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élaborer les précieux matériaux dont il était dépositaire, a exposé d'une manière bien supérieure la cruelle politique de l'impératrice et les malheurs de ce peuple héroïque, destiné à réveiller si souvent et si inutilement la sympathie de l'Europe.

C'est au nombre des historiens qu'on pourrait placer avec justice plusieurs des savants de cette époque. Les Mémoires de l'Académie des inscriptions et belles-lettres sont plus utiles pour la connaissance de l'histoire ancienne que la plupart des annales écrites ex professo sur ces matières. Fréret réunit la philosophie à l'érudition dans ses grands travaux sur la Chronologie des peuples de l'antiquité. Les traductions des deux premiers historiens grecs, Hérodote et Thucydide, par Larcher et Lévêque, sans représenter complétement ni le style, ni même quelquefois toute la pensée de leurs modèles, méritent cependant l'estime des savants. De Sainte-Croix a fait preuve de goût et de connaissances dans son Examen critique des historiens d'Alexandre, et dans son Ouvrage sur les Etats fédératifs de la Grèce. Boulanger et Dupuis, malgré les erreurs et les faux principes qui déparent l'Essai sur le despolisme et l'Origine de tous les cultes, ont semé dans ces deux ouvrages des réflexions justes et des aperçus profonds. L'abbé d'Arnaud sut captiver l'attention des artistes et des gens du monde, par ses articles sur la littérature et la musique grecques; mais le savant de cette époque qui fit le mieux connaître l'antiquité et inspira le plus d'intérêt pour elle, est assurément Barthélemy. On a pu reprocher à l'illustre auteur du Voyage du jeune Anacharsis, une certaine mignardise, une couleur quelquefois trop moderne dans son style, le défaut d'invention dans sa fable; mais on doit louer la prodigieuse richesse des faits et des opinions accumulés dans ce livre, sans confusion et sans monotonie, son extrême exactitude, à laquelle les Allemands, si bons juges en ces matières, se sont plu à rendre justice, enfin l'élégance d'une diction qui se plie à tous les tons, et qui offre, selon les divers sujets, la grace, la sévérité et l'élévation.

Le Voyage d'Anacharsis appartient à cette branche du roman où l'érudition entre comme élément indispensable et qui produisit, dans l'avant-dernière année du xvin siècle, le Voyage Antenor, de Lantier.

Les autres genres du roman ont été beaucoup plus féconds dans ce siècle : nous avons déjà parlé de la Nouvelle Héloïse, de Paul et Virginie, des romans de mœurs de Duclos, de Diderot et de Marmontel. Mmes de Tencin et de Fontaines rappelèrent la manière de Mme de La Fayette. Florian, le seul des fabulistes que l'on

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puisse lire après La Fontaine, publia, à l'imitation de Marmontel, Gonzalve de Cordoue et Numa Pompilius. Ses jolies pastorales d'Estelle et de Galatée rappellent l'Astrée de d'Urfé; mais, sans être entièrement exempt de la fadeur reprochée à son devancier, Florian a, dans son style toujours correct, beaucoup plus de grâco et de variété. Dorat et Crébillon fils, dont le Sopha est si spirituel et si mignon, exagérèrent Duclos et peignirént des mœurs dont on a peine à croire que le modèle ait existé : celles que reproduisent Delaclos et Louvet, dans des romans dont on ose à peine citer le titre, ont été plus réelles, mais la vérité de leurs tableaux, la finesse et la chaleur de leur style ne suffisent pas pour excuser leur immoralité. Ne nous arrêtons ni sur Cazotte, qui se fit connaître par une jolie historiette du Diable amoureux, ni sur Arnaud Baculard, fameux par ses Contes où la sensibleric prit la place de la sensibilité, et finissons par les trois meilleurs romanciers du xvme siècle, l'abbé Prévost, Lesage et encore Voltaire. Les Contes de Voltaire sont une œuvre à part que l'on a souvent tenté d'imiter sans jamais y parvenir. Si l'on est presque effrayé de la sanglante ironic qu'il déverse sur toutes les institutions humaines, s'il y a quel que chose d'infernal et qui présage le Méphistophélès allemand dans le ricanement du malin vieillard, quel feu, quelle originalité, que d'esprit et de bon sens dans Candide, dans Zadig, dans Memnon, dans Babouc! Quelle sensibilité vraie et touchante dans l'Ingénu, dans Jeannot et Colin! et partout quelle imagination riche et variée! quelle parole facile et rapide!

