Images de page
PDF
ePub

que dans la difficulté qu'il y a à l'attaquer, & pour parler ainfi, dans l'immutabilité de fa condition. Ainfi comme les Monarques doivent avoir de la fageffe pour augmenter leur puiffance, ils ne doivent pas avoir moins de prudence pour la borner.

Si Louis XIV. avoit réuffi dans le projet de la Monarchie univerfelle, dont fes ennemis l'ont tant de fois accufé, rien n'auroit été plus fatal à l'Europe, à fes anciens fu, jets, à lui, à fa famille. Le ciel l'a mieux fervi par des défaites qu'il n'auroit fait par des victoires.

Il y a un cas, où la force défenfive d'un Etat ett inférieure à fa force offenfive; c'eft lorsqu'il eft aifé à vaincre chez lui. Ce cas arrivera à toute Puiffance qui envoie au loin des armées.

Une autre remarque importante, c'est que toute grandeur, toute force, toute puiffance eft relative, & qu'ainfi il faut bien prendre garde qu'en cherchant à augmenter la grandeur réelle, on ne diminuë pas la grandeur rélative.

Enfin, lorfqu'on a pour voifin un Etat qui eft dans fa décadence, on doit bien fe garder de hâter få ruïne, parce qu'on eft à cet egard dans la fituation la plus heureuse où l'on puiffe être n'y aïant rien de fi commode pour un Prince que d'être auprès d'un autre, qui reçoit pour lui tous les coups & tous les outrages de la fortune. Il est rare que

par

par la conquête d'un pareil Etat on augmente autant en puiffance réelle qu'on a perdu en puiffance rélative.

La Suite dans le Journal prochain.

ARTICLE IL

L'AMOUR DEVOILE, ou le Sistème des Simpathies, où l'on explique l'origine de 'Amour, des Inclinations, des Sympa thies, des Averfions, des Antipathies, &c. MDCCXLIX. fans lieu d'impr. in Cotavo. pp. 170.

CE petit ouvrage eft écrit avec tant d'ef

prit & de goût, que nous lui accordons place avec plaifir dans notre Journal. En voici d'abord le but & le plan, tels que l'Auteur les expofe dans fa préface.

Entre tous les effets de la Sympathie, l'Amour, ou l'invincible penchant, que les deux fexes ont l'un pour l'autre, peut être regardé comme le chef d'oeuvre de la Nature. C'est à en rendre raifon que cet ouvrage eft deftiné. Comme il n'eft guères de fyftème qu'on puiffe appuyer aujourd'hui fur d'autre fondement que fur les ruïnes de quelque autre fyftème, on commenée par examiner ce lui de Platon fur l'Amour, que quelques Mo dernes ont tâché de faire revivre, & on le réN 2

fure:

fute. Enfuite on paffe aux opinions · d'Aristote & de Descartes, & après les avoir expofées, on en démontre l'abfurdité. Enfin, comme on ne détruit qué pour bâtir, à tous ces fyftèmes fur l'Amour bien difcutés & renverfés, on en fubftitue un autre, qui a pour bafe la matière. fympathique, qui s'exhale des corps par la tranfpiration. Paffons à des morceaux de détail, qui mettent le lecteur en état de juger de l'exécution de ce plan.

Ceux qui ont aimé connoiffent bien l'Amour; & l'on ne peut en donner aucune idée à ceux qui ne l'ont pas reffenti. L'Amour ne fe définit point, il fe fent. Les Philofophes difent que l'Amour est un mouvement de l'ame, qui nous porte à nous unir à un objet qui nous paroit agréable. Mais qu'est-ce que cette froide définition, en comparaifon de ce qui fe paffe dans un cœur que l'Amour domine?

Jufqu'à préfent on n'a pas encore découvert la vraie fource de ce qu'on appelle Amour, Inclination, Sympathie. Ce n'eft pas qu'on n'ait fait de grands efforts pour y par venir. On en a parlé dans l'antiquité; on en a parlé dans les derniers fiècles; on en parle encore aujourd'hui. Et comme un Philofophe, fuivant les règles, ne doit pas penfer comme un autre Philofophe, chacun en a parlé à fa façon; chacun s'eft fait fon fystème; chacun s'eft trompé à fa manière.

On connoit l'hypothèse de la reminifcen

ce,

ce, inventée par Platon, fuivant laquelle nous n'apprenons rien de nouveau, nous ne faifons que nons retracer d'anciennes idées. De là découle l'explication de l'Amour. Entre toutes les connoiffances infufes dans notre ame fe trouve l'image du beau. Une perfonne s'offre à mes yeux; fon image paffe de l'organe de la vuë jufqu'à l'ame. L'ame la confidère & la compare à l'idée naturelle qu'elle a du beau. Si cette image extérieure fe trouve femblable à l'intérieure, à l'infufe, l'ame l'aime à l'inftant, & cette reffemblance eft la caufe de l'Amour.

[ocr errors]

Une Lettre, que l'Auteur feint avoir été écrite à un Philofophe platonicien, expofe les défauts de ce fyftème. Nous naiffons, par exemple, avec l'image d'une belle fleur, d'un bel arbre: pourquoi cette conformité ne produit-elle pas l'Amour? De plus ne peuton pas aimer à la fois, ou du moins fuccesfivement, deux perfonnes, & deux perfonnes d'une figure fort différente. Enfin ne peut on pas aimer des objets qui ne fauroient resfembler à aucune image du beau. On affure que le divin Platon lui-même devint éperdument amoureux d'une vieille édentée ; & dans fes transports il difoit que les Amours &les Graces voltigeoient dans fes rides, & qu'en cueillant des bailers fur fa bouche flêtrie, fon ame s'envoloit fur le bord de fes lèvres, pour mieux en favourer les plaifirs. Comment le fier après cela à l'idée infufe du Beau?

Ariftote, le vénérable père des Péripatéti

N 3

ciens,

ciens, étoit le plus grand Philofophe, & le plus grand brouillon de fon tems. Il vouloit abfolument parler de tout; & quand il parloit de ce qu'il n'entendoit pas, il avoit la prudence d'en parler en termes fi obfcurs, qu'il fe rendoit inintelligible. Sa réputation étoit faite on adoroit jufqu'à fon obfcurité.

Pour rendre raifon de l'Amour, il dit que la Nature nous porte à aimer le beau. Voilà fon principe, & pour obvier à toute difficulté, il ajoute qu'il y a deux fortes de Natures. L'une eft Spécifique, (on a compris que c'est celle qui anime tous les hommes en général, l'autre individue, (c'est apparemment celle qui infpire chacun de nous en particulier. Par le penchant que nous donne la prémière, nous aimons le beau en général; & par le penchant que nous donne la feconde, nons aimons tel & tel beau en particulier.

[ocr errors]

Je demande à Ariftote, pourquoi j'aime Chloé plutôt que toute autre Belle; & Ariftote me répond que c'eft ma Nature particulière, ma Nature individuë qui me porte à cela. Vous êtes admirable, Ariftote! hé! vous demande je autre chofe, finon pourquoi la Nature me porte à aimer Chloé? Je demande à un Médecin, pouquoi je dors les yeux ouverts, & il me répond que cela arrive parce que je ne les ferme pas. Ne dois-je pas être fort fatisfait d'une pareille réponfe? Ecoutons Defcartes. Il s'eft toujours annoncé comme un homme qui n'admettoit

que

« PrécédentContinuer »