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qui allait devenir en même temps le foyer de la diplomatie européenne. Grotius a rappelé dans un langage généralement intelligible les maximes du christianisme, les enseignements de l'histoire, les sentences des philosophes sur le juste et l'injuste à la mémoire des souverains: son traité est devenu successivement le code européen des nations, adopté également par toutes les confessions chrétiennes.1

Néanmoins le droit ne réussissait pas à reprendre entièrement la place usurpée par la politique, laquelle se servait plutôt de la science du droit pour colorer ses prétentions qu'elle ne se soumettait à ses décisions. Une certaine modération seulement dans ses succès, des transactions équitables succèdent aux décisions du droit strict du siècle précédent (§ 8). La fin du xvi⚫ siècle voit disparaître le droit public et l'équilibre européen sous le torrent de la Révolution qui fait place à l'Empire et à son génie de conquête. La coalition générale de l'Europe en faisant rentrer le torrent débordé dans son ancien lit, provoqua les traités de 1814 et de 1815, qui, après avoir reconstitué du moins les États germaniques de l'Europe dans leurs démarcations naturelles, ont rendu momentanément possible l'équilibre politique des puissances continentales. Pour en garantir la solidité ainsi que les créations nouvelles, il fallait alors remettre en vigueur les principes du droit international. Dans cet esprit fut conclue la Sainte-Alliance: presque tous les monarques chrétiens de l'Europe, lors de sa conclusion, se sont donné personnellement la parole de se considérer entre eux et de considérer leurs peuples comme membres de la grande famille chrétienne et ils ont reconnu par là l'existence réelle d'une association morale des États. Enfin les plénipotentiaires

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1) Les excellentes observations publiées par Frédéric Schlegel, Vorlesungen über die neuere Geschichte. Wien 1811. p. 421 suiv.

2) Les nombreuses violations du droit international amenées par là ont été développées par Kamptz, Beitr. zum Staats- und Völkerr. I, n. 4.

3) Le prince de Bénévent, dans une note du 19 décembre 1814 écrivait également: „que l'équilibre politique était synonyme avec les principes de conservation des droits de chacun et du repos de tous."

4) Martens, Supplém. VI, 656. Pufendorf dans son Jus nat. et gent. II, 2, chap. 11 contient une déclaration curieuse contre des traités de

des cinq grandes puissances européennes lors du Congrès d'Aixla-Chapelle en 1818 ont déclaré que leurs gouvernements étaient fermement résolus à ne pas vouloir s'écarter de l'observation la plus stricte du droit international tant entre eux que vis-à-vis des autres États.1

Depuis lors et d'après les conventions arrêtées à cette époque, les grandes puissances se sont érigées en aréopage politique appelé à délibérer et à statuer sur les affaires les plus importantes non seulement de leurs propres États, mais aussi sur celles des autres. Sous ses auspices commence dès lors la réaction contre la révolution qui continue à couver sous les cendres: loin de l'éteindre, elle l'a fait éclater avec une nouvelle énergie en 1830. Ni le principe révolutionnaire, ni même le constitutionalisme régularisé des nations ne peuvent naturellement être satisfaits de cette autorité dictatoriale des grandes puissances. Dès lors aussi le principe monarchique et le démocratique commencent à se surveiller mutuellement dans la politique générale de l'Europe. Ils ne renient ni l'un ni l'autre la loi internationale, bien qu'ils l'interprètent d'une manière différente.

En résumé: les États de l'Europe de même que les États transatlantiques issus de son sein obéissent à une loi commune. Cette loi néanmoins sur bien des points n'est encore qu'une simple doctrine des auteurs: n'ayant pas pénétré suffisamment dans la conscience générale des nations, elle est privée d'une certitude absolue dans l'application. Sa solidité croissante dépend

cette nature. V. toutefois Oke Manning, Comment. on the Law of nations p. 85.

