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DES CONSULS.1

§ 244. Parmi les diverses institutions établies dans l'intérêt du commerce par le droit public européen, l'institution consulaire est sans contredit une des plus anciennes, bien que, dès le commencement, elle n'ait pas été connue sous cette dénomination. Les origines remontent vers l'époque où le commerce luttait encore péniblement pour son existence, où il était obligé tantôt de chercher un abri dans les corporations municipales dont il était issu, tantôt, en s'expatriant sur un sol étranger, de s'y constituer en corporation indépendante après y avoir acquis une certaine influence. Ce n'est que beaucoup plus tard que les souverains territoriaux ont commencé à lui accorder leur protection, au moment où ils accomplissaient leur oeuvre de consolidation.

Le commerce une fois régulièrement constitué, un de ses premiers besoins, dès qu'ils établissait à l'étranger, fut celui d'obtenir une juridiction propre et indépendante, appelée à intervenir non seulement dans les contestations entre les sujets de la même nation ou avec les habitants du pays, mais aussi dans toutes les occasions où il s'agissait de mettre les intérêts du commerce à l'abri des actes arbitraires des autorités locales. Déjà au XIIe siècle on rencontre, dans les cités commerciales si florissantes de la Méditerranée, des magistrats connus sous le nom de consuls, chargés d'une juridiction en matière commerciale. De même on rencontre lors des croisades, et auparavant

1) L'ouvrage le plus complet sur cette matière est le Manuel des Consuls, par Alex. de Miltitz. Londres et Berlin 1837. V. en outre Fréd. Borel, De l'origine et des fonctions des Consuls. 1807. 1812. D. Warden, On the origine, nature, progress and influence of the consular etablishment. 1813. J. Bursotti, Guide des agents consulaires. 1838. Jose Ribeiro dos Santos et Jose-Feliciano de Castilho Barreto, Traité du Consulat. 1839. Mirus, Gesandtschaftsrecht. § 375-396. Mensch, Manuel pratique du Consulat. Leipzig 1846. Jochmus, Handbuch für Consuln mit besonderer Rücksicht auf Deutschland. Dessau 1852. L. Neumann, Handbuch des Consularwesens. Wien 1854. H. O. Oppenheim, Praktisches Lehrbuch der Consulate aller Länder. Erlangen 1854. V. aussi R. de Mohl, Geschichte und Litteratur der Staatswissenschaften. I, p. 410 suiv.

déjà dans l'empire byzantin et dans les royaumes chrétiens de la Syrie, sous diverses dénominations, une magistrature analogue, établie au profit des nations et des villes qui trafiquaient dans ces contrées. Dans le XIIIe siècle toutefois nous ne retrouvons plus en Orient de traces de cette institution, qui reposait encore généralement sur le principe de la personnalité des coutumes: chaque nation ne consentait à être jugée que d'après ses propres

coutumes.

Après l'invasion des royaumes chrétiens d'Orient par les fiers descendants d'Osman, les peuples commerçants de l'Europe durent chercher à obtenir de ces souverains et de leurs vicerois en Égypte et dans les États barbaresques, des capitulations ou des conventions qui leur permettaient d'y continuer leur trafic. Ils durent chercher en même temps à obtenir une juridiction indépendante qui reparaît sous le nom antique de consulaire. C'est vers la même époque que les républiques italiennes, les cités florissantes situées sur les côtes de Provence et de Catalogne, les cités naguère si riches et si puissantes des Flandres et de la ligue hanséatique, commençaient à fonder non seulement sur les côtes de la Méditerranée, mais aussi sur le littoral des mers du Nord et de la Baltique, des établissements de commerce régis par des autorités particulières, chargées de fonctions judiciaires et dotées de nombreux priviléges par les souverains territoriaux. Ainsi, par exemple, on rencontrait dans les factories de la ligue hanséatique une magistrature connue sous le nom d'Aldermann et d'adjoints, dans d'autres cités ou républiques des gouverneurs, des conservateurs, des préteurs ou des consuls. Comme l'usage de missions permanentes dans les Cours souveraines n'existait pas encore, ces magistrats étaient chargés aussi de fonctions diplomatiques.'

§ 245. Une pareille institution, exempte de la juridiction territoriale et engagée dans de fréquents conflits avec les auto

1) V. sur ces notices historiques l'ouvrage d'Alex. de Miltitz, principalement le Résumé t. II, part 1re, p. 394. de Martens, dans son Essai intitulé: Versuch einer historischen Entwickelung des Wechselrechtes, avait dėjȧ fourni des notices précieuses. V. en outre de Steck, Handelsverträge p. 215 et Versuche p. 119.

rités régulières du territoire, ne pouvait guère se concilier avec les développements du système moderne des États et la consolidation du pouvoir monarchique. Elle devait au contraire paraître une usurpation sur la liberté et l'indépendance de la souveraineté territoriale. Dès lors commença à se manifester partout la tendance d'assujettir le commerce des étrangers aux lois et aux tribunaux locaux. En créant des juges de commerce spéciaux, quelquefois, ainsi que cela a eu lieu en France, sous le nom même de consuls, on avait soin de les charger également de la protection du commerce étranger dans des limites raisonnables. Par l'établissement de missions diplomatiques permanentes dans les Cours souveraines, les intérêts commerciaux des peuples furent en outre représentés d'une manière plus directe et plus efficace qu'ils ne l'avaient été jusqu'alors. Il ne restait donc tout au plus qu'à pourvoir aux intérêts locaux du commerce étranger par l'envoi d'agents chargés de leur défense auprès des autorités des lieux. C'est ainsi que l'institution de juges consulaires du moyen âge s'est transformée enfin en celle de simples agents, chargés de certaines attributions de police sur leurs nationaux. Dans ces conditions elle s'est conservée, en vertu de concessions réciproques, d'une manière très-salutaire dans tous les États chrétiens de l'Europe et du Nouveau-Monde. Dans les États musulmans au contraire, notamment aux Échelles du Levant et dans les pays barbaresques, elle a gardé un caractère différent, à la vérité vivement contesté en ce dernier temps, soit en vertu d'anciens priviléges concédés aux diverses nations, soit en vertu de traités qui en garantissent le maintien en termes formels.1

ATTRIBUTIONS DES CONSULS ACTUELS.

