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C'est dans ces moments-là que le jardin paisible,
La broussaille où remue un insecte invisible,
Le scarabée, ami des feuilles, le lézard
Courant au clair de lune au fond du vieux puisard,
La faïence à fleur bleue où vit la plante grasse,
Le dôme oriental du sombre Val-de-Grace,
Le cloître du couvent, brisé, mais doux encor,
Les marronniers, la verte allée aux boutons-d'or,
La statue où sans bruit se meut l'ombre des branches,
Les pâles liserons, les pâquerettes blanches,
Les cent fleurs du buisson, de l'arbre, du roseau,
Qui rendent en parfums ses chansons à l'oiseau,
Se mirent dans la mare ou se cachent dans l'herbe,
Ou qui, de l'ébénier chargeant le front superbe,
Au bord des clairs étangs se mêlant au bouleau,
Tremblent en grappes d'or dans les moires de l'eau,
Et le ciel scintillant derrière les ramées,
Et les toits répandant de charmantes fumées,
C'est dans ces moments-là, comme je vous le dis,
Que tout ce beau jardin, radieux paradis,
Tous ces vieux murs croulants, toutes ces jeunes roses,
Tous ces objets pensifs, toutes ces douces choses,
Parlèrent à ma mère avec l'onde et le vent,

Et lui dirent tout bas : - «Laisse-nous eet enfant ! »>

(Vifs applaudisscments.)

La Pension Cordier

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Le proviseur dont parle le poète était celui du lycée Napoléon, depuis Louis-le-Grand. II fut éconduit; mais, bientôt, en 1814, — l'année où le général Hugo défendit contre les alliés la place de Thionville, dont il avait été nommé commandant et qu'il devait conserver à la France, Mme Hugo mit Eugène et Victor à la pension Cordier, dans le quartier de l'Abbaye. Pension sinistre, dont les salles obscures et la cour étroite n'étaient point égayées par l'amabilité de M. Cordier ni de son associé, M. Decotte. M. Cordier qui, par admiration pour Jean-Jacques Rousseau, avait adopté comme lui le costume arménien, donnait sur la tête des élèves, quand ils ne savaient pas leurs leçons ou quand ils lui « répondaient »>, des coups vigoureux avec sa tabatière de métal (Rires.); et M. Decotte passait la journée à distribuer des pensums.

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Marchands de grec! marchands de latin! cuistres !
[dogues!
Philistins! magisters! je vous hais, pédagogues!
Car vous êtes mauvais et méchants... Mon sang bout
Rien qu'à songer au temps où, rêveuse bourrique,
Grand diable de seize ans, j'étais en rhétorique.

Et, ailleurs, dans l'Ane, un de ses derniers poèmes, il retrouve encore contre eux toute sa colère comique, en ce petit passage où vous admirerez l'extraordinaire fantaisie du poète et ce don que vous signalait Richepin d'insuffler la vie aux choses les plus inanimées:

Le vil marais vous charme et votre œil le préfère.
Vous feriez un étang, si l'on vous laissait faire,
De l'océan tordant ses flots sur les galets :
En forgeant des pédants vous créez des valets;
En faisant le front bas, vous faites l'âme basse.
Qu'un de vos patients chuchote dans la classe,
Qu'il ose relever son museau d'écolier

Et se gratter un peu le cou sous son collier,
O révolution! anarchie ! Il vous semble,
Que l'alphabet lui-même entre vos pattes tremble,
Que l'F et que le B vont se prendre de bec,
Que l'O tourne sa roue aux cornes de l'Y,
Horreur! et qu'on va voir le point, bille fatale,
Tomber enfin sur l'I, ce bilboquet tantale !
(Rires et applaudissements.)

Au moins, mesdemoiselles, j'espère qu'aucun de nous, du haut de cette chaire, ne vous apparaît sous cet aspect rébarbatif; ni Mlle Delvair, ni M. Leitner, ni moi..., ni même Mlle Taillade! (Hilarité.)

