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D'ailleurs la rétorsion est une mesure essentiellement politique, dont les particuliers ne peuvent faire usage qu'en vertu d'une autorisation de leur gouvernement, rendue dans les formes légales, qui détermine en même temps le mode et les conditions de la rétorsion, ainsi que les personnes qui sont appelées à en profiter.' Les règles particulières à cette matière sont du domaine du droit public interne.

Si les circonstances ne permettent pas d'appliquer à un gouvernement étranger des mesures identiques sur les mêmes objets, la rétorsion s'effectuera par voie d'analogie et selon les circonstances données. Ainsi, par exemple, si le commerce d'un certain pays venait à être frappé dans un autre de droits exorbitants ou qu'il y éprouvât des difficultés sérieuses, le gouvernement lésé y répondrait en imposant les produits similiaires de droits analogues.

EMBARGO ET BLOCUS.

§ 112. Les états maritimes ont encore introduit l'usage de simples mesures d'embargo et de blocus.

L'embargo (,, embargar" en espagnol, arrêter) est un acte conservatoire ou préparatoire qui consiste à faire arrêter provisoirement les navires trouvés dans les ports ou dans les mers intérieures d'un territoire, dans le but d'en empêcher la sortie. Invention d'origine britannique, elle a passé successivement dans les lois des autres nations."

Appliquée avant le commencement d'un état de guerre, cette mesure n'est appelée qu'après la déclaration de la guerre à prendre un caractère définitif et à produire les effets que nous retracerons au chapitre suivant. Quelquefois encore l'embargo est un simple acte de sûreté intérieure ordonné par un gouver

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1) Dav. Gr. Struben, Rechtl. Bedenken. V, no. 47 (éd. Spangenberg t. II, p. 321).

2) Les ouvrages relatifs à cette matière sont indiqués par de Kamptz § 276. V. notamment de Réal, Science du gouvern. V, p. 630. Jouffroy, Droit maritime. p. 31. Nau, Völkerseerecht (1802). § 258 suiv. M. Poehls, Seerecht. IV, § 526. Karseboom, De navium detentione, quae vulgo dicitur Embargo. Amsterd. 1840.

3) Wheaton IV, 1. § 4.

nement, notamment dans le but d'empêcher que certaines nouvelles sur la situation du pays ne soient portées au dehors; ou bien encore pour faciliter des recherches de police ou judiciaires. Un gouvernement peut en outre, en cas de nécessité urgente, s'emparer de navires étrangers, de leurs équipages et de leurs cargaisons pour en faire usage, pourvu qu'il ne s'agisse pas d'un but hostile à leur nation, et sous réserve d'une pleine indemnité (§ 150 in fine). Enfin des représailles peuvent se produire sous la forme d'un embargo. Il suffit toutefois que cet acte préventif ne soit pas suivi d'une déclaration de guerre, pour que le préjudice résultant de la détention arbitraire doive être réparé.'

Le blocus ou l'emploi de forces régulières suffisant pour empêcher toute communication d'une côte, d'un ou de plusieurs ports avec le dehors, peut avoir en vue des fins différentes. Quelquefois c'est un acte de coërcition qui accompagne l'ouverture des hostilités, ainsi que nous l'expliquerons au chapitre suivant (§ 121). D'autres fois il précède une déclaration de guerre régulière, comme mesure de représailles destinée à prévenir le danger d'une violation de l'état de paix, qui résulterait par exemple du départ d'une escadre, de l'introduction de troupes dans une place forte au moment même où le gouvernement suspect a été mis en demeure de s'expliquer sur ses véritables intentions. L'histoire la plus récente est féconde en exemples de cette espèce de blocus tout nouveau, qu'on emploie sans déclaration de guerre comme acte de représailles (blocus pacifique). Nous nous contentons de rappeler le blocus exécuté en 1827 par les forces combinées de l'Angleterre, de la France et de la Russie sur les côtes encore turques alors de la Grèce; le blocus du Tage (1831), de la Nouvelle-Grenade (1836), du Mexique (1838), blocus qui par suite de la déclaration du gouvernement mexicain s'est transformé en guerre formelle. La légalité de cette mesure 1) de Steck, Essais. 1794. p. 7. Jacobsen, Seerecht. p. 531. M. Poehls, loc. cit. p. 1170. Plusieurs traités, tels que ceux conclus le 11 juillet 1799 entre la Prusse et les États-Unis (art. 16), le 30 mai (11 juin) 1801 entre la Russie et la Suède (art. 32) proscrivent l'embargo comme mesure spéciale et ne l'admettent qu'à la suite d'une déclaration de guerre.