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1) Martens, Supplém. VIII, 560: Les souverains ont regardé comme la base fondamentale leur invariable résolution de ne jamais s'écarter ni entre eux ni dans leurs relations avec d'autres États de l'observation la plus stricte du droit des gens; principes qui, dans leur application à un état de paix permanent, peuvent seuls garantir efficacement l'indépendance de chaque gouvernement et la stabilité de leur association générale. Fidèles à ces principes les souverains les maintiendront également dans les réunions auxquelles ils assisteront en personne, ou qui auraient lieu entre leurs ministres soit qu'elles aient pour objet de discuter en commun leurs propres intérêts soit qu'elles se rapportent à des questions dans lesquelles d'autres gouvernements auraient formellement réclamé leur intervention."

d'un équilibre durable des États qui repose autant sur une pondération de leurs forces matérielles que sur leur respect réciproque. Cet équilibre existe jusqu'à un certain point entre les puissances continentales, bien moins sur mer: aussi le droit maritime continue-t-il à former la partie la plus faible du droit international. Les traités de 1814 et de 1815 en outre tout en rétablissant du côté du Rhin l'équilibre du continent européen, ne l'ont nullement du côté opposé assis sur des bases solides et par là même ne l'ont pas mis à l'abri d'atteintes sérieuses. Déjà notre Jean-Paul disait dans son langage humoristique:

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Un équilibre permanent suppose l'équilibre des quatre autres continents que l'avenir annoncera sans doute au monde futur, sous réserve des exceptions

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(Hesperus).1

Toujours est-il que le droit public européen se distingue par un caractère d'humanité qui constitue sa supériorité sur celui qui l'a précédé, notamment sur celui du monde antique. Ce dernier avait la guerre pour base, tandis que la paix est devenue l'état normal du droit moderne.

LIMITES TERRITORIALES DU DROIT PUBLIC EUROPÉEN.

§ 7. Le droit international né en Europe, s'est développé d'une manière complète chez les nations chrétiennes de l'Europe et du dehors. Elles entretiennent entre elles d'après les règles traditionnelles de la société européenne et avec leur garantie collective et morale (§ 5) un commerce politique permanent, une véritable dikéodosie mutuelle, un „, commercium iuris praebendi repetendique". A l'égard des États non-chrétiens," son application est tout-à-fait libre et fondée sur une réciprocité purement conventionnelle. Il faut en dire autant des États nou

1) „Ein ewiges Gleichgewicht setzt ein Gleichgewicht der vier übrigen Welttheile voraus, welches man, wenige Librationen abgerechnet, der Welt dereinst versprechen kann - “

2) Les relations des États chrétiens avec la Porte étaient jadis réglées d'après ce principe. Elles reposaient exclusivement sur les convenances politiques et sur les traités conclus par cette puissance avec les États chrétiens, même avec le St. Siége, qui remontent à plusieurs siècles. Les observations que Mably (droit des gens t. II, p. 13) et Ricaut ont présen

vellement établis qui n'ont pas encore été admis d'une manière régulière dans le sein de la famille européenne ou n'ont pas encore reçu leur caractère individuel. Les relations avec eux sont réglées d'après les intérêts de la politique et ceux de la morale. Les pirates exclus du droit européen sont traités en ennemis communs du genre humain': en se livrant aux exactions de toute espèce contre les personnes et les propriétés, ils cessent d'appartenir à aucune nation."

SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL: DÉMÊLÉS ET TRAITÉS POLITIQUES DES ÉTATS EUROPÉENS.

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§ 8. Le droit public européen est un droit non écrit dans le sens juridique de ce mot: il attend encore sa codification qui ne saurait être tentée de sitôt avec succès. 3 La méthode tées sur les difficultés de relations régulières avec cette puissance ont encore aujourd'hui une certaine force. V. aussi Wheaton, intern. law § 10 (omis dans l'édit. franç.). Néanmoins on s'est rapproché beaucoup dans les derniers temps de part et d'autre, et peut-être l'avenir de la Haute Porte dépendra-t-il de son acceptation complète du droit des gens européen. Déjà la paix de 1856 l'a reçue dans le concert politique européen. En aucun cas les alliances avec les peuples musulmans ne sont plus des cas de conscience comme autrefois. Ward I, 166. II, 321. Enfin ces peuples sont accoutumés à observer religieusement les traités, pourvu qu'ils soient rédigés en langue arabe.

