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l'époque où cette espèce de liberté était en vigueur. Nous aurons occasion d'indiquer dans la suite de cette préface jusqu'à quel point nous avons réussi dans ce projet, ou, espérons y réussir.

Je suppose complète ou pour mieux dire sans lacunes l'édition du Talmud de Jérusalem faite à Venise et soignée par Daniel Bomberg. Elle est in folio en joli papier et en jolis caractères, mais sans date. Elle revient peutêtre vers l'année 1524. Je la suppose complète pour la raison déjà énoncée, c'est-à-dire, parcequ'il paraît que les livres des Juifs n'étaient pas censurés à Venise du temps de Bomberg, soit qu'on doive attribuer ce fait historique à la tolérance ou à la négligence ou même à l'ignorance des Chrétiens. Nous penchons beaucoup pour la dernière parce que nous avons eu lieu de voir dans notre Théorie qu'aussitôt que les Juifs commencèrent à s'apercevoir qu'un petit nombre de savans non-Juifs pouvait déchiffrer les logogryphes de leurs monumens religieux, ils ne comptèrent plus sur la tolérance ou sur la négligence des censeurs, mais ils prirent le parti de cacher eux-mêmes aux yeux des Chrétiens les passages du Talmud qui contenaient des attaques manifestes contre leur religion. Nous ne pouvons parler de cette édition qu'avec incertitude, car nous ne l'avons trouvée que dans les Bibliothèques publiques sans avoir eu autant de loisir qu'il fallait pour la collationner avec d'autres éditions. Mais nous avons les espérances les mieux fondées que nous pourrons bientôt la posséder ou en disposer pour tout le temps que durera notre entreprise.

L'autre édition, sur laquelle nous travaillerons dans le but de rendre notre version du Talmud aussi complète que possible, est celle publiée à Cracovie en 1609 par Isaac ben Ahron dans un in folio et contenant quelques gloses. Elle n'est pas aussi correcte que celle de Venise, qui paraît lui avoir servi de norme, et par ses fautes nombreuses elle enchérit beaucoup sur l'obscurité qui caractérise le texte. Nous verrons tout à l'heure qu'il y a même de bonnes raisons pour y soupçonner des lacunes, quoique que la persuasion du contraire soit générale. Nous en avons

deux exemplaires à notre disposition, l'un trouvé à Metz, et l'autre acheté des Juifs de Varsovie.

Nous possédons un autre exemplaire du Talmud de Jérusalem en quatre volumes in folio qui nous sera de beaucoup d'utilité à cause de commentaires qu'il contient, et parce que l'impression en est moins fautive que celles des deux éditions précédentes. Chacun de ces volumes est sorti des presses de divers typographes à diverses époques, et dans des lieux différens. Ainsi p. ex.

Le 1. qui contient tout le premier ordre et le Traité Chekalim du second ordre 56) a été imprimé à Amsterdam en 1710 par Elie fils de R. Jehuda Löw dans le but d'en corriger le texte et de l'éclaircir en même temps, moyennant plusieurs commentaires qui y sont ajoutés.

Le II. qui renferme le second ordre seulement, a été imprimé à Dessau en 1743 par Elie fils de Moses Dessau dans le même but que le précédent.

Le III. qui ne contient que le troisième ordre a été publié à Berlin en 1757 et est aussi riche en commentaires que les deux autres.

Le IV. enfin renfermant tout le quatrième Ordre et le Traité Nidda du sixième a été publié à Livourne en 1770 avec plus de gloses que les autres.

Wolf est d'opinion 57) que les Chrétiens se sont occupés plus du Talmud de Jérusalem que de celui de Babylone parce que le premier, dit-il, aide à éclaircir la Bible plus que le second. Il entend parler probablement de la lecture et non de la version de ce Talmud, car il ne cite que deux savans qui ont tâché de nous en indiquer le contenu et d'en traduire quelques traités, savoir: Jean Lightfoot et Theodore Dassove. Mais de même que pour avoir réuni

56) Réunion bizarre qu'on ne saurait expliquer autrement qu'en supposant, que son éditeur, ayant mis en tête du second ordre, le Traité Chekalim, l'édition a été interrompue au moment que l'impression de ce traité a été achevée; car nous ignorons si les autres volumes de cette édition ont été jamais publiés.

57) Ib. p. 893.

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ensemble tous ces travaux entrepris jusqu'ici, afin de traduire la Mischna, il suffit de posséder les deux versions qui en ont été faites en latin par Surenhuse 58) et en allemand par Rabe 59) de même il est assez de parler brièvement de différens essais de version du Talmud de Jérusalem que nous en ont laissés Ugolin et le même Rabe pour donner une idée de tout ce que nous possédons dans ce genre.

Nous sommes redevables au premier, d'un grand trésor d'antiquités sacrées 60) qui sert principalement à l'intelligence de la Bible. Dans ce but, Ugolin a cru indispensable de consulter l'antiquité judaïque qui est comme le reflet de l'hébraïque. Il a donc traduit autant de traités des deux Talmuds que son plan en demandait, et quant au Talmud de Jérusalem il a traduit en latin:

1°. Les cinq derniers traités du premier Ordre Zeraïm, version qui se trouve à côté du texte dans le 20 volume de son ouvrage 61).

58) Mischna sive totius Hebraeorum juris, rituum, antiquitatum ac legum oralium systema, cum clarissimorum Rabbinorum Maimonidis el Bartenorae commentariis integris: quibus accedunt variorum auctorum notae ac versiones in eos quos ediderunt codices: latinitate donavit ac notis illustravit Guilielmus Surenhusius. Dans le catalogue alphabétique des Traités du Talmud (Ib. p. 700-724.). Wolf cite tous les Auteurs qui se sont appliqués à traduire la Mischna avant Surenhuse et dont les travaux se retrouvent aujourd'hui dans la version de ce dernier. Surenhuse lui-même avoue qu'il en a profité et que souvent il n'a rien changé ni à leur style ni à leur manière de traduire. (Voy. Pref. ad Lectorem du le Vol.)