Eh bien! c'est pourtant à la pension Cordier que Victor Hugo entra, pour la première fois, en relations avec l'Académie française, en prenant part au concours poétique, dcnt le sujet, ô ironie du hasard! était précisément, cette année-là: « Le bonheur que procure l'étude dans toutes les situations de la vie. » L'écolier eut la joie d'obtenir une mention, et il aurait obtenu le prix s'il n'avait commis l'imprudence d'avouer, en une classique périphrase à la mode du temps, qu'il touchait à peine à sa seizième année :

Moi qui toujours, fuyant les cités et les cours,
De trois lustres à peine ai vu finir le cours.

Le secrétaire perpétuel, M. Raynouard, lui écrivit, avec une faute d'orthographe : « Je fairai volontiers votre connaissance. » M. Campenon félicita Victor de ses vers « que Malfilâtre eût enviés ». Et le doyen de l'Académie, M. François de Neufchâteau, à qui Voltaire avait jadis donné sa bénédiction, bénit à son tour le lauréat, en lui laissant espérer qu'il deviendrait, un jour, un autre François de

Neufchâteau. Beaucoup de gloire en rejaillissant sur la pension Cordier, les maîtres commencèrent à traiter avec quelque considération cet élève peu ordinaire, et tous les veaux demandèrent à devenir chiens. (Vifs applaudissements.)

Les Fiançailles

En août 1818, les deux frères quittent la pension et reviennent chez leur mère qui habite, maintenant, un modeste appartement rue des Petits-Augustins, car la demi-solde du général ne permet plus le luxe d'un jardin et d'une maison entière. La distraction presque unique de Mme Hugo est d'aller, le soir, après dîner, faire visite aux Foucher, qui continuent d'habiter l'hôtel Toulouse, en y emmenant Eugène et Victor. Les soirées n'y sont pas d'une gaieté excessive. La visiteuse trouve à l'un des coins de la cheminée son fauteuil tout prêt, et, sans ôter son châle à palmes ni son chapeau, tire son ouvrage de son sac. A l'autre coin, M. Foucher ne sort de sa somnolence que pour offrir une prise à son amie; Mme Foucher tricôte silencieusement, auprès du guéridon, à côté de sa fille. Eugène bâille; mais Victor, qui, pas plus que son aîné, n'a le droit de prendre la parole sans qu'on l'interroge, regarde Adèle Foucher compter les points de sa tapisserie, et cela suffit à son bonheur. Les jours où on ne va pas à l'hôtel Toulouse, il est très triste.

L'hiver passe ainsi; mais, au printemps de 1819, un après-midi qu'Adèle et Victor se sont rejoints sous les marronniers du beau jardin de l'hôtel et qu'ils sont restés longtemps sans échanger une parole, un peu troublés l'un et l'autre, elle lui dit tout à coup :

Tu dois avoir des secrets; n'en as-tu pas un qui est le plus grand de tous? Dis-lemoi, et, comme j'en ai un aussi, je te le dirai.

- Mon grand secret, ose répondre Victor, c'est que je t'aime.

- Mon grand secret, c'est que je t'aime, répète Adèle, comme un écho.

Et, bientôt après, Victor trouvera le moyen de glisser dans la main d'Adèle la première de ces adorables Lettres à la Fiancée, qui ne devaient arriver au public que voilà six ans, et qui nous font assister à toutes les péripéties d'une idylle non pas seulement très tendre et très pure, mais encore très héroïque. (Vifs applaudissements.)

Victor a dix-sept ans, Adèle en a seize. Plus tard, le poète s'écriera :

O mes lettres d'amour, de vertu, de jeunesse !...

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plus bas et plus coupable qu'un malhonnête homme qui n'est pas poète. »>

Dans une autre, deux ans plus tard, il écrira :

<< Tu es la femme qui m'a servi de rempart contre toutes les femmes. »>

Adèle n'a rien à craindre, aucune pensée mauvaise ne traversera jamais le cœur passionné qui l'a élue.