L'abbé Prévost offre un caractère tout opposé; il plaît par une bonhomie pleine de négligence. Cleveland et le Doyen de Killerine offrent des pages dignes de Goldsmith: son chef-d'œuvre est Manon Lescaut. Avec quel art, ou plutôt avec quel naturel il a su nous attacher à son malheureux chevalier et à sa vagabonde héroïne, et nous attendrir en nous montrant le vice même ennobli, s'il se pouvait, à force d'amour!

Lesage cependant lui est bien supérieur. Il avait rappelé Molière dans Turcaret, il le rappela mieux encore dans Gil Blas. Semblable à cet Asmodée que créa son imagination, il pénètre dans l'intérieur des cœurs comme des habitations humaines chacun de ses personnages a son masque qui n'est qu'à lui; on le voit agir, on l'entend penser; aucun vice, aucun ridicule ne lui échappe, il peint au lieu d'analyser, et telle est la vérité, et, pour ainsi dire, l'inamovibilité de son dessin et de sa couleur que, tandis que chez d'autres écrivains les mots seuls, et bien rarement encore, peuvent devenir proverbes, dans Lesage,

comme dans Cervantes, c'est le personnage lui- | chose de plus brillant, de plus enivrant encore; même qui reste proverbial.

THÉATRE; TRAGÉDIE, COMÉDIE, DRAME, OPÉRA,

OPÉRA-COMIQUe, vaudeville.

Voltaire est réellement l'âme du XVIIe siècle; c'est lui qui s'y présente toujours le premier dans toutes les routes de l'intelligence. Il avait com mencé sa carrière littéraire par le drame; ici il suivit d'abord les idées reçues et l'exemple de ses prédécesseurs: OEdipe et Mariane le prouvent. Dans Zaïre, il fut lui-même; mais à mesure qu'il avançait dans cette voie, combinant avec son génie passionné la mission qu'il s'était donnée de diriger le mouvement des idées de son âge, il sentit que le théâtre aussi pouvait lui servir de tribune.

Dès lors le but de la tragédie fut modifié; elle devint un moyen de communiquer aux masses des vérités qui fissent sur elles une forte impression par la manière dont elles leur seraient présentées, et qui pussent se graver profondément dans les esprits à l'aide de la précision du vers, et de tout l'intérêt, de toute la pompe dramatique qui les environnaient. Si la philosophie gagna beaucoup à cette méthode, si Voltaire rendit de grands services à son siècle par les principes qu'il mit ainsi en circulation, il faut le reconnaître, l'art y perdait nécessairement; le poëte allait souvent parler par la bouche de ses personnages, et d'une autre part, le besoin d'un auditoire bienveillant l'obligeait à se conformer au goût et aux exigences des spectateurs plutôt qu'aux principes constitutifs du vrai. C'est sous ce rapport qu'on peut comparer Voltaire à Euripide, comme on a justement comparé Corneille à Eschyle, et Racine à Sophocle; les mêmes circonstances ont amené les mêmes résultats. Voltaire mérite au plus haut degré l'éloge qu'Aristote a fait d'Euripide en l'appelant le plus tragique des poëtes, c'est-àdire, non pas celui qui réunit le plus complétement possible toutes les qualités nécessaires au poëte tragique, mais celui qui sait le mieux remuer les passions qui sont l'essence de la tragédie, et surtout la pitié. Comme artiste, il sentit que le domaine dans lequel s'était renfermé Racine commençait à devenir trop resserré, il l'agrandit. Il alla choisir ses héros dans tous les pays, dans tous les siècles et jusque dans son imagination. C'est ainsi que Zaïre, Alzire, Adélaïde Duguesclin, Tancrède, Mahomet, l'Orphelin de la Chine, etc., varièrent le répertoire dont Rome et la Grèce semblaient avoir le monopole. Ces qualités ne sauraient être trop appréciées; mais si Voltaire les posséda; si, moins pur que Racine, il cut dans son langage quelque

