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spirituelle, et en lui accordant par là une autorité absolue sur la direction de leurs affaires temporelles, se transformeront en une vaste famille politique, gouvernée théocratiquement. Cette théorie, les papes l'ont poursuivie avec une logique persévérante pendant le moyen âge, mais ils n'ont jamais réussi à la réaliser entièrement. De nos jours encore, bien que prêchée par quelques champions ardents de l'Église, elle n'a trouvé qu'un écho trèsaffaibli dans les pays purement catholiques mêmes, car elle est destructive de l'indépendance nationale de l'Europe. Ou bien, et c'est là la seconde partie de notre proposition, la puissance spirituelle renoncerait à une existence politique distincte et à toute influence sur la direction des affaires du monde matériel, en se retirant dans le domaine du monde invisible.1

Les rapports entre l'Église et l'État, qui aujourd'hui coexistent ensemble complètement indépendants l'un de l'autre, sont régis par les mêmes principes auxquels obéissent en général les États ou personnes morales dans leurs relations mutuelles. Ils se résument dans les propositions suivantes :

I. En ce qui concerne le caractère des deux puissances temporelle et spirituelle, aucun souverain qui commande à des sujets catholiques, ne peut se refuser à reconnaître dans le pontife romain le réprésentant de l'unité centrale et mystérieuse de l'Église catholique, auquel elle se rattache par des liens indissolubles. Rien ne peut s'accomplir dans le sein de l'Église sans l'assentiment de son chef, qui prononce en dernier ressort sur ce qui est vrai et ce qui est faux.2 Vouloir exclure son

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1) Qu'il nous soit permis d'ajouter au dilemme posé ci-dessus par l'Auteur, ces paroles de J. J. Rousseau: De tous les auteurs chrétiens, dit-il, le philosophe Hobbes est le seul qui ait bien vu le mal et le remède, qui ait osé proposer de réunir les deux têtes de l'aigle, et de tout ramener à l'unité politique, sans laquelle jamais État ni gouvernement ne sera bien constitué." (Contrat social IV, chap. 8.) (Le traducteur.)

2) Nous n'ignorons nullement que l'infaillibilité du Saint-Père n'est point partout admise dans le monde catholique, qu'elle ne forme non plus un article du dogme de l'Église et qu'il s'est formé même, dans le sein de cette dernière, un système d'opposition qui tend à soumettre le pouvoir de l'évêque romain à une autorité ecclésiastique supérieure, et à ne lui accorder que le pouvoir exécutif et le droit de législation suprêmes.

autorité, ce serait faire violence à la conscience des sujets catholiques. D'autre part l'Église romaine ne doit pas vouloir ignorer l'existence de l'État et ses droits de se maintenir et de se développer librement: elle doit au contraire éloigner tous les obstacles de nature à le gêner dans le libre exercice de ses prérogatives.

Aucune des deux puissances ne peut faire la loi à l'autre: elles sont entièrement indépendantes l'une de l'autre. L'État n'est qu'une partie de l'ordre divin des choses: l'Église, dans ses rapports temporels, n'est pas plus infaillible que l'État. Si l'antagonisme vient à éclater entre eux, la voie de la transaction seule peut le terminer.

II. Les conventions et les concordats' conclus avec le Saint-Siége sont une autre source des rapports établis entre l'Église et l'État, quelquefois également les conventions spéciales arrêtées avec les prélats de l'Église dans les limites de leurs fonctions. Souvent même le Saint-Siége n'a pas refusé de traiter avec les puissances infidèles, tandis qu'envers les souverains dits hérétiques il n'a jamais consenti à faire usage des formes de traités publics. Ce n'est pas lui, mais ce sont certains organes trop zélés à son service, qui quelquefois ont osé émettre des doutes sérieux sur la nécessité de remplir fidèlement les engagements contractés par lui envers les puissances non-catholiques.