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2) Nouv. Supplém. au Recueil. III, p. 570. Nouv. Recueil t. XVI, p. 803 suiv. Les cas assez rares où cette mesure avait été pratiquée

ne peut faire l'objet d'aucun doute, et les États neutres doivent respecter un blocus régulièrement proclamé, conformément aux règles expliquées au chapitre III ci-après. Mais une confiscation des objets saisis ne peut être prononcée qu'à la suite d'une déclaration de guerre.1

Chapitre II.

DU DROIT DE GUERRE.2

DÉFINITION DE LA GUERRE.

§ 113. La guerre se manifeste extérieurement comme un état d'hostilités existant entre plusieurs puissances, pendant lequel elles se croient autorisées à faire réciproquement usage entre elles de violences de toute espèce. C'est la définition matérielle de la guerre. Mais considérée au point de vue légal, la guerre n'est un état régulier de violences et de destruction qu'autant qu'elle se propose un but légitime, et elle continue à l'être jusqu'au moment où ce but sera atteint. La guerre, en d'autres termes, est un acte extrême de légitime défense. Tantôt, comme cette dernière, d'un caractère purement défensif, elle cherchera à repousser une agression injuste, et à cet effet elle préviendra des menaces suspendues au-dessus d'elle. Tantôt réellement offen

jusqu'alors, avaient suscité d'abord quelques doutes sur sa légalité. V. néanmoins Wurm, dans le Staats- Lexicon XII, p. 128; ainsi que Hautefeuille, Droits des nations neutres. III, p. 176. Ce dernier regarde le blocus comme une mesure de guerre. L'humanité d'ailleurs n'a qu'à s'applaudir de cette nouvelle institution internationale.

1) Avis du Conseil d'État du 1 mars 1848. Gaz. des Trib. 28 mars 1848 p. 54. L'Angleterre a adopté une jurisprudence différente, mais c'est celle de la France qui doit prévaloir si le blocus ne constitue pas un cas de guerre. 2) Les monographies relatives à cette matière, notamment celles publiées par Alberic Gentile, J. Gottl. Fréd. Koch et Joach. E. de Beust, sont indiquées par d'Ompteda § 290. 291. de Kamptz § 271.272. de Clausewitz, dans son ouvrage intitulé: Vom Kriege. Berlin 1832. t. I. p. 105, retrace une histoire générale de la guerre.

3) V. ci-dessus page 58 et Guil. Schooten, De jure hostem imminentem praeveniendi. Specim. jurid. Lugd. Bat.

sive, elle exigera le redressement des offenses ou des injures éprouvées par une juste et pleine satisfaction. C'est ce qui constituera la justice de sa cause. Car une guerre ne sera juste que dans les cas et dans les limites de la légitime défense. Le grand Frédéric déjà écrivit en ce sens dans son AntiMacchiavel (chapitre 26) ces paroles remarquables: „Toutes les guerres qui n'auront pour but que de repousser des usurpateurs, de maintenir des droits légitimes, de garantir la liberté de l'univers et d'éviter les violences et les oppressions des ambitieux, sont conformes à la justice.“