1) Cicéron déjà, de officiis III, 6 les a qualifiés ainsi. V. aussi le § 104 ci-après.

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2) Qui nullius principis auctoritate sive mari sive terra rapiunt." Bynkershoek, quaest. iur. publ. I, chap. 19. Les barbaresques d'après la plus récente jurisprudence, ne sont plus assimilés aux pirates. Bynkershoek, ibid. chap. 17. Nau, Völkerseerecht § 130. Les traités conclus avec les barbaresques (Leibn., Cod. dipl. p. 13. 14. Ward II, 331) sont de fort ancienne date.

3) L'assemblée Nationale décréta le 28 octobre 1792 la rédaction d'une déclaration du droit des gens dont l'abbé Grégoire fut chargé. Le projet en 21 articles fut présenté par lui en 1795 à la Convention. Cette dernière toutefois qui commençait à renoncer au système d'isolement rejeta le projet. On le trouve avec les critiques de Bentham réfutées par Isambert, dans les Annales politiques, publiés par ce dernier en 1823, Introduction in fine. On peut consulter également là-dessus les observations judicieuses de Martens, Einleitung in das europäische Völkerrecht von 1796, préface p. V suiv.

historique seule continue à l'expliquer. Les démêlés politiques et les traités internationaux forment les sources les plus importantes du droit public: leurs textes et leur interprétation témoignent de l'accord des nations et des gouvernements.

Dans le monde antique ces sources étaient la manifestation unique d'un principe commun de droit. Les traités de l'antiquité néanmoins présentent un intérêt médiocre : rarement ils dépassent le cercle étroit des besoins momentanés. Tantôt ils révèlent les malheurs des vaincus, tantôt ils ont pour but la conclusion d'un armistice plus ou moins long, par fois aussi l'établissement de relations commerciales ou bien même celui d'une espèce de dikéodosie fondée sur des droits réciproques.1

Les traités conclus entre les États ou plutôt entre les princes du moyen âge offrent encore moins d'intérêt. L'État lui-même n'était alors qu'une agglomération de rapports et de besoins privés: on disposait de pays et de peuples comme de son domaine particulier. La féodalité et l'église jouissaient seules d'une certaine protection qu'elles accordaient à leur tour, et encore fut-elle souvent insuffisante."

Dès le xv siècle il commence à se former une jurisprudence des traités politiques qui marquée au coin du progrès et de la réaction, se lie aux commencements de la politique européenne et en réfléchit l'esprit général.* D'innombrables

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1) Une collection précieuse des traités politiques de l'antiquité se trouve dans Barbeyrac, Supplément au corps universel diplom. de J. du Mont. la Haye 1739. t. I. Les σύμβολα περὶ τοῦ μὴ ἀδικεῖν de la Grèce et surtout les traités conclus entre Athènes et Sparte, entre Rome et Carthage et en 561 entre les empereurs Justinien et Cosroës, que contient cette collection, sont du plus haut intérêt. V. Barbeyrac, part. II, p. 196.

2) Les traités de cette époque se retrouvent aussi dans Barbeyrac loc. cit. part. II. V. là dessus les observations dans Ward II, p. 231 suiv. 3) V. les observations sur cette nouvelle politique et les affaires politiques de cette époque dans J. F. Schmaufs, Einleitung zu den Staatswissenschaften. Leipzig 1740. 1747. 2 vol. Fr. Ancillon, tableau des rẻvolutions du systême politique de l'Europe. Berlin 1803-1805. 4 vol. Paris 1806. 6 vol. G. Fréd. de Martens, Cours diplomatique ou tableau des relations extérieures des puissances de l'Europe. Berlin 1801 (t. I. II. Guide diplomatique. t. III. Tableau.). Le même: Grundrifs einer diplomatischen Geschichte der europäischen Staatshändel und Friedensschlüsse.

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