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premièrement, la faculté d'occuper d'une manière fixe et permanente un certain territoire (jus territorii);'

secondement, celle de faire usage de tous les produits naturels du sol, de même que des choses communes au genre humain;2

troisièmement, la protection et la défense de l'existence politique contre tous les dangers qui la menacent, et l'adoption des mesures de précaution propres à repousser toute agression du dehors.3

Les périls qui menacent l'existence des États sont nombreux. Tantôt ce sont des forces naturelles et surhumaines ou des bouleversements qui changent la face du monde, tantôt c'est la violence humaine. Les premiers par eux-mêmes ne justifient aucunement des lésions faites à l'existence, aux propriétés et aux droits d'États étrangers et de leurs sujets. Une extrême nécessité peut seule rendre légitime la défense, faite par une nation, de ses propres droits aux dépens des droits d'autrui. Encore faut-il, pour la légitimer, qu'elle ne l'ait pas provoquée ellemême, et que le préjudice occasionné puisse être réparé au moyen d'une indemnité.

Les principes du droit de légitime défense sont les mêmes pour les nations que pour les individus, bien qu'ils soient d'une application plus rare par rapport aux premières. Supposons qu'une nation manque absolument de vivres, elle peut incontestablement, après avoir épuisé tous les moyens, contraindre ses voisins qui en ont de reste, à lui en céder à juste prix, ou même en enlever de force, sauf indemnité.*

Le droit d'une juste défense est le droit qui appartient à chaque nation de repousser par la force toute agression quelconque. Les autres nations ont le devoir de la secourir, si seule elle ne peut repousser l'agression. Mais il faut une lésion réelle,

1) V. § 31 et 65 ci-après.

2) V. le droit de propriété ci-après.

3) Adversus periculum naturalis ratio permittit se defendere. L. 4. D. ad legem Aquil.

4) Vattel II, 120. Bynkershoek, Quaest. jur. publ. II, 15. Grotius II, 2, 9.

résultant de l'intention de léser. Tant qu'il n'y a pas de lésion, il est permis seulement de prendre des mesures de précaution, telles que des coalitions, des armements, des constructions de forts etc. Dès que le danger existe, la nation menacée a le droit d'opposer la force, et même d'aller au-devant de l'attaque qui la menace en attaquant elle-même. C'est ce que conseillaient déjà les lois romaines: „, melius est occurrere in tempore quam post exitum vindicare."1

Il est évident que le point de vue étroit du droit privé ne peut servir ici de règle aux rapports internationaux. Le secret qui enveloppe les trames de la politique ne laisse guère deviner très-souvent ses vues ni son but véritables. Une longue observation même du système politique poursuivi par un Cabinet ne fournira souvent que des suppositions et rendra l'erreur excusable. Toutefois on doit se prémunir contre des entraînements inconsidérés et procéder dans les explications réciproques avec une franchise complète.2

Une nation peut prendre un tel accroissement qu'il pourra devenir par la suite un danger pour les autres nations. Néanmoins cet accroissement seul ne constitue aucunement un cas de juste défense et de guerre légitime, tant qu'il s'opère dans les limites du droit et de la justice internationale. Mais le jour où les agrandissements de cette puissance cesseront d'être fondés sur des titres valables, tels que mariages, cessions etc., ce jour-là les autres, sans commettre aucune offense, pourront s'y opposer.

La question de savoir si des changements de l'équilibre politique des États, prévus ou accomplis, autorisent les États menacés à s'y opposer par la force, doit être résolue dans un sens analogue. Tant que ces changements ont pour base des titres actuels et valables, vouloir les empêcher, ce serait commettre une insulte. Mais en dehors de ce cas, la politique conseille la réunion collective de toutes les forces, pour prévenir ou pour repousser le danger commun. C'est là surtout que la politique

1) Loi 1. Cod. quando liceat unicuique.

2) Nous examinerons le droit de demander des explications à l'occasion du droit d'intervention aux § 44 et suiv. ci-après.

3) V. un résumé des diverses opinions chez Günther I, p. 362 suiv.

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de coalition a obtenu ses plus beaux triomphes. Nous citons comme exemples la coalition qui avait pour objet la succession d'Espagne après le décès du roi Charles II, celle formée en 1785 par le grand Frédéric sous le nom de Ligue des princes allemands, en vue de la succession de Bavière; enfin les coalitions de la Révolution et de l'Empire.'

Il n'existe à la vérité aucun juge qui puisse déterminer d'une manière exacte où s'arrête le droit, où commence la nécessité d'une juste défense. Cette nécessité, elle surgira incontestablement le jour où des indices irrécusables révéleront les vues d'une puissance tendantes à établir sa suprématie sur les autres et à fonder une monarchie universelle.

2. Droit de souveraineté.

§ 30. Un autre droit fondamental des nations est celui de remplir leur mission avec une entière indépendance. Chaque nation est libre de régler à son gré les formes de son gouvernement et les conditions de son administration intérieure. Nous examinerons par la suite les restrictions que le droit d'intervention apporte à la souveraineté des États.

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Il est encore incontestable que chaque nation est libre d'adopter elle-même et d'accorder à ses autorités les noms, les titres, les distinctions extérieures, les armes etc. qu'elle juge à propos. En général les autres nations n'ont rien à voir dans ces actes d'autonomie intérieure. Un droit d'intercession n'existe à leur profit que dans les cas suivants, savoir:

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premièrement si des traités en vigueur ou certains rapports envers quelque puissance étrangère s'y opposent (§ 18 suiv. ci-dessus);

1) Tel était aussi le sens profond des paroles prononcées naguère par l'Empereur dans une occasion solennelle: „Si l'Europe veut la paix, il faut que l'opinion publique se prononce."

