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L'équilibre optique produit par l'égalité des masses qui se correspondent procure à l'esprit une sorte de pondération morale. Partout où l'architecture fournit une perspective clairement écrite, le point de vue placé au milieu de la scène y appelle tout d'abord l'attention du spectateur, et ensuite l'y rapFelle.

Si, par exemple, Jésus-Christ est assis

équilibre en choisissant le point de vue que la symétrie indiquait, pour y placer la figure vénérable du poète entre l'Iliade et l'Odyssée, dans l'axe du temple où il va être déifié, et qui sert de fond au spectacle de son couronnement.

Il est, toutefois, d'excellents peintres qui ont le plus souvent porté leur point de vue sur un côté du tableau, non loin du bord. Lesueur lui-même, dans les vingt-deux compositions si admirables dont la suite forme la Vie de Saint Bruno, a presque toujours sup

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Modèles en plâtre du Cours de dessin.

au centre du tableau dans la Cène des apôtres, les lignes qui concourent au point de vue ramènent constamment le rayon visuel sur la figure dominante, là où est le noeud du drame, là où se concentre l'émotion, là où reviennent sans cesse les regards de l'esprit. Salomon, siégeant sur le trône où il va rendre la justice, me paraît encore plus équitable à la place où le peintre nous le fait voir, dans une composition dont le balancement rigoureux semble une allusion à la souveraine impartialité du juge qui en occupe le centre.

Et, si nous voulions emprunter de l'art contemporain un exemple illustre, nous verrions l'auteur de l'Apothéose d'Homère ajouter à la solennité de son ordonnance un auguste

posé le spectateur à droite ou à gauche de la ligue médiane.

Il y a plus quelquefois,, son point de vue est fixé sur l'une des lignes latérales du cadre, de sorte qu'il y a telle composition qui paraît n'être que la moitié d'une autre, par exemple, celle qui représente saint Bruno distribuant son bien aux pauvres.

On peut croire que ces images tranquilles et douces de la vie des cloîtres, ces scènes d'une austérité mélancolique, gagneraient à présenter plus de pondération perspective, moins d'inégalité dans les masses que sépare le point de vue. Mais il est juste d'observer que des compositions formant une seule histoire, un seul tout, peuvent se compléter

pour le regard de façon qu'un tableau fasse équilibre à celui qui le précède ou le suit.

On dirait, au surplus, que Lesueur, en rejetant son point de vue au coin du tableau, a voulu exprimer l'éloignement des regards profanes, et soulever simplement un coin du voile qui cache aux cénobites les choses du monde.

Raphaël, dans les scènes les plus mouvementées, conserve la position centrale du point de vue, et il oppose ainsi à l'agitation des figures le calme d'une architecture pondérée. En peignant sa fresque sublime de l'Héliodore, où l'on voit le voleur sacrilège renversé par un cavalier miraculeux, et fouetté de verges par deux anges qui ont fendu l'air, rapides comme de purs esprits, Raphaël a songé, sans doute, au contraste que produirait la tranquillité d'une architecture symétrique avec le mou

de percer sur un mur une perspective' qui supposerait le spectateur à une place impossible et qui, dès lors, serait démentie par la construction environnante.

La part du sentiment demeure si grande en peinture, même lorsque la géométrie s'y installe, que tel grand peintre s'est cru permis d'employer deux lignes d'horizon dans un seul tableau, et s'est fait pardonner cette licence. Paul Véronèse en a usé dans les Noces de Cana, en considérant la ligne d'horizon non plus comme une ligne sans épaisseur, mais, au contraire, comme une zone, qui permettrait deux points de concours, l'un plus

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Modèles d'ornementation du Cours de dessin.

vement impétueux du cavalier céleste qui renverse Héliodore, et les anges qui le frappent de verges, tandis que le sacrificateur Onias, au fond du sanctuaire où conduisent toutes les lignes fuyantes de la perspective, demande encore à Jéhovah le miracle qui déjà s'est accompli, foudroyant et soudain comme l'éclair.

