Images de page
PDF
ePub

§ 155. La première question très-controversée est celle de savoir: A partir de quel moment le blocus est-il réputé réellement établi à l'égard des neutres? La nature des choses, il est vrai, semble l'indiquer. Du moment où, devant le lieu bloqué, des bâtiments de guerre sont stationnés en permanence et en assez grand nombre pour empêcher toute espèce de communication avec la place ou le port investi. Plusieurs traités contiennent des dispositions formelles à ce sujet. Ainsi le traité de neutralité armée (article 3) s'exprime en ces termes: „Pour déterminer ce qui caractérise un port bloqué, on donne cette dénomination à un port où, par suite de la disposition prise par la puissance qui l'attaque avec des vaisseaux arrêtés et suffisamment proches, il y a un danger évident d'entrer." L'Angleterre consentit à insérer cette définition dans la convention de juin 1801, en substituant toutefois la particule alternative ou à la conjonctive et." Quelques traités vont jusqu'à fixer le nombre des vaisseaux qui doivent stationner devant un port pour qu'il soit réputé être réellement bloqué. La plupart de ces traités appartiennent au XVIIIe siècle: celui de 1818 entre le Danemark et la Prusse exige (article 18) la présence de deux vaisseaux pour le moins.3

2

La distance à laquelle les bâtiments de guerre doivent se trouver du port bloqué, dépend naturellement des circonstances. Il suffira certainement qu'ils soient stationnés de manière à pouvoir surveiller l'entrée du port et en retenir tout navire qui tenterait de passer à leur insu.

pavillon néerlandais commençait à baisser, le langage des États-Généraux a aussi singulièrement baissé. Cet édit a été commenté par Bynkershoek dans ses Quaest. jur. publ. I, 11. V. aussi Wheaton, Hist. p. 86 suiv. (I, 163).

1) V. surtout Wheaton, Intern. Law. II, p. 232 suiv. édit. fr. II, 172. 2) Martens, Recueil. VII, p. 176. Cette définition se trouve dans le Code général de Prusse (Allgem. Preufs. Landrecht) partie I. tit. 9. § 219: ,,Le lieu bloqué est celui dont des batteries de terre ou des vaisseaux ennemis stationnés au dehors ferment l'accès." - V. Wheaton, Histoire. p. 326 (II, 86). de Steck p. 188. 189. Nau, Völkerseerecht. § 202 suiv.

3) Klüber, Droit des gens. § 297 donne par erreur le chiffre de vingt. Le traité de 1753 entre la Hollande et les Deux-Siciles (art. 22) exige que six vaisseaux au moins soient arrêtés devant le port. V. de Steck p. 188. Martens, Nouveau Recueil. IV, p. 532. Hautefeuille III, p. 60.

Suivant un usage généralement admis, qui repose sur la position indépendante des nations neutres, la seule présence de forces ennemies devant une place ne suffit pas pour la faire considérer comme en état de blocus. Cela est vrai surtout lorsqu'il s'agit d'un blocus maritime. Il faut que l'existence du blocus soit portée à la connaissance des puissances neutres, soit par une notification diplomatique, soit par un acte moins solennel. Ainsi la déclaration faite par le commandant de l'escadre chargée du blocus au capitaine d'un navire neutre, que le port dans lequel il veut entrer est bloqué, équivaut à une notification faite par la voie diplomatique. On distingue à cet égard entre la notification générale et spéciale ou de fait.'

Après que la notification a été faite, le blocus continue d'exister alors même que les vaisseaux chargés de le former, ont été forcés de s'éloigner momentanément par suite de coups de vents, de tempête ou autres accidents de mer. Dans ce cas le blocus notifié produit les mêmes effets que le blocus de fait. Cette interprétation est conforme à la pratique constante des nations comme aux règles de l'analogie. Enfin l'état de blocus régulièrement publié par un gouvernement neutre sur son territoire, a pour les sujets l'autorité d'une loi intérieure."

