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Chaque gouvernement, sur ce terrain, semble attendre de l'État voisin l'initiative d'une réforme. Cette initiative on ne la rencontre jusqu'à présent que dans les États fédéraux: là du moins les intérêts collectifs ont été réglés d'une manière satisfaisante pour tous. Nous reprendrons les détails de cette matière dans le Chapitre relatif aux obligations qui naissent des délits.

4. Commerce mutuel des nations.1

§ 33. Le but suprême du droit international, ainsi que nous l'avons expliqué (§ 2 ci-dessus), étant le rapprochement mutuel des nations, il fournit par le commerce des moyens d'échange de leurs ressources morales et matérielles, propres au développement de la nature humaine. La liberté de commerce à la vérité n'est pas un principe absolu. Il doit subir plusieurs restrictions. La première résulte de cette justice distributive qui, fondée sur l'égalité en nivelant les positions inégales, s'oppose à ce qu'un État entretienne avec un autre un commerce dont seul il supporterait les charges et ce dernier les bénéfices. Une autre restriction fondée sur des motifs tout aussi graves, résulte de cette circonstance que l'intérêt de conservation ne permet guère à un État de se placer dans une dépendance absolue d'un autre, en lui accordant une liberté de commerce absolue.

La politique intérieure des États doit seule dicter les mesures de précaution, de défense, de réciprocité et d'encouragement qu'il convient de prendre à cet effet. C'est à elle à proscrire du territoire d'un État les branches nuisibles du commerce, à assujettir celui des étrangers au régime des passeports et aux règlements de police, à favoriser les produits nationaux en grevant les produits étrangers de droits protecteurs, en traçant les routes que ces derniers, lors de leur entrée dans le territoire, doivent suivre, et en les assujettissant à la nécessité d'entrepôt. C'est à

de notre opinion Pfeiffer, Prakt. Ausf. III, 83 et l'auteur espagnol Pando, Elem. del derecho intern. p. 144; sur les contestations entre États pour faits de contrebande, v. Moser VII, 756. V. aussi la loi prussienne du 22 août 1853 (Gesetzsammlung, 926).

1) Voir les écrits concernant cet objet dans: Ompteda, Lit. § 277. de Kamptz § 252. Klüber, Droit des gens. § 69. Zachariae, 40 Bücher. IV, 21.

elle à décider s'il convient de favoriser le commerce étranger par des traités, par la création de ports libres' et d'établissements analogues, ou bien seulement celui de certaines nations (§ 27); d'accorder même des monopoles, s'ils peuvent offrir encore aujourd'hui de réels avantages. Enfin une nation peut, par un traité de commerce, se soumettre à certaines restrictions, pourvu qu'elles n'affectent ni son indépendance ni les progrès de son développement intérieur.

On pourra résumer le droit public des nations civilisées à cet égard dans les propositions suivantes:

I. une nation qui, par rapport à son commerce, adopte un système d'isolement complet, renonce par là à la jouissance du droit commun des nations;

II. une nation ne peut, sans commettre un acte d'hostilité, priver une autre du commerce des objets qui sont pour cette dernière d'une nécessité absolue, conformément à ce que nous avons dit au § 29 ci-dessus;

III. une nation ne peut, sans commettre un acte d'offense et de lésion, priver une autre de l'usage paisible de ses routes de terre et d'eau, dont celle-ci a besoin pour tirer d'un pays tiers ses moyens de subsistance. Les anciens auteurs, qui désignent ce droit sous le nom de Jus transitus ou Passagii innoxii, ne s'accordaient pas entre eux sur la question de savoir s'il constitue une obligation parfaite ou imparfaite. La seule nécessité des besoins humains peut le justifier complètement; le refus non motivé ď’objets utiles ne constituera qu'un procédé peu amical. Grotius et Vattel en font également l'objet d'un droit de nécessité dont l'appréciation appartient naturellement au propriétaire;2

IV. une nation ne peut, sans offense ou sans lésion, prétendre exclure le commerce rival d'une autre d'un territoire où il est admis. Vainement quelques nations de l'Europe se

1) V. Moser VII, 730. Sur les ports libres de Palerme et de Messine v. Martens, Nouveau Recueil. V, 530.

2) Comp. Günther I, 225, note c. Pufendorf, J. N. III, 3, 6. Grotius II, 2, 13. Vattel II, 123. 132 — 134.

sont réservées naguère le monopole du commerce surtout aux Indes Occidentales et Orientales. Seulement les colonies ne sauraient sous ce rapport être assimilées à des puissances tierces. Elles relèvent de la métropole et sont gouvernées par la politique qui tend à garantir à celle-ci leur commerce exclusif. Qu'il suffise de rappeler à ce sujet le régime des droits municipaux des colonies françaises. V. Toute nation, dans ses transactions avec les étrangers, est tenue de se conformer aux règles de la bonne foi. Elle ne doit pas abuser de la foi des nations étrangères: une nécessité rigoureuse peut seule lui servir d'excuse, lorsque, par exemple, elle commet une violation du secret des lettres.' VI. Aucune puissance ne peut refuser de recevoir sur son territoire les sujets d'une puissance amie, dès qu'ils justifient d'une manière régulière de leur individualité. Elle ne peut, après les avoir reçus, les renvoyer de son territoire sans des motifs qui doivent être communiqués à leurs gouvernements respectifs. Dans tous les cas le renvoi ne peut s'effectuer avec des formes blessantes, si la conduite de l'individu renvoyé ne les justifie pas. C'est une conséquence du droit au respect.2

VII. Tout commerce contraire aux droits fondamentaux de l'homme est illicite. Celui qui l'empêche ou le détruit, ne commet aucun acte d'injustice.