L'équilibre qu'engendre la situation du point de vue au milieu de la ligne d'horizon peut donc servir, tantôt à fortifier l'assiette du tableau, s'il est calme, tantôt à en faire ressortir le mouvement, s'il est dramatique.

Mais l'exemple de Raphaël nous suggère une autre observation: c'est que, dans la peinture murale, l'architecture réelle commande à l'architecture feinte, et qu'il serait choquant

élevé que l'autre. Véronèse l'a fait pour deux raisons d'abord, parce que la haute architecture du tableau eût présenté des lignes trop plongeantes, dont la direction vers un seul point eût été précipitée et sans grâce; ensuite, parce qu'en présence d'un tableau si vaste, rempli d'épisodes et sans unité rigoureuse, puisqu'il ne devait exprimer que la joie générale et l'agréable désordre d'un festin où Jésus lui-même ne joue que le rôle d'un convive, le spectateur devait s'intéresser successivement aux différents groupes et se promener devant la toile plutôt que de mettre son œil au point de vue.

CHARLES BLANC.

Les Cours Pratiques

Série E

LECTURE

Cours de M. L. BREMONT

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Vous

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Pour moi, Victor Hugo est, comme l'a dit M. Jean Richepin, le plus grand des poètes, car je n'en vois pas de plus complet, de plus universel; il a été le plus merveilleux inventeur d'images, le plus admirable magi. cien de mots; et, pourtant, il ne me ble pas qu'il ait été un aussi grand lyrique que Lamartine, parce qu'il l'était moins naturellement, parce qu'il a cherché le lyrisme (j'ajoute qu'il l'a trouvé!) dans l'accumulation des mots et des images, dans le fracas des sonorités, alors que le poète du Lac ne semblait jamais obéir qu'à une voix intérieure, à une sorte d'enthousiasme sacré, à quelque chose de vraiment spontané!

Cela dit pour défendre l'opinion que j'exprimais ici, il y a huit jours; j'ajoute que, puisque Victor Hugo a été épique, dramatique, satirique, bucolique, élégiaque, et admirable. ment lyrique, tout à la fois, il nous fournira, pour nos études, les meilleurs textes poétiques qui soient dans notre langue.

J'avais déjà exprimé cette opinion dans l'Art de dire les Vers, en un chapitre où je comparais entre eux les grands poètes de 1830.

Victor Hugo, Lamartine, Alfred de Musset, contiennent toutes les puissances de notre langue poétique, tout son charme aussi, et rien ne saurait être plus utile pour un diseur de vers que d'étudier successivement la Tristesse d'Olympio, le Lac, et Souvenir, en s'efforçant de marquer nettement le caractère propre de chaque poète!

Que de fois, dans les discussions littéraires,

dans les essais de critique, n'a-t-on pas comparé ces trois chefs-d'œuvre entre eux!

C'est qu'en effet il nous semblerait que le thème, qui en fait le fond, ait été proposé comme un sujet de concours aux trois grands romantiques, si nous ne savions que toujours, à travers les âges, les amants de génie se plaisent à chanter la douceur du souvenir, la tristesse que nous laissent la fuite des jours et le charme mélancolique des paysages où l'on fut heureux!

C'est à de semblables émotions que nous devons encore le Manchy, de Leconte de Lisle, Après trois Ans, de Verlaine, et d'autres poèmes encore.

Comparons ces textes entre eux, efforçonsnous de leur appliquer des formes d'interprétations différentes et nous trouverons en eux les études les plus profitables pour former le talent d'un diseur.

Dans chaque poète, nous tâcherons de dé couvrir, en effet, deux ou trois traits qui s'af. firment comme la caractéristique de son ta lent, et nous sentirons sans peine qu'il ne faut pas faire chanter Lamartine comme Verlaine, Hugo comme Musset, Baudelaire comme Banville.

Puisque je me propose, ici, de rechercher les textes les plus propres à former un diseur de vers, je donnerai, sans hésitation, la première place à l'œuvre de Victor Hugo, non pas que je veuille me mêler légèrement à une discussion, qui restera toujours ouverte, non pas que je me permette de dire, en parlant de l'un des trois chefs-d'œuvre : « Ceci vaut mieux que cela », mais je me place au point de vue de l'enseignement, et, pour cet objet, je trouve beaucoup plus de matière dans la Tristesse d'Olympio que dans les deux pièces rivales.

