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uniquement composé de chefs-d'œuvre, mais où les belles pages abondent, parle aux yeux un langage clair et d'une éloquence toujours française. Il-déroule tout ce que notre siècle a fait de grand depuis 1789.

Cette œuvre est immense. Avec les guerres de la Révolution et de l'Empire, l'Afrique et la Crimée, la grande leçon de 1870, l'effort grandiose qui tend, depuis trente ans, à or ganiser une démocratie de quarante millions d'hommes, à réaliser la justice et à créer un droit nouveau, cela fait déjà une grande his

des chapelles construites à l'image du temple suprême Versailles. L'obsession de Versailles, on la retrouve en Hesse, en Bavière, en Saxe, à Potsdam, à Schoenbrunn. Jusqu'en ce siècle-ci, Louis XIV a eu ses adorateurs, Versailles a eu ses dévots. Le dernier de tous fut Louis II de Bavière.

Il a satisfait sa passion « louis-quatorzième >> en édifiant un nouveau Versailles dans une île, au milieu d'un lac bavarois, le Chiemsee. Il voulait suivre les plans primitifs du palais français et reconstituer dans l'oeuvre de Louis

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toire. Malgré tant de difficultés et de tristesses, d'illusions et d'erreurs, notre race n'a point renié son idéal de pensée et d'action. Rien n'est salutaire et réconfortant, au sortir de Paris, comme une promenade à Versailles. GUSTAVE LARROUMET.

29 avril 1899.

La Beauté de Versailles

La beauté de Versailles a fait, durant deux siècles, l'orgueil de la France et l'envie de l'Europe.

On a partout pastiché Versailles, son châ teau, son jardin et ses pièces d'eau, en Russie, en Italie, en Espagne et surtout en Allemagne. Dans toutes les Cours allemandes du dix-huitième siècle, on a pratiqué avec fanatisme la religion de Louis XIV et les châteaux des petits princes germaniques sont comme

XIV tout ce qui était demeuré inachevé, tout ce qui avait été plus tard dénaturé.

La mort a interrompu ce projet grandiose. Seule, la façade centrale est terminée. Le gros œuvre de l'aile du Nord est achevé; mais les charpentes et les briques attendent encore leur revêtement de plâtre. Quant à l'aile du Sud, les fondations en sont à peine indiquées. Lorsque, au sortir d'un petit bois, on débouche soudain en face du Herrenchiemsee, le spectaçle de ce palais manchot cause une première impression de surprise.

Mais l'étonnement redouble en face des grands bassins entourés de figures allégoriques en zinc doré, «richement doré », affirme le guide, et, dans ce piteux décor, on pense tristement aux bronzes superbes de Coysevox et de Regnaudin! Pius loin, au bas de la terrasse, un faux bassin de Latone; puis un tapis vert; puis un canal; puis, émergeant de la brume, les Alpes couvertes de neige, servant

de fond à cet à peu près de parc français où des treillages garnis de vigne vierge remplacent les classiques charmilles.

Dans le palais, c'est un mélange extraordinaire de richesse et de puérilité; il y a du marbre et du carton-pâte, de l'argent et du zinc, des brocarts et des trompe-l'oeil. Dans la salle du Conseil, toutes les fois que l'heure sonne à l'horloge, une mécanique fait passer devant le cadran un Louis XIV majestueux qui reçoit les révérences de ses courtisans. Dans la galerie des Glaces, d'où l'on a une admirable vue sur les Alpes, une armée d' << illustres professeurs » a glorifié Louis XIV. O Le Brun! Et on nous montre une étonnante salle de bains, en rotonde, où des << profes. seurs » émoustillés ont représenté des ébats de nymphes. Ces fresques, dit-on, déplaisaient à Louis II, qui les faisait couvrir d'un voile quand il se baignait..., car le roi de Bavière a souvent résidé dans ce château saugrenu.

