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à l'autre, ou qu'il y en ait un million, la chofe eft égale, la même difficulté refte; & bien loin de la réfoudre, en l'éloignant on y joint une nouvelle obfcurité par la fuppofition qu'on eft obligé de faire du nombre indéfini de germes tous contenus dans un feul.

Tel eft l'état de cette grande Question. M. de Buffon avoue qu'il eft plus aifé de détruire ici que d'établir, & qu'elle eft peut-être de nature à ne pouvoir jamais être pleinement réfolue; mais il croit qu'on doit néanmoins chercher fi elle eft telle en effet, & pourquoi nous devons la juger de cette nature. Ún pareil examen bien conduit découvrira tout ce qu'on peut en favoir, ou du moins fera reconnoitre nettement pourquoi nous fommes condamnés à l'ignorance.

La Queftion de la réproduction des Etres é. tant confidérée attentivement, en renferme trois autres, qu'il eft important de bien diftinguer. Si l'on demande, pourquoi les animaux & les végétaux fe reproduifent? C'eft une fimple question de fait, il eft inutile de chercher à la réfoudre. Si l'on demande, comment les animaux & les végétaux fe reproduifent? On croit y fatisfaire, en faisant l'hiftoire de la génération de chaque animal en particulier, & de la réproduction de chaque végétal auffi en particulier. Mais lorsqu'après avoir parcouru toutes les manières d'engendrer fon femblable, on remarque que toutes ces hiftoires de la génération, accompagnées même des Obfervations les plus exactes, nous apprennent feulement les faits,

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fans nous en indiquer les caufes, & que les moyens apparens, dont la Nature fe fert pour la réproduction, ne paroiffent avoir aucun rapport avec les effets qui en refultent, on eft obligé de changer encore la queftion, & de fe réduire à demander; Quel eft donc le moyen caché que la Nature peut employer pour la réproduction des Etres?

Cette Question, bien différente de la prémière & de la feconde, eft la vraie. Elle permet de chercher & d'imaginer, & dès-lors elle n'eft pas infoluble, car elle ne tient pas immédiatement à une caufe générale. Ce n'eft pas non plus une pure queftion de fait; & pourvu qu'on puiffe concevoir un moyen de réproduction, on y aura fatisfait. Seulement il eft néceffaire que ce moyen, qu'on imaginera, dépen.de des caufes principales, ou du moins qu'il n'y répugne pas, & plus il aura de rapport avec les autres effets de la Nature, mieux il fera fondé.

Tout ceci annonce une hypothèse; & en effet M. de Buffon s'eft mis en fraix d'en conftruire une, que nous allons expofer avec fidélité, laiffant aux Juges compétens le foin de lui asfigner fon jufte prix.

Perfonne n'ignore que les hommes font des moules, par lesquels ils donnent à l'extérieur des Corps telle figure qu'il leur plait. Si la Nature faifoit des moules par lesquels elle donnât. non feulement la figure extérieure, mais auffi la forme intérieure, ne feroit-ce pas un moyen de réproduction?

La poffibilité de cette fuppofition fe fonde

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fur le raisonnement que voici. Comme nos fens ne font juges que de l'extérieur des Corps, nous comprenons nettement les affections extérieures & les différentes figures des Surfaces, & nous pouvons imiter la Nature, & rendre les figures extérieures par différentes voies de repréfentation, comme la Peinture, la Sculpture & les Moules. Mais, quoique nos fens ne foient juges que des qualités extérieu res, nous n'avons pas laiffé de reconnoitre qu'il y a dans les Corps des qualités intérieures, dont quelques-unes font générales, comme la péfanteur. Cette qualité, ou cette force, n'agit pas rélativement aux Surfaces, mais proportionnellement aux maffes, c'est-à-dire, à la quantité de la matière. Il y a donc dans la Nature des qualités, même fort actives, qui pénètrent les Corps jusques dans les parties les plus intimes; qualités, dont nous n'aurons jamais une idée nette, parce que n'étant pas extérieures elles ne peuvent pas tomber fous nos fens; mais nous pouvons en comparer les effets, & il nous eft permis d'en tirer des analogies, pour rendre raifon des effets des qualités du même genre.