Après avoir soupiré la musique divine du Lac avec toute la fluidité délicate, toute la grâce limpide et ondoyante qu'elle exige, après nous être efforcés d'atteindre à la douleur, à la passion, au lyrisme qui emportent les strophes du Souvenir dans un mouvement

d'une inspiration débordante, si nous essayons de dire la poésie de Victor Hugo, nous y rencontrons plus de difficultés peut-être, à coup súr plus de matériaux variés; à elle seule, cette poésie-là nous semble suffisante pour nous faire tout sentir, tout comprendre valeur du rythme, de la rime, du mouvement, force et variété des images, couleur, harmonie, toute la musique, toute la puissance du langage poétique!

Dans l'un des derniers livres du poète, on rencontre ces deux vers:

Les palmiers frissonnaient au souffle de la brise,
Le soleil se couchait dans le désert poudreux (1).

seu

Supposez un sonnet quatorze vers lement conçu dans cette forme largement descriptive, et voyez quelle pesante monotonie va se dégager de l'ampleur même des mots! Mais lisez, maintenant, toute la pièce de Victor Hugo; en émergeant du récit, ces deux vers de description vous apporteront la grandeur des paysages bibliques, et tout le morceau s'en trouvera superbement élargi.

Que le diseur détache largement ces deux vers sans les isoler complètement du reste, et il nous semblera qu'ils cessent d'être pu rement objectifs comme ils le seraient chez un Leconte de Lisle ou un de Heredia; car, dans ce décor choisi par le poète, quelque chose d'humain s'agite et souffre!

« Qu'as-tu ? », dit le vieillard. « Je suis très malheu[reux », Dit Jad. Puis, il reprit : « Hélas! j'aime une femme.>> J'avais, dit le vieillard », etc.

J'ai cité deux grands artistes : Leconte de Lisle et de Heredia; ils eussent pu trouver peut-être cet admirable vers que j'emprunte aux Contemplations :

La lune à l'horizon montait, hostie énorme !

Mais, chez eux, il n'eût servi, sans doute, qu'à créer un magnifique tableau.

Chez Hugo, il résume magistralement toute la pièce qui a pour titre Religio (2), il prépare et rend logique ces derniers vers : Lui montrant l'astre d'or sur la terre obscurcie Je lui dis : « Courbe-toi, Dieu lui-même officie Et voici l'élévation. »

Il dépasse la valeur d'une poésie descriptive; il affirme la présence de Dieu dans la nature, il est beau par la forme et par le fond, et pour ne pas laisser tomber une beauté de cette envergure, pour enfler et grandir démesurément cet alexandrin, l'interprète ne saurait se passer d'une diction large et savante.

Ainsi, dans cette œuvre immense, la vie et le mouvement sont créés, à tout instant, par

(1) Toute la Lyre.

(a) Les Contemplations.

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Les grands chars gémissants qui reviennent le soir... Et il accompagne cette citation du commentaire suivant :

<< Ce sont les mots de tout le monde, les >> mots du langage ordinaire, quotidien, fa» milier; mais, en passant par cet écho sonore, >> il me semble qu'ils y contractent des vertus » ou des propriétés nouvelles. Longtemps après » les avoir entendus, ils continuent encore de » vibrer dans l'oreille et le retentissement s'en » prolonge comme à l'infini.

» ...Ces vers sont plus pleins, ils ont l'air » d'être plus longs que d'autres; ils disent >> tout ce qu'ils veulent dire, et quelque chose >> encore de plus; ils ne nous émeuvent pas >> seulement, ils nous remuent, ils nous agi» tent, ils nous ébranlent physiquement, etc.»

Ils abondent dans Victor Hugo, ces vers qui sont comme construits avec des matériaux plus pesants que le reste :

Les hauts tambours-majors aux panaches énormes (1), et dont les douze pieds, par leur ampleur

(1) Les Châtiments. L'Expiation.

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