s'il saisit l'expression de la passion dans toute son énergie et sa naïveté, il eut en même temps les défauts de ces qualités. On pourrait lui reprocher la fréquente recherche de l'effet théâtral, l'altération gratuite et audacieuse de l'histoire et de la tradition, un style parfois prosaïque; enfin, dans quelques caractères, ce ton déclamatoire qui est l'effet ordinaire du scepticisme et de l'incrédulité dans le poëte. Cependant plusieurs de ses pièces et surtout Mérope sont à l'abri de tout blâme, et vont se placer auprès de Cinna et du Cid, de Phèdre et d'Athalie, à la tête des chefs-d'œuvre du théâtre français.

Avant que Voltaire eût répandu sur la scène une lumière nouvelle, un homme avait déjà tenté de se dérober à l'imitation de Racine. Crébillon, aussi étranger à son siècle qu'à l'antiquité et au moyen âge, obscur dans ses plans, barbare dans son langage, inhabile à exprimer la pitié, l'amour, et aucune des passions douces, ne sachant pas donner à celles qu'il représentait le développement graduel que réclame la scène, sut pourtant faire effet par les couleurs sombres et fortes dont il peignit quelques caractères et quelques événements. Mais malgré les beautés partielles que l'on peut admirer dans Idoménée, Catilina, Electre, Atrée et Thyeste, et surtout Rhadamiste et Zénobie, la meilleure de ses pièces, nous avons peine à comprendre aujourd'hui, même en faisant la part de l'envie, comment Crébillon put balancer dans son siècle la réputation de Voltaire.

Lagrange-Chancel avait précédé Crébillon; mais il est beaucoup plus connu par le scandale de ses fameuses diatribes contre le régent de France qu'il osa intituler les Philippiques, que par ses tragédies. Jugurtha, quoique Racine n'ait pas dédaigné, dit-on, de corriger cette pièce, Amasis et Ino, Alceste, Oreste et Pylade, Cassius et Victorinus, sont aujourd'hui entièrement oubliées et méritent de l'être. C'est à peu ́ près dans ce temps que parurent, à peu de distance l'une de l'autre, le Mahomet II de Lanoue, qui n'est pas sans intérêt tragique, et l'Iphigénie en Tauride de Guimond de Latouche, qui » reproduit quelquefois la vérité et la simplicité grecques. Chateaubrun s'attacha aussi à l'imitation d'Euripide et de Sophocle: son Philoctète est inférieur à celui de La Harpe; mais il a saisi, dans quelques scènes des Troyennes, l'attendrissement qu'Euripide a répandu sur cette classique infortune. Trois tragiques remarquables à cette époque, parce qu'ils cherchèrent du moins, comme Voltaire, à ouvrir de nouvelles routes à la poésie dramatique, ce sont Saurin, Lemierre et Dubelloy. Le premier dans Blanche et Guiscard et surtout dans Spartacus, a jeté de belles

scènes, de beaux vers, quelques nobles accents de philosophie et de liberté. Lemierre n'est guère connu que par son langage rocailleux et son imperturbable vanité. Cependant dans Artaxerce, dans Guillaume Tell, où il devança Schiller, dans la Veuve du Malabar, on trouve une certaine chaleur de sentiment et une certaine verve d'expression. Dubelloy eut l'heureuse idée de transporter l'histoire nationale sur la scène; mais son talent ne fut pas à la hauteur de son idée. Dans le Siége de Calais, dont le succès fut extraordinaire, dans Pierre le Cruel, dans Gaston et Bayard, il ne fit guère que substituer à la naïveté et à la franchise des vieilles mœurs, l'emphase maniérée de son temps. Gabrielle de Vergi fit sensation par un de ces dénoûments atroces auxquels on nous a si bien accoutumés depuis, mais qui étaient alors une monstruosité.