III. Les usages réciproques, ou l'observation uniforme de certaines règles, par suite de leur vérité interne ou de leur

Cependant ce système n'a pas réussi à obtenir l'assentiment universel. Considéré au point de vue de l'état de choses actuel, le pape est un monarque spirituel, auquel les fidèles sont soumis par la conscience, et qui lui-même n'est lié que par certaines règles émanées du Christ ou du Saint-Esprit, et conservées dans les Écritures et les traditions, ainsi que par des décrets de concile acceptés spontanément, mais nullement par la volonté des membres actuels de l'Église, pas même par celle des évêques qu'il convoque quand il le juge convenable. En un mot, il est l'image d'une monarchie absolue entourée d'anciens états - généraux, dont les prérogatives n'ont obtenu aucune garantie constitutionnelle!

1) Comp. Münch, Vollständige Sammlung aller Concordate. Leipzig 1830. 2 vol. Weiss, Corp. jur. eccles. hod. Giessen 1833.

nécessité externe, forme une autre source des rapports légaux entre l'Église et l'État. A cet effet elle reconnaît comme obligatoires pour elle et pour tous ses membres, tous les usages qui ne sont contraires ni à ses institutions, ni à ses doctrines fondamentales, ni à son propre principe.' Par là même qu'elle se réserve le droit d'examiner à son point de vue l'admissibilité d'un usage et d'émettre là-dessus un avis obligatoire pour le clergé, l'État a incontestablement le droit analogue d'examiner les prétentions temporelles qu'elle fonde sur de prétendus usages, et il peut leur refuser l'autorisation d'exequatur dès qu'elles sont en opposition avec ses institutions fondamentales.

IV. La jurisprudence actuelle relative aux rapports de l'Église avec l'État, n'est pas fondée seulement sur des conventions formelles, mais aussi sur des usages qui n'ont pour base qu'une longue possession: une jouissance immémoriale, une tolérance tacite, l'observation constante pendant qu'on avait le pouvoir, et l'intérêt de s'opposer donnent à la possession un caractère légal (§ 11 ci-dessus), que ni l'Église ni l'État ne peuvent, sans injustice, venir contester par la suite. L'État a acquis par cette voie plusieurs droits exercés ou du moins revendiqués par l'Église au moyen âge. C'est ce qu'enseignait déjà l'archevêque de Paris, Pierre de Marca, dans les termes suivants : „Conniventia sedis Apostolicae id maxime praestat, ut bona fide principes in eo negotio tractando versentur, quod ad se pertinere non improbabili ratione putant, ita ut patientia illa, si necesse sit, vicem privilegii et dispensationis subeat."2

§ 41. Nous allons indiquer à présent très-sommairement les bases pratiques sur lesquelles s'appuient les rapports du Saint-Siége avec l'État. Elles reposent tantôt sur l'histoire, tantôt sur les sources sus- indiquées.

I. Le grand Évêque romain est à la fois l'autorité spirituelle des fidèles de l'Église, et l'autorité temporelle du pays appelé d'abord le patrimoine de Saint-Pierre, agrandi ensuite

1) V. can. 7. Dist. 11, cap. 6. Dist. 12, cap. 4-9. Dist. 8, cap. 1-11. X. de consuetud. Walter, Kirchenr. § 62. Richter, Kirchenr. § 181. 2) De concordia Imp. et sacerdot. III, 9, 8.

par Pepin et par Charlemagne,' qu'elle gouverne avec des formes hiérarchiques, et elle jouit, par rapport aux autres puissances, des droits d'État souverain et indépendant. Toutes les puissances catholiques accordent au Saint-Siége la préséance, et lui témoignent en filles fidèles de l'Église les honneurs dues. Celles non catholiques, tout en lui contestant le droit de préséance, le tolèrent cependant dans un intérêt de paix. Ainsi, au Congrès de Vienne, les ministres des grandes puissances, ceux de la Russie et de la Grande-Bretagne compris, cédaient le pas aux nonces du pape.2

