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Les gens finguliers doivent par préférence habiter les grandes villes. Ils s'y perdent dans la foule; ou s'ils font connus, on y eft moins frappé de leur fingularité.

Il faut être bien raisonnable pour être Philofophe fans être ridicule. Il faut être bien Philofophe pour être toujours très - raisonnable au péril de paroitre ridicule.

Paflons à l'affectation. De toutes les affectations la plus ridicule, la plus méprifable, & qui réuffit le plus mal, c'eft celle de fingularité.

C'eft presque toujours aux dépens de ce qu'on a, qu'on affecte ce qu'on n'a point.

Damon ne fait point encore être fat, il ne l'eft pas, il veut l'être, & on diroit qu'il ne le veut que d'hier.

; On affecte ce qu'on a auffi bien que ce qu'on n'a pas. Tel qui eft né avec de l'efprit, de la raifon, de la gaieté, &c. plairoit par toutes cès qualités, s'il ne les affectoit pas. En voulant paroitre plus qu'on n'eft, on paroit moins. Le vrai mérite fe néglige, & dédaigne tout effort.

De deux hommes on disoit à l'un : Vous n'avez pas affez d'esprit pour en affecter. Et à l'autre Vous avez affez d'efprit pour vous paffer d'en affecter.

On déplait, dès qu'on n'eft plus naturel & aifé. Les préceptes les plus utiles, peutêtre même les feuls utiles en matière de politeffe, font ceux qu'on appelle négatifs. Il ne faut point faire telle & telle chofe. Mais

Tom. I. Part. II.

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que

'que faut-il faire, & comment faut-il le faire? C'est ce qu'on ne fauroit enfeigner.

L'efprit ne tient pas lieu d'ufage du monde, par rapport à la politeffe. L'ufage du monde tiendroit plutôt lieu d'efprit.

Le commerce du monde nous donne des dehors aimables, & des vices haïffables. On difoit de M. de Montaufier, homme vrai, mais un peu dur, que la Cour ne l'avoit point adouci. C'eft, répondit un ami, à-peu-près du même caractère, qu'elle ne l'a point cor

rompu.

Si les Philofophes étoient Courtifans, ou les Courtifans Philofophes, on auroit le modèle d'une politeffe également aimable & eftimable.

On perd à fe laiffer trop voir. Toutes cho fes égales d'ailleurs, on vaut mieux avec ceux qu'on ne voit pas trop fouvent; & quand on ne vaudroit pas mieux en effet, on leur paroitroit mieux valoir.

Quiconque connoiffant plus les livres que le monde, & aïant plus réfléchi que vu voudra écrire fur l'homme, demeurera, quelque efprit qu'il ait, au-deffous de ce dégré de connoiffance de l'homme, où l'on eft parvenu dans ce qu'on appelle le grand monde; ou fi, à force d'efprit, il y eft parvenu, s'il a deviné ce qu'il n'a point vu, il ne dira, en croyant peut-être dire beaucoup de chofes neuves, que ce qui eft commun dans ce monde-là.

La timidité ne fe corrige que par l'ufage

du

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du monde; les avis, les railleries, les reproches ne fuffifent pas. Il y a même des perfonnes que l'ufage du monde n'a pu en défaire entièrement.

La timidité eft peut-être le plus grand de tous les obftacles à la fortune. Elle fait qu'on n'ofe & même qu'on ne peut parler. Ou fi l'on vient à bout de parler, elle ôte l'ufage de l'efprit, on dit une fottife.

Il y a des timides préfomptueux. Loin de l'occafion ils s'animent par la vue & le fentiment de leur prétendu mérite. Ils croient qu'ils vont fe préfenter en compagnie avec affurance, & y parler avec liberté. A peine y font-ils qu'il fe troublent, & perdent tête &

contenance.

Le défaut d'une jufte confiance en foi-même produit une pudeur niaife & un embarras ridicule. La préfomption produit le mépris des autres, & par-là le manquement aux égards qui leur font dûs. Ainfi il faut avoir bonne opinion des autres, & n'avoir pas trop mauvaise opinion de foi.

Un Auteur qui penfe & qui écrit dans ce goût, peut-il trop penfer, & trop écrire ?

ARTICLE V.

Commentarii de rebus pertinentibus ad A. M. S. R. E. Card. Quirinum. Partis fecundæ Liber primus.

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c'est-à-dire,

Mémoires de S. E. Me, le Cardinal Querini. Part. II. Liv. 1. à Breffe, chez Rizzardi. 1749. in octavo. pp. 277. fans la Préf. & la Table qui en ont XVI.

ontinuons à fuivre notre illuftre Cardinal dans fa docte carrière. Le livre prémier de la feconde partie de fes Mémoires, qui forme un volume entier, comprend en xvi. chapitres le tems écoulé depuis 1714. jusqu'au 17. Août 1740.

Après trois mois de féjour à Gènes, D. Querini en partit, pour retourner par Livourne & Florence à Venife. Il reçut en chemin une Lettre de l'Evêque de Fréjus, depuis Cardinal de Fleuri. Comme elle eft fur le ton badin, le lecteur en verra peut-être volontiers un échantillon. Vous vous faites ai

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mer ab boc & ab bac, dit M. de Fréjus à fon ,, ami; & fi vous étiez chargé d'autant de chaînes, que vous en avez laiffé aux autres en France, l'Eléphant blanc du Roi de Siam ne feroit pas affez fort pour vous porter. Si vous n'êtes pas content de cette expresfion, j'ajouterai que je ne fai fi vous ne feriez pas couler à fonds le Bucentaure de Venife, en cas que vous fuffiez monté deffus. Je vois qu'elles ne vous empêchent ,, pas pourtant de franchir légèrement les

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» plus

,,plus hautes montagnes, & il faut qu'elles ,, ne vous pèfent pas beaucoup. Sérieufe,, ment vous êtes honoré & aimé plus qu'au,, cun étranger qui foit jamais venu en France, & même plus qu'aucun François."

On trouve encore ici des Lettres, ou fragmens de Lettres que D. Querini reçut pendant fa route de la part du Cardinal d'Etrées, de l'Archevêque de Cambrai, de la Marquife de Torcy, de l'Abbé Renaudot, du P. de Montfaucon, &c.

Dès le mois de Juillet de la même année · 1714. D. Querini quitta de nouveau Venife pour aller à Trevifo, de là à Padouë, & par Ferrare, Modène, & Bologne à Florence. On juge bien qu'il ne laiffoit point de gens de Lettres fur fa route fans les honorer de fon entretien, & fans profiter de leurs lumières. Il s'arrêta en particulier fort longtems à examiner les Archives de Ferrare qu'il trouva remplies de chartres, & de monumens propres à répandre du jour fur l'Histoire eccléfiaftique. Il arriva enfin à Florence à la fin du mois d'Octobre, & s'y arrêta un mois. Il fut fort affligé de trouver cette ville privée de deux hommes qui en faifoient le principal ornement, favoir des favans Magliabecchi, & Magalotti, qui étoient morts pendant qu'il faifoit fa route. Deux autres tâchèrent de le confoler de cette pertc, Salvini & Bonarotti, qui fe font faits auffi un nom diftingué dans la République des Lettres. D. Querini fut auffi comblé des bon

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