§ 246. D'après la pratique généralement admise aujourd'hui dans les États européens et du Nouveau-Monde, les consuls, ainsi que nous venons de le dire, forment une espèce particulière d'agents diplomatiques, chargés de la défense des intérêts de commerce de leurs pays dans les places où ils sont envoyés.

1) V. de Miltitz t. II, part 2, p. 3 suiv. Ces traités sont indiqués par Mirus § 396.

Tantôt sujets du pays qu'ils représentent (consules missi), tantôt sujets du pays même où ils résident (consules electi), ils ne peuvent entrer en fonctions que lorsque les deux gouvernements intéressés sont d'accord sur le choix même de leur personne. Aucun gouvernement n'est tenu d'admettre malgré lui des consuls étrangers. Aussi a-t-on soin de se faire accorder expressément cette faculté par une convention publique. Dans la plupart des traités de commerce modernes intervenus entre les États où il existe à cet égard des usages incontestés, on trouve des clauses semblables. Il existe cependant certains traités qui excluent expressément l'admission réciproque des agents consulaires.1

La nomination de l'agent consulaire se fait par lettres de provision délivrées par le gouvernement qu'il représente. D'après la théorie générale, tout État, même l'État mi-souverain en possession d'un pavillon spécial, a le droit de se faire représenter dans les places de commerce étrangères par ces sortes d'agents.

L'agent consulaire ne peut entrer en fonctions qu'après avoir obtenu la confirmation du souverain dans le territoire duquel il doit exercer ses fonctions. Cette confirmation lui est surtout nécessaire s'il est sujet du même souverain. Elle lui est délivrée par un acte d'exequatur ou de placet, qui justifie de sa qualité auprès des autorités locales.

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Le titre de l'agent consulaire varie selon l'étendue et l'importance de ses fonctions. Il prend le titre de consul général, lorsque ses fonctions embrassent tout un territoire ou plusieurs places de commerce; ou bien simplement celui de consul, de vice-consul ou de suppléant. Ces titres toutefois n'ont pas toujours une signification aussi précise.

1) Comme, par exemple, dans un traité entre la France et les PaysBas: il paraît toutefois que cette clause a été abrogée. Une loi fédérale du 12 novembre 1815 défend l'établissement des consulats dans les forteresses de la confédération germanique. V. de Steck, Essais sur divers sujets internationaux. p. 52.

2) Cela a été expressément stipulé dans le traité entre les ÉtatsGénéraux et le roi des Deux-Siciles, du 27 août 1753, art. XLI. Wenck, Codex juris gent. II, p. 753.

§ 247. Les fonctions ordinaires des consuls consistent:" 1o A surveiller toujours la stricte observation des traités de commerce et de navigation, tant par le gouvernement près duquel ils résident, que par la nation qu'ils représentent. Si la bonne entente vient à être troublée, ils doivent faire auprès des autorités compétentes les démarches nécessaires pour la rétablir. Ils prennent connaissance de l'arrivée des navires de leur nation, de leurs chargements et de leurs équipages. Ils sont chargés aussi de la police des passeports.

2o Ils portent des secours ou des conseils aux commerçants et aux marins de leur nation, toutes les fois que ces derniers les réclament. Ils peuvent exiger des autorités étrangères l'extradition des hommes de l'équipage qui se sont enfuis des navires de leur nation, dans les limites établies par les traités ou par les usages.

3o Ils sont investis d'une espèce de juridiction volontaire dans les limites fixées par les traités et les usages. Ainsi ils délivrent aux marins et aux négociants des certificats authentiques.

4o Ils cherchent à arranger à l'amiable les difficultés qui s'élèvent entre les sujets de leur nation, et entre ces derniers et les habitants du pays.

Les attributions des consuls envoyés aux Échelles du Levant et dans les États barbaresques, sont plus étendues, malgré des réclamations continuelles dont elles ont été l'objet dans ces dernières années. Des traités récents stipulent encore en faveur

1) Des dispositions très-étendues sur les attributions et les prérogatives consulaires se trouvent dans le traité entre la France et l'Espagne du 13 mars 1769. Wenck, Codex juris gent. III, p. 746. Martens, Recueil t. I, p. 629. Parmi les traités les plus récents nous citons ceux intervenus entre la France et le Texas du 25 septembre 1839, art. 8-13, entre la France et la Sardaigne du 4 février 1852 (Gazette des tribunaux 11 mars 1852). V. Laget de Podio, Juridiction des consuls de France à l'étranger. 2e édit. Marseille 1843. Pour les autres États v. Mirus § 390. B. de Cussy, Règlements consulaires des principaux États. Leipzig 1852. König, Preussens Consular-Reglements. Berlin 1854, et les ouvrages indiqués au § 244, notamment Neumann (pour l'Autriche).

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