La tragédie se reposait en quelque sorte depuis Voltaire, lorsque, dans les dernières années du xvine siècle, s'élevèrent deux hommes dignes des plus beaux temps de la littérature. MarieJoseph Chénier unit son style vigoureux et ses hautes pensées au cri de la liberté naissante; il fut l'émule d'Alfiéri par le choix des sujets, celui de Voltaire par la diction. Gracchus et Timoléon rappelèrent les sublimes dévouements pour la liberté; Charles IX, Tibère, Philippe II, Henri VIII, montrèrent la tyrannie sous toutes ses faces, luxurieuse et délirante, dénaturée et fanatique, sombre et hypocrite; les drames de Calas et de Fénelon offrirent le tableau des déplorables abus de la superstition et de l'intolérance. La pensée et le style de Chénier furent toujours les mêmes et dans ses belles imitations du théâtre grec, et dans ses brillantes épîtres, et dans les hymnes que lui inspirèrent les grandes époques de la révolution. Ducis, le premier tragique de son temps, admirable quand il fait parler la piété filiale, ou qu'il peint de si brûlantes couleurs le climat et les passions arabes, sentit le besoin d'aller puiser chez les étrangers à des sources d'émotions nouvelles. I transporta Shakspeare sur notre théâtre ; Hamlet, Roméo et Juliette, le roi Lear, Macbeth, Othello, ne sont point des traductions, mais des imitations mâles et énergiques. Malheureusement il n'eut pas la complète intelligence du théâtre anglais; la crique de notre siècle l'aurait empêché de rétrécir ces grandes compositions, en croyant leur enlever seulement une enveloppe inculte et grossière. Ce qui manque aussi à Ducis, si excellent dans quelques scenes, c'est le talent de composer un plan et de saisir un ensemble. Outre ses tragédies, il a publié sous le nom de Pièces fugitives, tes poésies pleines de force et de grâce.

La comedie eut le même sort que la tragédie ;

elle fléchit longteinps et ne se releva que vers la fin du xvme siècle. Les poëtes furent en grand nombre; mais bien peu d'entre eux peuvent rappeler quelques souvenirs des beaux jours de Molière. Boissy a laissé autant de pièces que ce grand homme; et parmi toutes ses comédies, qu'il composait, non dans l'intérêt de l'art, mais dans celui de ses acteurs, on ne cite que l'Homme du jour, le Babillard et le Français à Londres. C'est ainsi qu'il ne reste de Desmalis et de Lanoue que la Coquette corrigée et le Tuteur dupé; de Desforges, que Tom Jones à Londres et la pièce si comique du Sourd ou l'Auberge pleine; de Barthe, qu'une pièce en un acte, mais elle est charmante et l'une des plus spirituelles de ce siècle, les Fausses infidélités, bien supérieure à l'Homme personnel et à la Mère jalouse, du même auteur. Pontde-Veyle, plus connu par un grand nombre de poésies fugitives, écrivit en prose des comédies assez spirituelles, le Complaisant, le Fat puni et le Somnambule. Champfort, à qui sa tragédie de Mustapha et Zéangir, et surtout son Eloge de La Fontaine devaient procurer une réputation méritée, s'était déjà fait connaître par sa Jeune Indienne. Goldoni, après avoir enrichi le théâtro italien d'une foule de comédies, composa pour la France sa meilleure pièce, le Bourru bienfaisant. Palissot, bon critique d'ailleurs, mit dans les Philosophes et dans son poëme de la Dunciade, cette satire âpre et personnelle qui n'est point de la gaieté, dont La Fontaine, qui l'aurait cru! avait donné l'exemple dans sa comédie du Florentin, et que Voltaire renouvela avec bien plus d'amertume dans l'Écossaise.

