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ment avec ses leçons; sa morale a de la franchise et de la fermeté, et tient même quelquefois de l'épigramme, ou de cette satire générale qui est l'arme de la vertu. Son style, dont ses compatriotes sentent vivement la perfection, réunit deux genres de beautés inabordables aux traducteurs; d'une part, il abonde en mots d'une harmonie imitative, et de l'autre il tire avec art du langage vulgaire des expressions spéciales et inattendues, qui réveillent à elles seules une foule d'idées, sentimens et de souvenirs chers aux nationaux. Il est heureux pour la langue russe que la même époque unisse M. Karamsin et M. Kriloff, qui lui rendent l'un et l'autre des services importans et divers. Le premier élève la partie de cette langue qui convient à la dignité historique, et le second en aiguise ce qui est propre à la peinture des mœurs. M. Karamsin donne, pour ainsi dire, aux mots de son choix des lettres de noblesse; M. Kriloff expédie aux siens des brevets d'esprit.

Tel est l'écrivain dont M. le comte Orloff, passionné pour la gloire de son pays, a désiré étendre la renommée en deçà et au-delà des Alpes; tel est l'ouvrage dont il a voulu enrichir les littératures française et italienne. Que de droits n'avait-il pas au succès de cette entreprise utile aux trois nations! L'Italie n'a pas oublié qu'elle lui doit des mémoires précieux sur le royaume de Naples, et

une double histoire de la musique et de la peinture en Italie. La France lui sait gré de la préférence qu'il accorde à notre langue pour ses divers écrits, et de la relation de son voyage dans nos provinces méridionales; aussi la reconnaissance des deux peuples s'est-elle manifestée, par l'empressement de leurs écrivains, à seconder son projet. M. Salfi, savant critique et digne continuateur de Ginguené, dans sa belle Histoire littéraire de l'Italie consacrera une préface particulière à ce qui concerne les muses de l'Ausonie dans ce recueil des fables de M. Kriloff. Je dirai seulement la part que les poètes français y ont prise.

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Leur nombre est presque égal à celui de ces fables. Un tel concours n'a rien de surprenant. La France, mue par le sentiment généreux qui commençait à élever le patriotisme jusqu'à la philanthropie, a souri aux premiers efforts de la Russie vers la civilisation et les lettres. Voltaire, Lévesque et Leclerc furent ses premiers historiens entre les modernes ; nos savans concoururent avec ceux de l'Allemagne, les Euler, les Gmelin, les Pallas, à remplir ses chaires d'enseignement; Falconnet alla créer la célèbre statue de Pierre-le-Grand, les chefs de notre littérature correspondirent avec l'impératrice Catherine. L'un d'eux vint l'admirer au milieu de sa gloire; et plus tard le cabinet de Versailles, par une habile courtoisie, lui envoya

dans la personne de M. de Ségur le plus académique de ses ambassadeurs. C'est dans notre langue que cette souveraine, aussi grand monarque que femme aimable, rédigea elle-même ses immortelles instructions sur la législation de son empire et sur l'éducation de ses petits-fils. Ainsi, cette affection de la France, née du commerce, des lumières et de l'attrait des deux peuples, est déjà pour nous une tradition de nos maîtres, et l'habitude de tout un siècle.

10 décembre 1824.

FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER VOLUME.

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