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portées sans une autorisation spéciale (placet, exequatur). Un État n'a aucune juridiction sur un autre, même par rapport aux engagements contractés envers les sujets de ce dernier.'

II. L'autorité publique d'un État ne peut faire aucun acte de nature à porter atteinte, d'une manière directe ou indirecte, à l'intégrité d'un autre dans ses éléments naturels. Ainsi elle doit s'abstenir d'actes quelconques tendant à provoquer l'émigration des sujets d'un autre État, ou à le dépeupler, ou à en détacher une portion de territoire. Elle ne doit pas s'approprier arbitrairement les enclaves de son territoire appartenant à un État étranger. Il est vrai que la politique n'a pas toujours respecté ce principe incontesté du droit international. Souvent elle a provoqué ouvertement la révolte, ou du moins elle a favorisé dans un intérêt égoïste des conspirations et la propagande révolutionnaire. Il a été constaté que telle a été la politique constante de plusieurs cabinets de l'Europe. Mais elle n'a jamais osé s'abriter des maximes du droit: c'est en secret qu'elle a le plus souvent agi, et elle a toujours rencontré l'opposition des autres cabinets.2

D'un autre côté on ne peut empêcher un État de recevoir sur son territoire les émigrants d'un autre pays, ou de leur offrir en général certains avantages. On ne peut l'empêcher non plus d'incorporer à son territoire les parties d'un territoire étranger qui, après s'en être détachées, ont fait reconnaître leur indépendance conformément aux règles du droit international (§ 23 ci-dessus).3

III. Le pouvoir souverain d'un État ne doit refuser ni retirer à un État étranger les droits qui lui appartiennent d'après l'ordre naturel des choses. Les rapports naturels d'États limitrophes notamment, doivent être maintenus d'après leurs con

1) V. Arrêt de la Cour de cassation du 24 janvier 1849 (Sirey 1849, I, p. 81). Gaz. des Tribun. du 26 janv. 1849. Cet arrêt décide que les tribunaux français ne sont pas compétents pour connaître des engagements contractés par un gouvernement étranger envers un Français. Déc. conf. Paris 7 janvier 1825. Havre 25 mai 1827 trib. civ. de la Seine 2 mai 1828.

2) V. Günther, Völkerr. II, p. 276 suiv.

3) V. Moser, Vers. VI, p. 118. Günther, loc. cit. II, p. 298 suiv.

ditions primitives, et un État ne peut revendiquer le domaine exclusif de choses que la nature a réparties entre tous ou entre plusieurs également. Ainsi on ne doit pas détourner le cours d'une rivière ou d'un lac au préjudice d'un État voisin, mais les États riverains peuvent l'utiliser dans son parcours sur leur territoire, pourvu que son cours naturel ne soit pas changé.'

IV. Le pouvoir souverain d'un État ne doit pas non plus autoriser sur son propre territoire la création d'établissements qui sont de nature à nuire aux rapports naturels des États. A cet effet on applique la maxime du droit privé: „In suo quisque facere non prohibetur dum alteri non nocet", en même temps qu'on admet une distinction entre „, damnum" et "lucrum cessans. ,,

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Les autres restrictions de la souveraineté et de l'indépendance des États découlent de leurs droits généraux que nous indiquerons ci-après, des droits généraux de l'homme placés eux-mêmes sous la protection des lois internationales, des règles du droit privé, des rapports religieux établis entre les sujets d'un État et une autorité spirituelle étrangère, des rapports d'exterritorialité et enfin des servitudes publiques.

3. Droit de respect mutuel des États.

§ 32. Les nations, à moins qu'elles ne prétendent vivre dans un isolement complet, telles que la Chine, le Japon et d'autres tribus de l'ancienne Asie, doivent reconnaître et respecter mutuellement leur existence comme membres de l'association humaine. De même qu'entre les hommes, le droit de respect entre les nations résulte de leur existence physique. Le respect dû à un État ne peut lui être refusé par un autre que dans le cas où ce dernier contesterait sa légitimité et romprait les relations avec lui. Et alors encore les devoirs commandés par la morale et par l'humanité ne pourront pas lui être refusés.

Les devoirs qui correspondent au droit de respect, d'un caractère tantôt positif, tantôt négatif, sont notamment le respect

1) Vattel I, 22, 271. 273.

2) Multum interest utrum damnum quis faciat, an lucro quod adhuc faciebat, uti prohibeatur. L. 1. § 11. Dig. de aqua 1. 26. D. de damno infecto. V. Cocceji, De jure nocendi aliis, dans: Vol. dissert. II, p. 1199.

de la personnalité physique, celui de la personnalité morale et celui de la dignité morale.

I. Le respect de la personnalité physique d'un État résulte de sa qualité de membre de l'association humaine. Dès lors il n'est permis à aucune nation d'entreprendre la destruction physique d'une autre, aussi longtemps du moins que son propre salut ne le commande impérieusement (§ 29 ci-dessus). Ce serait donc commettre une injustice que de fermer à un État enclavé des débouchés de son commerce ou de l'imposer de droits exorbitants qui équivaudraient à une prohibition, et de l'empêcher par là de se procurer les moyens de subsistance nécessaires et qu'il ne possède pas lui-même.'

II. Le respect de la personnalité morale des États, c'està-dire de tous les droits généraux et spéciaux, sanctionnés par leur constitution propre, tant que leur exercice ne dépasse pas de justes limites, ou ne fait pas naître des conflits qui résultent de l'existence de droits opposés;

Ainsi les États dans leurs relations réciproques se doivent les égards et les honneurs consacrés par les règles du cérémonial public. Ils doivent s'abstenir d'actes arbitraires qui sont de nature à usurper sur les droits souverains d'un État étranger ou à en empêcher l'exercice. Toute lésion ou toute usurpation des droits et des établissements d'un souverain étranger, telles que la contrefaçon de monnaies faite surtout avec une diminution du poids, l'emploi illicite d'armes ou d'un pavillon étrangers, et en général toute fraude, constituent des lésions.