Mais les vrais comiques du commencement du XVIe siècle sont Lesage, Piron et Gresset. Chacun d'eux cependant ne réussit pleinement qu'une seule fois, mais chacune des trois pièces fut un chef-d'œuvre. Le Turcaret de Lesage représenta avec une verve digne de Molière l'avidité, l'insolence, la bassesse, la stupide vanité des financiers de son temps et du peuple d'agioteurs qui intriguait autour d'eux; c'est le vice à nu fouetté jusqu'au sang avec la verge du ridicule. Turcaret est digne de Gil Blas. La Tontine et Crispin rival de son mattre ne sont pas indignes de Turcaret. Piron s'était essayé dans le genre tragique, mais avec peu de succès. Callisthène, Fernand Cortès, Gustave Vasa, ne se distinguent en rien de la foule des tragédies de cette époque. Mais la Métromanie est un ouvrage du plus haut mérite. Quoique tout le comique se porte sur un seul personnage plutôt imaginaire que réel, il y a tant de vigueur et de naturel dans la manière dont le poëte l'a saisi, que cet ouvrage suffit à la gloire de Piron, et fait oublier les rimes infames qui déshonorèrent sou nom, Piron, dans

la Métromanie, avait provoqué le rire par la pein- | ture d'un ridicule inoffensif et presque intéressant; Gresset, dans le Méchant, attaqua le vice devenu une affaire de mode et un point d'honneur. La réalité du tableau, l'extrême élégance de la versification, la foule de vers proverbiaux à force d'esprit et de vérité, dont le Méchant est semé, firent oublier la froideur et le défaut de gaieté inhérent à un caractère odieux sans être ridicule.

Cependant on cherchait à s'éloigner de plus en plus de la route qu'avait tracée Molière; mais le mauvais goût qui accompagnait alors les mauvaises mœurs s'opposait à toute heureuse modification. On voulut innover à tout prix, et l'on ne put corriger l'ennui qu'avec de l'affectation; le naturel devint du prosaïsme et du larmoyant ; le spirituel du marivaudage. Ce n'est pas que Marivaux ne mérite aucun éloge; il a poussé jusqu'au plus savant raffinement le comique d'obser vation, mais ce qu'il observe mérite à peine d'être observé. Il n'offre d'ailleurs ni caractère, ni intrigue. Si l'on a comparé les pièces espagnoles à un écheveau de fil embrouillé que l'on donne à dévider au spectateur, on peut comparer celles de Marivaux à une pelote d'aiguilles qui ne présente de tout côté qu'une surface hérissée de pointes. Il s'agit ordinairement d'une déclaration; d'un côté on essaye tous les moyens secrets qui peuvent la reculer, de l'autre on hasarde toutes les allusions légères qui peuvent l'amener. Il suit de là que toutes les comédies de Marivaux, l'Epreuve nouvelle, le Legs, la Méprise, les Jeux de l'Amour et du Hasard ont entre elles une singulière ressemblance. Partout les mœurs sont également fausses et invraisemblables. Il faut avouer cependant que sous ce vernis d'affectation percent souvent bien des pensées brillantes et spi-. rituelles; et lorsque Marivaux peut se développer plus à l'aise, comme dans le roman, il se fait lire avec plaisir. Quoiqu'on puisse reprocher des longueurs à sa Mariane, roman écrit dans le style de ses comédies, il est encore un des plus agréables qu'ait produits notre langue. Dorat, dans ses pièces de théâtre, ses poëmes, ses héroïdes, ses fables, ses odes, ses poésies fugitives, etc., n'a fait qu'exagérer la manière de Marivaux ; Fagan l'a embellie dans la Pupille et le Rendez vous; Sainte-Foix, plus connu par son humeu de spadassin et par ses Essais sur Paris que par ses essais dramatiques, l'a reproduite dans l'Oracle. On ne sait cependant si cette forme affectée n'est point préférable encore à la comédie larmoyante dont La Chaussée était alors le modèle. L'intention de La Chaussée était bonne; il sentit aussi le besoin de sortir des routes battues, il fut le créateur d'un genre nouveau, le drame;