2) La pratique des États se dirige, à cet égard, d'après les règles de l'art du blason. V. les écrits concernant cette matière, dans: Berend, Allgem. Schriftenkunde der Wappenk. 1835. 3 vol. Lower, Curiosities of Heraldry. London 1845. Pour l'histoire des armes v. Deutsche Vierteljahrsschrift. 1853. No. 64.

3) Vattel II, 3, § 41 suiv. de Réal, Science du Gouvern, V, 5, 6. Günther, Völkerr. II, 4, 1.

secondement, si les titres ou les honneurs appartiennent déjà à une autre puissance;

enfin les puissances étrangères ne sont point obligées de déférer aux volontés du souverain qui prend un titre et un nom nouveaux, et de lui décerner les honneurs qui y sont attachés.

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En conséquence, le souverain qui veut prendre un nouveau titre ou une nouvelle qualité, doit s'assurer d'avance le consentement des autres souverains, du moins de ceux qui ont le droit ainsi que le pouvoir de s'y opposer. Il en est de même quand il s'agit du changement de titres, d'armes et d'autres distinctions extérieures. Telle est la pratique constante des États. Sous ce rapport les négociations qui ont précédé l'adoption du titre royal par l'électeur de Brandebourg, et du titre d'empereur que le czar Pierre I s'est décerné lui-même, sont utiles à consulter. L'opposition peut avoir pour motifs l'affaiblissement du prestige attaché au titre, si à ce titre ne correspondent pas des moyens suffisants pour le soutenir dignement; elle peut encore être fondée sur l'abaissement des autres souverains par suite de l'élévation de l'un d'entre eux. Le droit revendiqué autrefois par le Saint-Siége de conférer des titres politiques n'est plus sérieusement soutenu aujourd'hui. Les écrivains politiques de la Prusse surtout ont réduit à sa juste valeur cette prétention.

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1) Schmelzing, Europ. Völkerr. § 40. Schmalz, Völkerr. p. 182.
2) V. surtout de Ludewig, Opusc. miscell. I, p. 1 et 129.

3) Il existe un protocole du Congrès d'Aix-la-Chapelle (v. Meisel, Cours de stile diplomat. Dresde 1824. t. II, p. 593), qui nous paraît très - curieux sous ce rapport.

Protocole séparé. Séance du 11 Octbr. 1818 entre les cinq puissances.

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La conférence ayant été informée de l'intention de Son Alt. Royale de prendre le titre de Roi, et ayant pris connaissance des lettres adressées par ce prince aux souverains pour obtenir leur consentement à cette démarche:"

"

Les Ministres des 5 Cabinets réunis à Aix la Ch. prenant en considération que le but de leur réunion est celui de consolider l'ordre actuel des choses, et non pas de créer de nouvelles combinaisons, considérant de plus que le titre porté par un souverain n'est pas un objet de simple étiquette, mais un fait tenant à des rapports essentiels et à d'importantes

§ 31. Le principe de la souveraineté externe comprend également le droit des nations de se gouverner librement et avec une entière indépendance de toute influence du dehors. Ce principe comprend surtout celui de la souveraineté territoriale (jus territorii), c'est-à-dire le droit de commandement et de juridiction exclusive dans toute l'étendue du territoire, principe connu également sous le nom ,, d'intégrité et d'inviolabilité" des États." Par suite aucune nation ne peut, par ses lois ni par ses actes, affecter directement, lier ou régler des objets qui se trouvent hors de son territoire. Aucun acte de juridiction étrangère ne peut non plus être exécuté dans le territoire d'une nation sans son consentement exprès ou tacite. L'intégrité et l'inviolabilité d'un État trouve ses limites naturelles dans celle des autres. Voici les conséquences pratiques des principes qui viennent d'être énoncés.

I. L'autorité de tout acte et de tout établissement public expire aux limites du territoire. Ainsi l'administration des postes, celle des loteries, les bureaux d'enrôlement militaires ne peuvent pas fonctionner dans un territoire étranger. Les notaires ne peuvent pas non plus y instrumenter, ni les autorités judiciaires et de police y exercer des poursuites. Les fonctionnaires de l'État n'y ont aucun caractère public. Les décorations accordées aux sujets d'un État par un souverain étranger, ne peuvent être questions politiques, sont d'avis qu'en leur qualité collective ils ne sauraient prononcer sur cette demande; pris séparément, les Cabinets déclarent qu'attendu que la demande de S. A. R. . . . . . n'est justifiée par aucun motif satisfaisant, il n'y a rien qui puisse les engager à y accéder.“

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Les Cabinets prennent en même temps l'engagement de ne reconnaître à l'avenir aucun changement ni dans les titres des souverains ni dans ceux de princes de leurs maisons, sans en être préalablement convenus entre eux."

Ils maintiennent ce qui a été statué à cet égard jusqu'ici par des actes formels. Les 5 Cabinets appliquent explicitement cette dernière rẻserve au titre d'Altesse Royale, qu'ils n'admettront désormais que pour les chefs des maisons Granducales, l'Électeur de Hesse y compris, et pour leurs héritiers présomptifs."

Sig. METTERNICH.

RICHELIEU. CASTLEREAGH. WELLINGTON.
HARDENBERG. BERNSTORFF. NESSELRODE. CAPO D'ISTRIA.

1) Vattel II, § 78.93.

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