Pourtant, Mme Foucher remarque la mélancolie de sa fille; elle s'alarme, elle avertit le père. Foucher répond que, si les deux jeunes gens s'aiment, Victor pourra être un jour, pour Adèle, un mari très souhaitable; et il décide d'en aller parler à Mme Hugo. Dès les premières paroles, celle-ci se lève, indignée. D'abord, elle ne veut pas croire que ce grand garçon, toujours pendu aux jupes de sa mère, ait déjà une amourette en tête. Et, quand cela serait, la fille d'un simple chef de bureau du recrutement au ministère

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Victor se révolte, proclame bien haut son amour, déclare qu'il n'y renoncera pas..., puis les nerfs se détendent, et il pleure tout le reste du jour, comme un enfant perdu. De son côté, M. Foucher annonce à sa fille qu'on ne reverra plus la famille Hugo; et Adèle tombe dans une tristesse dont ses parents ne réussiront pas à la distraire.

Quand Victor a bien versé toutes ses larmes, il relève la tête; il prend, de toute sa juvénile énergie, la résolution de conquérir Adèle à force de travail et de gloire; et il se met à l'œuvre avec une force et une volonté qui, pendant les soixante-cinq années qu'il doit vivre encore, ne faibliront point.

Il fonde une revue: le Conservateur Littéraire, qu'il rédige à peu près seul, sous différents noms. Il publie des odes, des satires, des articles où il salue les ouvrages de ses maîtres ou de ses émules: Chateaubriand, Alfred de Vigny, Lamartine... Mais ce n'est pas à cause de cela qu'il ne manque point de faire à M. Foucher le service du Conservateur Littéraire, c'est à cause des vers d'amour qu'il y imprime et qui racontent, soidisant, la passion fidèle et traversée d'un certain Raymond d'Ascoli, poète du temps de Pétrarque, que des parents barbares avaient séparé de son Emma. Pour peu que la revue traîne sur les tables de l'hôtel Toulouse, Adèle ne manquera point de lire et de comprendre.

Pourtant, elle ne donne aucun signe de vie. Il va falloir frapper un grand coup. M. Foucher vient de publier fort à propos un livre qui porte ce titre : Manuel du Recrutement. Certes, cela n'a pas beaucoup de rapport

avec la littérature. N'importe Victor l'analysera, il en vantera les qualités de style en quatre pages du Conservateur. Silence de M. Foucher. Comment faire? Un héritier de nos rois légitimes vient alors au monde fort à propos, lui aussi, et, Sur la Naissance du Duc de Bordeaux, Victor écrit une ode qu'il fait imprimer en brochure et qu'il envoie à l'insensible auteur du Manuel du Recrutement. Cette fois, M. Foucher, fervent royaliste, est ému, et il écrit non pas au poète, mais à Mme Hugo, en louant l'ouvrage, et en daignant faire allusion au fameux article. D'Adèle, pas un mot. Aurait-elle oublié son ami? Victor, à force de recherches, apprend que sa fiancée va presque tous les matins, seule, prendre une leçon de dessin chez une voisine. Il guette sa sortie, il l'arrête au détour de la rue, et voilà nos amoureux rejoints une fois encore!

C'est quelques semaines plus tard que Mme Hugo meurt. La douleur de Victor est immense. Le soir de l'enterrement, ne pouvant supporter la solitude de la maison vide, il va, d'instinct, errer sous les fenêtres de l'hôtel Toulouse. Il les voit illuminées; s'enhardissant, il monte, et, par un vitrage, il aperçoit, au milieu d'un bal, Adèle qui rit et qui danse... Il s'enfuit en sanglotant: il n'apprendra que plus tard que M. Foucher, pour ne point gâter sa fête, avait caché aux siens la mort de Mme Hugo.

Le lendemain, pourtant, M. Foucher va faire à Victor une visite de condoléances que le jeune homme lui rend, mais sans qu'on lui laisse voir Adèle. Et il apprend que les Foucher vont aller s'installer à Dreux pour y passer l'été. La ville est à vingt-cinq lieues et à vingt-cinq francs de Paris, et Victor n'a jamais été plus pauvre. C'est l'année où, comme le Marius des Misérables, en qui il a incarné cette phase de sa jeunesse, il vivra avec sept cents francs, dans une mansarde de la rue du Dragon, qu'il partage avec un cousin de Nantes; et c'est le jour où il vient de refuser la pension que, de sa résidence de Blois, son père, qui vivait loin de sa mère, lui a proposée à condition qu'il renonçât à la littérature.