II. Comme puissance spirituelle, le pape exerce dans les États où le culte catholique est reconnu, toutes les fonctions qui découlent de son caractère traditionnel. D'après les règles constantes de l'Église romaine, ces fonctions consistent dans le maintien de l'unité de la doctrine et des institutions canoniques, et en conséquence dans la direction, la représentation et la surveillance des intérêts généraux de l'Église, conformément à sa constitution et à ses dogmes. Lorsque la puissance spirituelle dépasse ses limites incontestées, l'État, en vertu de son droit de police intérieure, peut lui résister et prendre à l'avance des mesures contre des empiétements éventuels, „ne quid detrimenti respublica capiat." Ces mesures sont tracées par le droit public interne et par la politique. Dès le xv siècle la pratique des nations admet à cet effet l'examen des bulles et des dispenses émanées du Saint-Siége, leur suspension et le placet regium ou le droit d'exequatur pour leur mise à exécution, et les appels comme d'abus en cas d'excès de la puissance spirituelle; des mesures pénales et de police contre la propagation clandestine des règlements ecclésiastiques destinés à être soustraits à l'examen de l'État; surveillance des relations de l'Église nationale avec ses chefs étrangers.

1) V. Cenni, Monum. Dominat. Pontif. Romae 1760. Hasse, Vereinigung der geistlichen und weltlichen Obergewalt. Haarlem 1852. Sam. Sugenheim, Geschichte der Entstehung und Ausbildung des Kirchenstaates. Leipzig 1854.

2) Günther I, 221. Rousset, Mémoires. I, 1.

3) Marheineke, System des Katholicismus. II, 344. Clausen, Kirchenverf. übersetzt von Fries. I, 27.

III. Les États pontificaux sont une monarchie élective, l'élection, depuis le moyen âge, s'opère par le collége des cardinaux d'après la constitution de l'Église, jure humano." En général les nations catholiques et leurs souverains n'ont aucun droit de participer à la direction de l'Église universelle, ni aucune influence stipulée expressément sur l'élection du pape. Dès le xv siècle néanmoins l'usage a consacré, au profit de plusieurs souverains catholiques, le droit de nommer des cardinaux protecteurs (cardinales protectores nationum). Certaines puissances (l'Autriche, la France, l'Espagne) jouissent en outre, lors de l'élection du pape, du droit de récusation de certains Candidats, droit toutefois dont les effets ne vont pas jusqu'à faire annuler une élection.' Les relations que Rome entretient avec les États étrangers, sont établies sur le pied diplomatique

ordinaire.

IV. D'après un antique usage l'Église romaine et son chef jouissaient du patronage du saint Empire romain, jusqu'à la dissolution de ce dernier survenue en 1806, patronage qui datait du règne de Pepin et de Charlemagne. Depuis la chute de l'Empire germanique, aucun souverain n'a revendiqué ce droit de protection, soit de plein droit, soit à titre électif.3

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Le droit public de chaque État et le droit ecclésiastique indiquent les autres rapports du Saint-Siége. A une certaine époque Rome prétendait soumettre à son autorité les affaires temporelles mêmes des nations. Elle s'arrogeait notamment la sanction suprême des droits des empereurs, des rois et des princes, la faculté de censurer leurs actes de gouvernement, de lever des impôts sur leurs territoires etc. La France a la première résisté victorieusement à ces prétentions exagérées, qui depuis ne se sont plus reproduites. Il nous parait toutefois digne et convenable pour le chef commun de l'Église universelle

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1) de Kamptz, Litt. § 103. Toze, Kleine Schriften. Leipzig 1791. p. 412 suiv. Moser, Beitr. in Friedenszeiten. I, 307. Günther II, 415. 2) Hüllmann, Kirchenverf. 167. 172 suiv.

3) Al. Müller, Die neu aufgelebte Schirmvogtei des österreichischen Kaisers über die römisch-katholische Kirche. Erfurt 1830.

4) Günther, Völkerr. I, 162 suiv.

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