Il est vrai que si l'on ne voulait juger que d'après les résultats matériels, il deviendrait souvent très-difficile de se rendre compte de la justice d'une guerre. Les auteurs sont d'accord là-dessus. Ceux-là même en conviennent qui ont cherché minutieusement de faire une analyse des différentes causes d'une juste guerre, et ont inventé une espèce de responsabilité juridique à l'égard de celui qui prend les armes sans sujet légitime.' Il n'existe en effet sur terre aucun juge qui puisse, d'une manière infaillible, prononcer sur la justice d'une guerre. Celle-ci est dirigée par le hasard, sans qu'il soit possible de prévoir d'avance ses nombreuses péripéties. En faisant succéder à l'ordre le chaos, elle fait sortir souvent de ce dernier un ordre de choses nouveau. Néanmoins les résultats moraux d'une guerre injuste ne seront certainement pas ceux d'une guerre légitime. Des intérêts purement politiques, des intentions moralement bonnes même, dès qu'elles ne sont motivées par aucune lésion imminente ou déjà accomplie, ne suffiront jamais pour enlever à une guerre son caractère illégitime. Nous regardons comme oiseuses toutes les discussions abstraites sur la légitimité des guerres de religion, de vengeance, d'équilibre politique. Cette question puise ses éléments de solution dans les circonstances particulières à chaque espèce et dans les principes internationaux que nous avons retracés dans les pages précédentes."

1) Parmi ces auteurs figurent Grotius et Vattel III, § 183 suiv. 190. Déjà Cocceji dans son commentaire sur Grotius III, 10, 3 suiv. a montré jusqu'à quel point la distinction entre le droit naturel et le droit positif est insuffisante sur ce point.

2) V. d'Ompteda § 294. 298. 299. de Kamptz § 274. 280. 281.

PARTIES BELLIGÉRANTES.

§ 114. Un état de guerre ne peut exister régulièrement qu'entre parties qui ont le droit d'avoir recours dans leurs contestations aux différentes voies par lesquelles se manifeste la légitime défense. Ces parties sont d'abord les corps qui jouissent d'une indépendance absolue et ne relèvent d'aucune puissance supérieure ou les États souverains;' puis les individus vivant isolément en dehors des conditions sociales, tels que les flibustiers, les pirates et autres. Une guerre civile née entre les diverses fractions du même corps politique, ne constituera jamais un état de guerre régulier, produisant les effets d'une guerre politique entre plusieurs États: la nécessité seule suffira pour lui servir d'excuse. En ce sens le jurisconsulte romain Ulpien écrivait déjà: „In civilibus dissensionibus, quamvis saepe per eas respublica laedatur, non tamen in exitium reipublicae contenditur: qui in alterutras partes discedent, vice hostium non sunt eorum, inter quos jura captivitatum aut postliminiorum fuerint.“

Des guerres privées et des guerres entreprises par des particuliers pour leur propre compte, peu importe qu'ils soient sujets de la même ou de différentes puissances, ont également disparu dans l'état moderne de l'Europe. Des sociétés formées de la réunion d'un certain nombre de particuliers, telles que les compagnies commerciales, ne sont pas non plus en droit de faire la guerre sans une autorisation de leurs souverains. Il faut naturellement excepter le cas où, protégées par leurs murailles de pierre ou de bois, elles ont cessé, comme autrefois la Ligue hanséatique, d'obéir à aucune puissance souveraine.*

1) de Kamptz § 273.

2) Loi 21. § 1. D. de captivis.

3) V. sur les moeurs féodales du moyen âge Ward, Enquiry. I, p. 344. II, p. 209 suiv. La guerre de trente ans encore fournit quelques curieux exemples à ce sujet: nous nous contentons de citer les ducs de Mansfeld et Bernard de Saxe. Ward II, p. 312. L'expédition de Schill a été désapprouvée par le roi de Prusse.

4) Sur le caractère éminemment politique de cette Ligue on peut lire Ward II, p. 276 suiv. Pütter, Beitr. zur Völkerrechtsgesch. p. 141. La question de savoir si des compagnies de commerce ont le droit de

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