59) Mischnah oder der Text des Talmuds, das ist, Sammlung der Aufsätze der ältesten und mündlichen Ueberlieferungen oder Traditionen, als der Grund des heutigen Pharisaeischen Judenthums aus dem Hebraeischen übersetzt, umschrieben und mit Anmerkungen erläutert von Johann Jakob Rabe. Onolzbach, 1760.

60) Thesaurus antiquitatum sacrarum complectens selectissima clarissimorum virorum opuscula, in quibus veterum Hebraeorum mores, leges, instituta, ritus sacri et civiles illustrantur. Opus ad illustrationem utriusque Testamenti et ad Philologiam sacram et profanam utilassimum, maximeque necessarium, auctore Blasio Ugolino. Venetiis, 1757.

61) Ce volume est dédié au Cardinal Alberici Secrétaire du Pape

2o. Les dix derniers traités du second Ordre Moed publiés également avec le texte dans le 18° volume 62). 3o. Les deux Traités Sanhedrin et Maccoth du troisième, et les trois Traités Kesuvoth, Kidduschim et Sota du quatrième. Mais cette version étant purement littérale, et sans notes, est souvent plus obscure que le texte même.

Il paraît que le projet de Jacob Rabe, a été de nous donner autant de parties de la Ghemara, que les deux Talmuds en continnent. Je le conjecture, d'après sa version du premier traité Berakoth, qui se trouve déjà imprimée, et où la Ghemara de Jérusalem a été ajoutée à celle de Babylone 63). Il a fait aussi imprimer la version du Traité Pea, mais à part, dans un petit in 4to que j'ai eu occasion de voir dans la bibliothèque royale de Berlin. Mais je ne me souviens pas, si son manuscrit de la Ghemara de Babylone, que j'ai vu dans la même bibliothèque, contient quelques autres traités ou fragmens de celle de Jérusalem.

Quoique ce Talmud ait été rédigé le premier, et dans la terre Sainte, il a été et est toujours peu estimé par les Juifs de la dispersion. Les critiques ont raison de s'en demander la cause, et l'entrevoient, tantôt dans son obscurité, qui dérive de la langue aussi bien que de la manière dont il a été rédigé; tantôt du petit nombre de juifs pour lesquels il a été rédigé, et du peu de détails qu'il renferme; tantôt enfin, de la rivalité qui existait déjà entre les écoles d'Orient et celles d'Occident. Je suis d'opinion que cette cause consiste principalement en ce que le Talmud de Babylone convient plus que celui de Jérusalem, à l'état

Benoît XIV. Nous fesons cette remarque afin d'appaiser la conscience de ceux qui craignent que l'Eglise Romaine ne s'oppose à la publication de la version du Talmud.

62) Dedié au Cardinal Chigi.

63) Der Talmudische Tractat Berachoth von den Lobsprüchen, als das erste Buch im ersten Theil nach der hierosolymitan- und babylonischen Gemara, Aus dem Hebräischen übersetzt und mit Anmerkungen erläutert von Johann Jacob Rabe, Archidiacono zu Onolzbach, Halle bey Johann Jacob Gebauer, 1777.

de dispersion où vivent maintenant les Juifs. Comme l'auteur de ce dernier le rédigea en Palestine, il fut séduit par tout ce qui l'entourait. Il ne s'étendit pas beaucoup sur les parties de la loi dont les lieux qu'il voyait, retraçaient le souvenir et indiquaient la pratique. L'espérance même de rester toujours dans la terre de promission et de rentrer bientôt dans la Ville-Sainte, lui en imposa. Cette conjecture s'appuie sur le plan de son recueil, qui est souvent l'inverse de celui qu'ont suivi les compilateurs d'Orient. En effet, R. Johanan explique les parties de la Mischna que ces derniers laissent sans aucune explication et viceversa. Elle s'appuie également sur ce que la Ghémara de Jérusalem, est depouillée de toutes ces subtilités et minuties légales, qui, dans celle de Babylone attestent combien de difficultés la pratique de la loi rencontrait, hors du sol auquel elle avait été attachée pendant si long temps. Bref le Talmud de Jérusalem a rempli sa mission en Palestine et ne peut pas être d'un usage très-étendu, hors de ce pays. Je conjecture aussi que ce Talmud inspire de l'aversion aux Phariséens parce qu'il est souvent favorable à J. Ch. ainsi que nous le verrons par la suite.

Il suit donc de tout ce que nous venons d'exposer sur la rédaction du Talmud de Jérusalem, que ceux qui entreprirent un ouvrage semblable en Orient, non seulement eurent devant les yeux tous les motifs qui avaient déterminé à écrire R. Johanan, mais ils furent aussi pénétrés de la nécessité imposante, de mettre, entre les mains de leurs coréligionaires, un corps de lois plus complet, et plus analogue à leur position. Lorsque les titres, et les attributions de grand-prêtre et de ministre du temple, de président et d'assesseur du grand Sanhedrin, se confondirent avec ceux d'administrateur de synagogues et de directeur ou chef d'écoles, il est simple que ceux qui en étaient décorés, devaient se donner beaucoup de mouvement pour reculer autant que possible les obstacles qui les • génaient 64). Il leur fallut se créer une terre de promis

64) Nous verrons dans la version du Talmud que la place d'un chef d'école ou d'Académic s'appelle Royaume.

J.

C

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