A toute force il veut revoir Adèle. Le 16 juillet, il se met en route, à pied; le 19, il arrive à Dreux, en trois étapes. Rencontre de M. Foucher accompagné de sa fille... Il les évite, mais il écrit au père aussitôt pour lui dire qu'il vient de les apercevoir; que lui-même se trouve dans la ville par le plus merveilleux des hasards, parce qu'il se rendait, entre Dreux et Nonancourt, chez un ami, qui, fatalité inouïe, est parti l'avant-veille pour Gap, dans les Hautes-Alpes! (Rires.) M. Foucher fait semblant de croire à tant de conjonctures mirifi

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d'auteur, et, bien qu'il les paye en écus de six francs, sur lesquels on perd quatre sous par écu, c'est la fortune! Victor achète un cachemire pour la corbeille de mariage, et, le consentement du général arrivé, on se marie à Saint-Sulpice, le 12 octobre 1822, après trois ans et demi de traverses depuis le premier aveu d'amour. (Applaudissements.) Victor et Marius

Si je vous ai conté un peu en détail cette belle histoire, mesdemoiselles, tout en sachant bien que je serai obligé d'aller beaucoup plus vite à présent, c'est qu'il m'a semblé que rien, dans la vie du grand poète, n'était fait pour vous intéresser davantage. Mais je veux que vous écoutiez le poète lui-même évoquer, sous le voile d'une fiction à peine romanesque, le souvenir de ces années de misère, d'héroïsme et de généreuse tendresse.

appelle de la vache enragée... A ce moment de l'existence où l'homme a besoin d'orgueil parce qu'il a besoin d'amour, il se sentit moqué parce qu'il était mal vêtu, et ridicule parce qu'il était pauvre. A l'âge où la jeunesse vous gonfle le cœur d'une fierté impériale, il abaissa plus d'une fois ses yeux sur ses bottes trouées, et il connut les hontes injustes et les rougeurs poignantes de la misère. Admirable et terrible épreuve, dont les faibles sortent infâmes, dont les forts sortent sublimes... Il y eut un moment, dans la vie de Marius, où il balayait son palier, où il achetait un sou de fromage de Brie chez la fruitière, où il attendait que la brune tombât pour s'introduire chez le boulanger, et y acheter un pain qu'il emportait furtivement dans son grenier, comme s'il l'eût volé. Quelquefois, on voyait se glisser dans la boucherie du coin, au milieu des cuisinières go

guenardes qui le coudoyaient, un jeune homme gauche, portant des livres sous son bras, qui avait l'air timide et furieux, qui, en entrant, ôtait son chapeau de son front où perlait la sueur, faisait un profond salut à la bouchère étonnée, un autre salut au garçon boucher, demandait une côtelette de mouton, la payait six ou sept sous, l'enveloppait de papier, la mettait sous son bras, entre deux livres, et s'en allait. C'était Marius. Avec cette côtelette, qu'il faisait cuire lui-même, il vivait trois jours. Le premier jour, il mangeait la viande, le second jour, il mangeait la graisse, le troisième jour, il rongeait l'os.» (Rires.)

Marius a perdu la trace de la jeune fille que tant de fois il a croisée, se promenant avec son père, sous les arbres du Luxembourg, et qui s'est, sans le connaître, troublée pour lui, comme lui pour elle. Après avoir longtemps cherché, l'âme en peine, il finit par découvrir qu'elle demeure rue Plumet, dans une vieille maison cachée au fond d'un jardin sauvage, encore un souvenir des

Feuillantines. En déplaçant une grille un peu descellée, il va déposer sur un banc de pierre, où il a vu son inconnue s'asseoir, quelques feuillets auxquels il a confié des rêves inspirés par elle pendant leur séparation; et il a mis une pierre dessus. Le lendemain, Cosette a remarqué la pierre apportée là, elle ne sait comment; elle l'a soulevée, et elle a trouvé le mystérieux message.

