il falloit dire, parce qu'il est vraisemblable qu'elle ne fut donnée à Paris qu'après la fête du surintendant.

Molière ne laissa jouir ses ennemis que quatre mois environ du plaisir que leur avoit causé la chute du Prince jaloux. L'École des Maris fut pour eux un coup de foudre qui les remit à ses pieds. Le succès fut aussi grand que ce chef-d'œuvre le méritoit, et il ne pouvoit l'être trop.

C'est dans cet ouvrage que Molière paroît véritablement avoir perfectionné son style, quoique le sieur de Visé, dans ses Nouvelles Nouvelles, ait eu la sottise de dire qu'il étoit, à cet égard, au-dessous du Cocu imaginaire. L'heureux naturel, l'aimable facilité du dialogue françois, ne s'étoient encore montrés nulle part aussi bien que dans cette comédie.

La prose françoise avoit déjà les fameuses Lettres provinciales qui devoient fixer ses principes, ses règles, son goût, et même la bonne plaisanterie; mais notre poésie ne comptoit encore, relativement à la langue perfectionnée, que la première satire de Despréaux qui venoit de paroître. Molière et Boileau peuvent donc être regardés comme les deux premiers poètes qui aient écarté de notre versification et les tournures forcées, et la fausse éloquence, et la froide chaleur, et la précieuse obscurité, et le beau galimatias qui l'empoisonnoient en général,

« PrécédentContinuer »