La traite des noirs présente ce caractère. On connaît les tentatives tendant à sa suppression qui ont été faites par les nations européennes, surtout depuis le congrès de Vienne, tentatives qui n'obtiendront de succès complet que le jour où l'équilibre général sera établi sur les mers, le jour surtout où les États-Unis de l'Amérique auront renoncé à leur opposition au système adopté par les puissances maritimes de l'Europe.3

1) V. de Kamptz, Lit. § 94.

2) L'article relatif au renvoi de MM. Hecker et Itzstein de la Capitale de la Prusse, inséré dans les Annales de jurisprudence prussienne (LXV, p. 559) ne présente pas exactement ces principes.

3) Traité de Paris conclu avec l'Angleterre, art. addit. 1. Déclaration des plénipotentiaires des cinq puissances de l'Europe du 8 février 1815.

III. MODIFICATIONS DES DROITS FONDAMENTAUX DES ÉTATS DANS LEURS RAPPORTS MUTUELS.

1. Conflits des droits souverains de différentes nations.

§ 34. Le principe de la souveraineté et de l'indépendance de chaque nation n'a pas un caractère absolu et exclusif au point de faire considérer des lois et des actes émanés des souverains étrangers comme dépourvus de toute autorité hors du territoire. Une pareille exclusion ne s'accorderait guère avec le respect mutuel que les nations se doivent les unes aux autres. Il faut ajouter en outre que certaines causes les obligent à avoir égard aux rapports nés sous l'influence des lois étrangères. Nous allons les indiquer.

I. Dans les relations internationales, le caractère politique des personnes diplomatiques ainsi que leurs biens sont régis exclusivement par les lois de l'État qu'elles représentent. Pour refuser d'admettre sur son territoire les conséquences de cette exemption, il faudrait ou qu'elles fussent contraires aux usages internationaux, ou de nature à porter quelque préjudice à l'État qui les repousse. Ainsi, par exemple, un gouvernement ne peut refuser de reconnaître les qualités, les titres etc. dont les agents diplomatiques accrédités auprès de lui ont été investis par leurs gouvernements respectifs.'

II. Lors de l'examen d'un acte reçu à l'étranger, il faut recourir aux dispositions des lois étrangères. De même il faut ajouter pleine foi aux communications émanées des autorités

Bulle du Saint-Siége du 3 décembre 1839 dans Martens-Murhard, N. R. XVI, 1034. Décret de la Confédér. german. du 19 juin 1845, qui assimile la traite des noirs à la piraterie et au rapt. V. Klüber, Droit des gens. § 72. Murhard, N. Suppl. III, p. 48. 238. Le journal „Ausland" de 1842. No. 335. Traités conclus entre l'Angleterre, la France et les Pays-Bas des 30 novembre 1831 et 22 mars 1833 (Martens, N. R. IX, 547. 555), auxquels ont accédé la Sardaigne, 8 août 1834, les villes hanséatiques, 9 juin 1837 et la Toscane (Martens XIII, 194. XV, 191 et 292). Traité conclu entre l'Autriche, la Prusse, la Grande-Bretagne et la Russie, du 20 décembre 1841 (N. R. S. II, 392), entre la Grande-Bretagne et la France du 29 mai 1845 (VIII, 284).

1) V. Schmelzing, Völkerr. § 14.

étrangères, pourvu que leur compétence ni l'authenticité de l'acte ne soient contestées. A cet effet il est d'usage de faire légaliser par les agents diplomatiques les signatures des actes délivrés par les autorités locales. Il est vrai que l'observation de ces formalités entraîne des lenteurs que l'on a cherché à abréger dans les pays où la connaissance des institutions étrangères est tenue en honneur. En Prusse notamment une circulaire concertée entre les ministres de la justice et des affaires étrangères, datée du 22 mars 1833, a tracé à ce sujet des limites raisonnables.'

Les lois d'une nation peuvent encore accorder certains effets aux actes émanés des autorités étrangères, bien entendu à la condition expresse ou tacite d'une parfaite réciprocité.

Lorsqu'enfin les autorités publiques de plusieurs États sont également compétentes pour statuer sur une affaire, chacune peut procéder indépendamment de l'autre et décider l'affaire de son côté, sans la concurrence de l'autre puissance.

Conflits de juridiction de plusieurs États.

§ 35. Les règles de l'équité et les convenances réciproques des nations servent encore à faire résoudre les conflits de juridiction de différents territoires. Car le droit de juridiction, celui de rendre des lois et d'en surveiller l'application par les tribunaux, n'est qu'une portion de la souveraineté, et il est fondé sur les mêmes bases.

Les principes généraux qui régissent la matière des conflits se résument dans les propositions suivantes :

I. L'État, qui n'est que l'idée incarnée de la liberté personnelle de ses citoyens, jouit du pouvoir incontesté de les sou

1) de Kamptz, Jahrb. XLI, 220.

2) Les ouvrages les plus complets sur cette matière sont ceux de Story, Commentaries on the conflict of laws foreign and domestic. Boston 1841 (v. Krit. Zeitschrift des Auslandes. VII, 228); Foelix, Traité du droit international privé. Paris 1843. Pütter, Das praktische europäische Fremdenrecht. Leipzig 1845. V. aussi l'article de Günther, Rechts-Lexicon. t. IV, p. 721. V. en outre la Note du § 37 ci-après. La Prusse et d'autres États de l'Allemagne ont conclu récemment des traités à ce sujet, qui pourront servir de base au droit commun de l'Allemagne. V. O. Krug, Das Internationalrecht der Deutschen. Leipzig 1851.

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