Et, maintenant, vous allez entendre lire non pas dire par Mlle Taillade le pur, le tendre, l'adorable chapitre qui est intitulé : les Vieux sont faits pour sortir à propos :

Le soir venu, Jean Valjean sortit, Cosette s'habilla. Elle arrangea ses cheveux de la manière qui lui allait le mieux, et elle mit une robe dont le corsage, qui avait reçu un coup de ciseau de trop, et qui, par cette échancrure, laissait voir la naissance du cou, était, comme disent les jeunes filles, « un peu indécent ». Ce n'était pas le moins du monde indécent, mais c'était plus joli qu'autrement. Elle fit toute cette toilette sans savoir pourquoi.

Voulait-elle sortir? non.

Attendait-elle une visite? non.

A la brune, elle descendit au jardin. Tous. saint était occupée à sa cuisine qui donnait sur l'arrière-cour.

Elle se mit à marcher sous les branches, les écartant de temps en temps avec la main, parce qu'il y en avait de très basses.

Elle arriva ainsi au banc.

La pierre y était restée.

Elle s'assit, et posa sa douce main blanche sur cette pierre comme si elle voulait la caresser et la remercier.

Tout à coup, elle eut cette impression indéfinissable qu'on éprouve, même sans voir, lorsqu'on a quelqu'un debout derrière soi. Elle tourna la tête et se dressa. C'était lui.

Il était tête nue. Il paraissait pâle et amaigri. On distinguait à peine son vêtement noir. Le crépuscule blêmissait son beau front et couvrait ses yeux de ténèbres. Il avait, sous un voile d'incomparable douceur, quelque chose de la mort et de la nuit. Son visage était éclairé par la clarté du jour qui se meurt et par la pensée d'une âme qui s'en va.

Il semblait que ce n'était pas encore le fantôme et que ce n'était déjà plus l'homme. Son chapeau était jeté à quelques pas dans les broussailles.

Cosette, prête à défaillir, ne poussa pas un cri. Elle reculait lentement, car elle se sentait attirée. Lui ne bougeait point. A je ne sais quoi d'ineffable et de triste qui l'enveloppait, elle sentait le regard de ses yeux qu'elle ne voyait pas.

Cosette, en reculant, rencontra un arbre et s'y adossa. Sans cet arbre, elle fût tombée. Alors elle entendit sa voix, cette voix qu'elle n'avait vraiment jamais entendue, qui s'élevait à peine au-dessus du frémissement des feuilles, et qui murmurait :

-

Pardonnez-moi, je suis là. J'ai le cœur gonflé, je ne pouvais pas vivre comme j'étais, je suis venu. Avez-vous lu ce que j'avais mis là, sur ce banc? Me reconnaissez-vous un peu? N'ayez pas peur de moi. Voilà du temps déjà, vous rappelez-vous le jour où vous m'avez regardé? C'était dans le Luxembourg, près du gladiateur. Et le jour où vous avez passé devant moi? C'était le 16 juin et le 2 juillet. Il va y avoir un an. Depuis bien longtemps, je ne vous ai plus vue. J'ai demandé à la loueuse de chaises, elle m'a dit qu'elle ne vous voyait plus. Vous demeuriez rue de l'Ouest, au troisième sur le devant, dans une maison neuve, vous voyez que je sais. Je vous suivais, moi. Qu'est-ce que j'avais à faire? Et puis vous avez disparu. J'ai cru vous voir passer une fois que je lisais les journaux, sous les arcades de l'Odéon. J'ai couru. Mais non. C'était une personne qui avait un chapeau comme vous. La nuit, je viens ici. Ne craignez pas, personne ne me voit. Je viens regarder vos fenêtres de près. Je marche bien doucement pour que vous n'entendiez pas, car vous auriez peut-être peur. L'autre soir, j'étais derrière vous, vous vous êtes retournée, je me suis enfui. Une fois, je vous ai entendu chanter. J'étais heureux. Est-ce que cela vous fait quelque chose que je vous entende chanter à travers le volet? Cela ne peut rien vous faire. Non, n'est-ce pas ? Voyez-vous, vous êtes mon ange, laissez-moi venir un peu. Je crois que je vais mourir. Si vous saviez! je vous adore, moi! Pardonnez-moi, je vous parle, je ne sais pas ce que je vous dis, je vous fâche peutêtre; est-ce que je vous fâche?

O ma mère! dit-elle.

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