mais si Voltaire a dit avec raison: Tous les genres sont bons, hors le genre ennuyeux, on ne peut applaudir à la création de La Chaussée. On ne refuse pas sans doute à ses drames, surtout à l'École des Amis, à l'École des Mères, à la Gouvernante, une sensibilité vraie dans quelques endroits, un style généralement pur, doux et coulant, mais il manque de vigueur, de coloris, de variété. Une des principales raisons de sa froideur se fait sentir en lisant Diderot, qui développe la théorie du système dont La Chaussée fut le poëte pratique; cette raison, c'est le prosaïsme du genre. Diderot s'est élevé avec raison contre l'uniformité dramatique de son siècle, l'excessive symétrie de la versification française, l'emphase, la déclamation, etc. : mais peut-être cet écrivain, d'une si fougueuse imagination, n'avait-il pas assez patiemment étudié, en cette occasion, la nature de l'art. En respectant les unités, la séparation rigoureuse du tragique et du comique et d'autres règles consacrées de son temps, il attaquait l'idéal, un des principes constitutifs du drame. Il ne comprit pas assez cette partie de la poésie qui consiste à communiquer à un auditoire l'essence intime des passions; et en substituant aux caractères et aux situations, la peinture des rangs de la société et des relations de famille, il anéantit, sous un certain rapport, l'espèce de jouissance que nous procure la scène, en éveillant notre sympathie, sans nous obliger à nous appliquer trop rigoureusement à nousmêmes ce qu'elle représente. Falbaire, bon écri vain d'ailleurs, auteur de l'Honnéte criminel, et plusieurs imitateurs maladroits du premier roman de Goethe et des pièces de Kotzebue exagérèrent ce genre qu'avaient traité avec succès Diderot lui-même dans le Père de famille et le Fils naturel, Voltaire dans Nanine et l'Enfant prodigue, Gresset dans Sydney, La Harpe dans Mélanie, et Beaumarchais dans la Mère coupable.

Mais le nom de Beaumarchais doit être mis à part parmi les comiques du xvнIe siècle. Cet homme qui, dans ses fameux débats avec Goesman, avait donné au mémoire judiciaire une physionomie toute nouvelle, envisagea aussi la comédie sous un nouveau point de vue dans le Barbier de Séville, et surtout dans le Mariags de Figaro. La comédie fut pour lui ce que la tragédie avait été pour Voltaire; le théâtre devint sa tribune; il y fit parvenir aux masses, dans un langage brillant et spirituel, avec une audace de pensées qui ne connut ni frein, ni limites, toutes les idées philosophiques et politiques qui fermentaient dans les esprits et semblaient ne plus attendre qu'un interprète. Jamais on n'avait peint souc des couleurs si énergiques et si vraies les exces de l'aristocratie et le pouvoir naissant dv

tiers état son succès fut de l'enthousiasme; | mais comme artiste, malgré l'esprit infini de son intrigue et de son dialogue, il tomba dans le même défaut que Voltaire; le poëte fut-substitué au personnage. Tout le monde comprend maintenant que Figaro ne fut point une des causes de la révolution; mais il en fut en quelque sorte l'expression anticipée, et s'il ne dit pas encore tout, cet homme du parterre devina la portée de ce drame de circonstance lorsqu'au vers du poëte: Tout finit par dos chansons, il substitua cette variante prophétique et terrible : Tout finit par des canons.

Le commencement du règne de Louis XVI, pendant lequel écrivait Beaumarchais, fut une époque brillante pour la comédie. Laujon, connu par ses pastorales, ses opéras-comiques, dans lesquels on distingue l'Amoureux de quinze ans, et surtout par ses Chansons, donnait une pièce fort gaie et fort spirituelle, intitulée le Couvent. Collé, supérieur encore à Laujon, comme chansonnier, fit représenter Dupuis et Desronais et la Partie de Chasse de Henri IV, où il a fait ressortir le vrai génie de ce roi populaire. Enfin Fabre d'Eglantine et Collin d'Harleville parurent à la fois sur la scène, et semblèrent, comme Alceste et Philinte, s'être constitués les champions vivants du pessimisme et de l'optimisme. L'un fut chaud, âpre, violent, d'un style dur et Incorrect, mais plaisant et énergique dans les Précepteurs, le Philinte de Molière et l'Intrigue epistolaire; l'autre, plein de charme, de moelfeax, d'une sensibilité fine et vraie, fut appelé Albane et le La Fontaine du théâtre, et mérita uvent ces noms par ses comédies dont les plus remarquables sont: l'Inconstant, l'Optimiste, les Châteaux en Espagne, le Vieux célibataire, etc.; ontemporain d'Andrieux, il prépara Picard, Etienne, et tous les autres écrivains qui honorèrent la scène au commencement du siècle actuel.