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Mais d'un autre côté les États ne sont aucunement tenus de s'aider et de s'assister réciproquement dans l'exercice de leurs droits particuliers.

Les États doivent en outre, dans leurs relations réciproques, respecter les institutions particulières de chacun. Ainsi il ne leur est pas permis d'ignorer dans leurs négociations la constitution d'un pays, à moins qu'ils n'aient le droit d'en contester la validité. De même lorsqu'un souverain fait poursuivre ses droits

1) V. Vattel II, 134. La simple perception des droits d'entrée ou de transit ne constitue pas une lésion.

2) V. Vattel I, § 108.

devant des tribunaux étrangers, ou est appelé à s'y défendre, il doit se conformer aux lois du pays, sans aucunement être tenu de leur accorder par voie de réciprocité une autorité semblable dans son propre territoire.'

III. Respect de la dignité morale des États, ces derniers faisant partie de l'ordre moral universel, pourvu que par leur conduite ils ne se rendent indignes du respect des autres.

Il n'est donc permis à aucune nation de traiter une autre avec dédain ou d'une manière offensante. Mais en même temps il suffit que dans leurs rapports les nations s'accordent mutuellement les honneurs dus à leur rang parmi les États. Ainsi, bien que la gloire d'une nation tienne intimement à sa puissance, elle ne peut pourtant exiger des autres qu'elles la traitent comme la plus grande et la plus brave. En général c'est une conduite fondée sur le droit et sur la justice qui attire à une nation la considération des autres peuples. Il est vrai que si, passagèrement et par un acte isolé, elle venait à s'écarter de la ligne étroite de la justice, cet acte seul ne devra pas lui faire perdre la considération à laquelle elle peut prétendre. Le droit de juger ces actes appartient à toutes les nations, selon l'adage des lois romaines: „peccata nocentium nota esse et oportet et expedit." Où s'arrêtera le mensonge le jour où les souverains justiciables par le tribunal de l'histoire, dont ils sont pour ainsi dire les organes vivants, refuseront d'accorder à la vérité l'accès dans leurs conseils? Chaque souverain a donc le droit d'exiger qu'une foi entière soit accordée à ses paroles et à ses explications, pourvu que ses actes attestent sa sincérité et sa bonne foi."

Les gouvernements doivent veiller en outre que les engagements auxquels ils se sont soumis, soient exécutés également

1) Nous examinerons les cas de conflits des lois internationales aux § 34 et suiv. ci-après.

2) La gloire d'une nation est sans doute un bien très-réel et incontestable. C'est en ce sens que Vattel (I, § 190) a pu dire: attaquer la gloire d'une nation, c'est lui faire injure.

3) L. 18 D. de injur.

4) V. les ouvrages cités par de Kamptz, Lit. § 93.

par leurs propres sujets. Jusqu'à présent néanmoins les lois spéciales des États de l'Europe ont gardé un silence à peu près unanime sur la protection qui est due aux droits et aux intérêts particuliers des gouvernements étrangers. La pratique égoïste des États n'a pas hésité à nier la nécessité d'une protection semblable. La contrebande à l'étranger, par exemple, d'après la jurisprudence constante des tribunaux, continue à être considérée comme une chose parfaitement licite dont personne n'a à rougir.'

1) Qu'il nous soit permis de rapporter ici les termes d'un arrêt rendu en sens contraire par la Cour suprême dans laquelle nous avons l'honneur de siéger.

Attendu que la Cour de cassation est compétente pour statuer sur la question de savoir: si une convention est contraire aux bonnes moeurs? Car cette question implique non pas des idées accidentelles, mais des principes constants qui doivent être considérés comme faisant partie de la loi à laquelle ils servent de base;

que les idées sur ce qui est moralement permis ou défendu, ne sont pas des idées locales, circonscrites dans les limites du territoire d'un État ;

que la volonté morale, qui est le fondement des bonnes moeurs, consiste essentiellement dans l'obligation de ne léser les droits de personne, ni de s'enrichir aux dépens d'autrui;

que chaque État a le droit incontesté d'exiger une justification de marchandises importées de l'étranger et d'en percevoir des droits;

qu'à la vérité les États ne sont pas tenus de s'entr'aider réciproquement dans l'exercice de ce droit, mais qu'une violation à cet égard n'en constitue pas moins une lésion et un acte incontestablement immoral de la part de celui qui l'entreprend dans un but d'intérêt personnel, ou qui le provoque;

que par suite la Cour d'appel rhénane a jugé avec raison que la convention dont il s'agit, et qui avait pour objet l'introduction de marchandises de contrebande dans un pays ami, était contraire aux bonnes moeurs et aux lois etc.

La jurisprudence française professe des principes moins libéraux. Par arrêt du 25 mars et du 25 août 1835 la Cour de cassation a jugé que la contrebande à l'étranger n'est pas une cause illicite d'obligation; qu'elle peut être notamment l'objet d'une société entre Français, ainsi que d'un contrat d'assurance valable. Ces arrêts s'appuient sur les motifs que la contrebande en pays étranger, à l'aide de ruse employée pour tromper les préposés chargés de l'empêcher, n'est prévue ni réprimée par aucune loi française; qu'on viole les lois prohibitives qui n'obligent que les sujets du prince qui les a établies (Sirey 1835, 1, 675 et 805). La jurisprudence anglaise et américaine n'est guère plus libérale. V. dans le sens

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