Le blocus est réputé levé et privé de ses effets à l'égard des neutres, lorsque les vaisseaux bloquants se sont éloignés volontairement pour réparer les avaries, pour ravitailler, ou lorsqu'ils ont été chassés par les forces de l'ennemi. Il en est de même du siége d'une place: il est levé dès que l'armée assiégeante se retire volontairement ou forcément.3 Il n'a jamais été question d'une notification de la fin du blocus: il ne continue à l'égard du commerce neutre, qu'autant qu'il est réel et effectif: c'est une règle fondamentale.*

1) V. surtout Hautefeuille III, p. 61-92.

2) La simple notification du blocus dans les ports voisins n'est pas considérée comme un acte suffisant. C'est ce qui du moins a été observé lors du blocus des côtes du Chili par l'escadre française. Martens, Nouveau Recueil. XV, p. 507. V. Jouffroy p. 165. Jacobsen p. 680. Wheaton, Intern. Law. p. 233. Pöhls IV, p. 1145. 3) Jacobsen p. 683.

Wheaton p. 241. Pöhls à l'endroit cité. 4) Oke Manning p. 324. Ortolan p. 310. Hautefeuille III, p. 114.

§ 156. Aux observations précédentes sur le caractère et les diverses espèces de blocus, nous devons ajouter quelques mots sur la question de violation du blocus.

Le cas de violation n'existe que par la réunion des deux circonstances suivantes:

1° Il faut d'abord que le blocus soit réel et effectif, qu'il ait été précédé ou suivi d'une notification spéciale ou de fait.1

Nous ne prétendons pas tracer à cet égard des règles fixes et d'une application générale. Le juge équitable prendra toujours en considération les circonstances particulières à l'espèce.2

2° Il faut qu'il y ait infraction ou du moins une tentative d'infraction. La simple intention, de simples présomptions, quoique éloignées, ne suffisent pas: „Actus aliquis, non solum consilium." Ainsi, par exemple, le navire neutre arrivant du large qui, après avoir reçu la notification spéciale, entre ou tente d'entrer dans le port bloqué, pendant que le blocus existe réellement, peut être saisi et confisqué. Le navire au contraire sorti d'un port neutre, après la notification diplomatique du blocus, qui fait voile vers le lieu bloqué, n'est pas par cela seul saisissable sur la haute mer. De même le navire qui, malgré les signaux et la semonce, ne s'est pas arrêté immédiatement, n'est pas par cela seul présumé avoir tenté d'enfreindre le blocus."

Ces interprétations sont conformes aux dispositions des lois internationales. La neutralité armée de 1800 portait: que tout bâtiment naviguant vers un port bloqué ne pourra être regardé comme contrevenant, que lorsque, après avoir été averti par le commandant du blocus de l'état du port, il tâchera d'y pénétrer en employant la force ou la ruse."

1) Pöhls p. 1160. Pando p. 497.

2) Wheaton p. 233. F. F. L. Pestel, Selecta capita juris marit. § 11. Les traités récents entre la France et les États de l'Amérique du Sud ont introduit un mode spécial d'authenticité des notifications de blocus. V. Ortolan II, p. 303.

3) Le décret précité de la république de Chili qui contient une disposition contraire, a été vivement critiqué.

4) La convention britannique de 1801 a effacé de nouveau cette disposition. V. aussi Vattel III, § 177.

Nous disons que le navire neutre qui fait voile vers le port bloqué, n'est pas par cela seul saisissable sur la haute mer. Il est facile d'en expliquer les motifs. Il se peut que le navire espère trouver à son arrivée l'entrée du port libre, par suite de la levée du blocus. Rien ne prouve non plus qu'il n'ait changé de direction pendant la traversée. Enfin la saisie d'un navire en dehors du territoire des belligérants, constituerait un attentat à l'indépendance du peuple auquel il appartient, une usurpation sur la liberté de la mer.' La jurisprudence anglaise, il est vrai, ne l'entend pas ainsi. Selon les juges anglais, la notification diplomatique d'un blocus a pour effet d'interdire aux neutres toute expédition commerciale pour le port déclaré bloqué, et à faire déclarer coupable de violation du blocus tout navire ayant mis à la voile postérieurement à la notification. Ils ont déclaré de bonne prise les navires et leurs cargaisons qui n'avaient fait que passer devant les vaisseaux chargés du blocus; ou bien les navires qui s'en retournaient; ou encore ceux que les vents avaient jetés sur les plages ennemies. C'est ce qu'ils appellent: faire justice.