Pendant longtemps aucun poëte ne put être comparé à Quinault dans l'opéra. Danchet y obtint une réputation qui, toute pâle qu'elle est, ne fut effacée ni par Pellegrin, ni par La Bruère, ni par Moline, ni par le poëte Roi. Durollet, qui écrivit l'Iphigénie en Aulide, et refit l'Alceste, ent du moins le bonheur de deviner le génie de Giuck; c'est peut-être à lui que la France doit ce grand compositeur. Bernard, l'auteur assez froid de l'Art d'aimer, que Voltaire immortalisa en ajoutant à son nom l'épithète de Gentil, donna Castor et Pollux ; Beaumarchais dans Tarare fut original comme dans tout ce qu'il a fait; GuilLard, que les opéras d'Iphigénie en Tauride, de Dardanus et d'Horace avaient fait apprécier comme le meilleur poëte de son siècle en ce genre, se plaça au rang de Quinault par son

OEdipe à Colone. La noble simplicité du plan et de la versification, soutenue par la sublime par tition de Sacchini, font de cet opéra la seule pièce française qui puisse donner l'idée complète d'une tragédie grecque, aux jours d'Eschyle et de Sophoclc.

Mais la musique ne devait pas se borner au genre sérieux. Le succès des bouffes italiens fit naître l'opéra-comique; le théâtre de la Foire s'ouvrit au commencement du siècle; Fuselier, Autreau, Piron et surtout Lesage, l'enrichirent d'une foule de petites pièces petillantes de gaicté. Vinrent ensuite Collé, Laujon, Favart, le plus fécond et le plus spirituel de cette joyeuse académie. Qui pourrait ne pas aimer la grâce, la délicatesse, le naturel de la Chercheuse d'Esprit, d'Annette et Lubin, de Ninelle à la Cour, des Trois Sultanes et de tant d'autres jolies con positions? car, dans plus de soixante pièces qu'a laissées Favart, il en est bien peu de médiocres; Marmontel lui est inférieur. Le genre poissard, exploité par Vadé, rebute par sa grossièreté. Monvel et Marsollier obtinrent de grands succès; la Caravane, Panurge, Nina, les Petits Savoyards, Camille, Adolphe et Clara, Gulnare, l'Irato, etc., ont fait la réputation de plusieurs compositeurs et sont encore applaudis. L'Anglais d'Hele, auteur de l'Amant jaloux, se fit un nom dans ce qu'on appelait les Parades. Sedaine, tailleur de pierre, qui fut de l'Académie, et écrivit pour la Comédie-Française le Philosophe sans le savoir et la Gageure imprévue, se distingua par son entente de la scène et sa profonde connaissance de l'effet théâtral; son dialogue est barbare, sa versification incorrecte, mais ses caractères sont parfaitement conservés, et l'intérêt dramatique soutenu avec une science qui étonne, lorsqu'on étudie dans cette vue le Diable à quatre, le Déserteur, Richard Cœur-de-Lion,etc. Stratonice, Euphrosine et Coradin d'Hoffman, qui vint plus tard, ont toute la noblesse du grand opéra avec plus de vérité; et peu de comédies peuvent le disputer en gaieté aux Rendez-vous bourgeois.

La plupart des écrivains qui brillèrent à l'OpéraComique s'exercèrent aussi dans le vaudeville. Il faut ajouter à leurs noms ceux de Panard, Piis, Barré, Radet, Desfontaines, et de beaucoup d'autres. Les scènes du vaudeville au dix-huitième. siècle se passaient presque toujours à la campagne. C'étaient les Vendangeurs, les Amours d'été, la Veillée villageoise, etc. Plus tard, le vaudeville a abordé les mœurs, les intérêts, les habitudes et les ridicules de la ville, depuis le salon jusqu'au carrefour, et dans notre siècle, il a lutté, en rival souvent vainqueur, contre la comédie ellemême.

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