Si nos yeux, au-lieu de ne nous représenter que la furface des chofes, étoient conformés de façon à nous repréfenter l'intérieur des Corps, nous aurions alors une idée nette de cet inté rieur, fans qu'il nous fût poffible d'avoir par çe même fens aucune idée des Surfaces. Dans cette fuppofition les moules intérieurs, que la Nature emploie, nous feroient auffi faciles à Y 5

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voir & à concevoir que nous le font les moules pour l'extérieur; & même les qualités qui pénètrent l'intérieur des Corps, feroient les feules dont nous aurions des idées claires, tandis que celles qui ne s'exerceroient que fur les Surfaces demeureroient inconnuës. Dans ce cas nous aurions des voies de représentation pour imiter l'intérieur des Corps, comme nous en avons pour imiter l'extérieur. Ces moules intérieurs que nous n'aurons jamais, M. de Buffon croit que la Nature peut les avoir, comme elle a les qualités de la péfanteur, qui en effet pénètrent à l'intérieur. Ainfi fon Syftème lui paroit fondé fur les bonnes analogies; il ne re fte plus qu'à voir, comment il s'efforce de le dégager de toute contradiction.

Cette expreffion, Moule intérieur, paroit d'abord renfermer deux idées contradictoires celle de moule ne pouvant fe rapporter qu'à la Surface, au-lieu que celle d'intérieur doit avoir içi rapport à la Maffe, c'eft comme fi l'on vouloit joindre enfemble l'idée de la Surface & l'idée de la Maffe, & on diroit tout auffi bien une Surface massive qu'un moule intérieur.

Notre Auteur avoue que quand il faut repréfenter des idées, qui n'ont pas encore été exprimées, on eft obligé de fe fervir quelquefois de termes qui paroiffent contradictoires. C'eft par cette raifon que les Philofophes ont fou vent employé dans ces cas des termes étran gers, afin d'éloigner de l'esprit l'idée de con tradiction qui peut fe préfenter, en fe fervant de termes unités, & qui ont une fignification

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reçuë. Mais cet artifice eft inutile, dès qu'on peut faire voir que l'oppofition n'eft que dans les mots, & qu'il n'y a rien de contradictoire dans l'idée. Or toutes les fois qu'il y a unité dans l'idée, il ne peut y avoir de contradiction, c'eft-à-dire, toutes les fois que nous pouvons nous former une idée d'une chofe, fi cette idée eft fimple, elle ne peut être compofée, & par conféquent elle ne contiendra rien d'oppose, rien de contraire.

M. de Buffon paroit avoir fenti que ceci n'étoit pas trop clair; il fait encore un effort pour s'expliquer, mais il s'embrouille encore davan tage, fi je ne me trompe. Les idées fimples, continue-t-il, font, non feulement les prémiè❤ res appréhenfions qui nous viennent par les fens, mais encore les prémières comparaifons que nous faifons de ces appréhensions, car fi l'on y fait réflexion, l'on fentira bien que la prémière appréhension elle-même est toujours une comparaifon. Par exemple, l'idée de la grandeur d'un objet, ou de fon éloignement, renferme néceffairement la comparaison avec une unité de grandeur, ou de distance. Ainfi lorsqu'une idée ne renferme qu'une comparaifon, on doit la regarder comme fimple, & dèslors comme ne contenant rien de contradictoire. Telle eft l'idée du moule intérieur. Je connois dans la Nature une qualité qu'on appelle péfanteur, qui pénètre les Corps à l'intérieur, je prens l'idée du moule intérieur, rélativement à cette qualité; cette idée n'enferme donc qu'une com paraifon, &par conféquent aucune contradiction.

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