La sortie ou la tentative de sortie d'un bâtiment d'un port bloqué où il était entré avant l'investissement, pourra constituer une seconde espèce de violation de blocus. Tout dépend ici des circonstances. Ainsi il y aura culpabilité de la part du navire qui tentera de sortir à la faveur de la nuit, en profitant d'un gros temps, en longeant la côte, malgré la présence des bâtiments bloquants. Il y aura encore violation de la part du navire qui tente de sortir du port avec une cargaison prise à bord, après le commencement de l'investissement. Mais généralement

1) Les traités récents se montrent en général très-indulgents: ils permettent aux navires qui arrivent de loin, de s'approcher de l'escadre du blocus. V. traité entre la Suède et les États-Unis du 4 septembre 1816 art. 13, et celui du 4 juillet 1827 art. 18. Martens, Recueil. IV, p. 258. Nouveau Recueil. VII, p. 280. Le traité entre l'Amérique du Nord et les États de l'Amérique du Sud de 1824, 1825, 1831, 1832, 1836 et le traité entre les villes hanséatiques et le Mexique du 15 septembre 1828 art. 20. Nouv. Suppl. I, p. 687.

2) Hautefeuille III, p. 131. Ortolan II, p. 320. Jacobsen p. 682. 687. 698. Pando p. 500-503.

les navires neutres sont libres de sortir du port bloqué sur lest ou avec une cargaison embarquée à bord avant l'ouverture du blocus. Toujours la confiscation du navire ne peut être prononcée que lorsque la violation est bien établie. De simples soupçons ne devraient entraîner qu'une saisie provisoire. Cependant la pratique accorde ici aux tribunaux une certaine latitude.

INTERPRÉTATION FORCÉE DU DROIT DE BLOCUS.

§ 157. Il y a des peuples maritimes dont la pratique ne s'est pas renfermée dans les limites que nous venons de tracer et qui, à diverses époques, ont cherché à donner au droit de blocus une extension peu conforme à son caractère naturel et généralement adopté. Ils ont prétendu mettre de vastes côtes en état de blocus par un simple ordre de cabinet, en établissant quelques croisières dans leur voisinage et en portant le blocus à la connaissance des peuples neutres. Déjà en 1560 la Suède, dans sa guerre contre la Russie, se servait d'un pareil blocus. Plus tard ce furent les Hollandais qui en firent usage contre la Grande-Bretagne (1652), et ces deux puissances réunies en 1689 contre la France. Depuis c'est la coalition qui a déclaré toutes les côtes de la France en état de blocus, sous prétexte que les lois internationales ne pouvaient pas être appliquées à ce pays dans la situation où il se trouvait. En 1798 la Grande-Bretagne déclare en état de blocus tous les ports et les embouchures de la Belgique. Ces mesures réputées d'abord exceptionnelles, ont causé aux États neutres des pertes considérables et ont provoqué en partie le système de la neutralité armée. Il ne restait qu'un pas à franchir: on commençait à déclarer en état de blocus des territoires, des îles entières, sans disposer en aucune manière des forces nécessaires pour le maintenir; et l'on appliquait aux contrevenants sur lesquels on pouvait mettre la main, les dispositions relatives au

1) Jacobsen p. 697. Wheaton, Elements. II, p. 245. Oke Manning p. 329. Pöhls p. 1162. Le traité précité entre les villes hanséatiques et le Mexique du 15 septembre 1828 autorise expressément ces espèces.

2) Dumont, Corps diplom. VII, part. 2. p. 238. Wheaton, Histoire. part. I, § 16 et II, § 31 (p. 284 suiv.). Nau, Völkerseerecht. § 209–213. Ortolan II, p. 325.

« PrécédentContinuer »