Cette pieuse caricature de Versailles fait sourire. Mais, malgré tout, nous ne pouvons pas ne pas être touchés de cet hommage rendu au génie français par le dernier des princes romantiques de l'Allemagne.

En France, notre romantisme a été moins respectueux des chefs-d'oeuvre de l'art classi que. Depuis un siècle, nous n'avons pas tou jours traité Versailles avec la piété qu'il eût fallu.

La Révolution mit en vente le mobilier du château, qui fut insi dispersé à travers toute l'Europe. C'est un grand malheur. Mais, vrai ment, on ne pouvait pas demander au gouvernement de 1796 d'avoir la superstition des souvenirs de la monarchie. La République avait des dettes; elle se défit du mobilier de Versailles. Mais, pendant la période révolutionnaire, on ne toucha pas au château. Cela, du moins, mérite notre gratitude.

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Sous le Directoire, on utilisa le palais de Versailles on y voulut assurer une retraite aux vieux militaires et y créer une sorte de musée (fort incohérent) de l'art français. Chateaubriand approuva cette désaffectation de la vieille demeure de la monarchie.

« Quand le temps, dit-il, dans le Génie du Christianisme, a porté un coup aux empires, quelque grand nom s'attache à leurs débris et les couvre. Si la noble misère du guerrier succède aujourd'hui dans Versailles à la magnificence des cours, si des tableaux de miracles et de martyrs y remplacent de profanes peintures, pourquoi l'ombre de Louis XIV s'en offenserait-elle? Il rendit illustres la religion, les arts et l'armée : il est beau que les ruines de son palais servent d'abri aux ruines de l'armée, des arts et de la religion. >>

Napoléon Ier et Louis XVIII firent le projet

d'habiter Versailles, mais n'y donnèrent pas suite.

Ce fut, enfin, Louis-Philippe qui décida de transformer le château de Versailles en un grand musée consacré « à toutes les gloires de la France ». Très belle et très généreuse pen. sée. Malheureusement, pour la réaliser, Louis Philippe saccagea le vieux palais. Ce fut lui qui plaça dans la cour ces statues gigantesques qui sont hors de proportion avec les bâtiments voisins. Ce fut lui qui abaissa le niveau de la cour de Marbre et détruisit l'harmonie des exquises façades de Levau. Ce fut lui qui, partout, arracha de précieuses boiseries pour pla cer sur les murailles ses files de généraux, de maréchaux et d'amiraux. Ce fut lui qui rogna certaines toiles et en agrandit d'autres pour arriver à faire des panneaux symétriques. Ce fut lui qui mélangea d'affreuses copies et de superbes originaux. Et son zèle s'étendit même aux parties du château qui ne devaient point servir de musée. Il fit peindre l'admirable théâtre de Gabriel, cette salle de spectacle unique au monde,et, au décor gris et or d'autrefois. il substitua un épouvantable décor rouge, d'un rouge faux, d'un rouge vineux, d'un rouge Louis-Philippe, pour tout dire d'un mot... Mais la liste des méfaits du roi Louis-Philippe serait interminable.

Avouons, cependant, que l'opinion publique fut la complice du roi. On était au lendemain de 1830, en pleine effervescence romantique. La mode était de plaisanter les perruques et les classiques. On venait de découvrir le moyen âge. On consentait encore à célébrer les élé gances et les audaces de la Renaissance, Mais le dix-septième siècle était un objet de dédain. On lui faisait payer cher le mépris où il avait tenu les vieilles cathédrales gothiques. On se souciait bien alors des architectures de Levau et des sculptures de Caffieri! Le parc de Ver sailles? On sait comment Alfred de Musset, qui, pourtant, n'était pas un romantique bien terrible, surtout en 1849, parlait de « ces lieux où l'ennui repose ».

sance

Les temps sont changés. La fumée de la bataille romantique est depuis longtemps tom bée. Nous conservons une grande reconnais aux historiens, comme Michelet, aux poètes, comme Victor Hugo, aux artistes, comme Viollet-Le-Duc, qui ont remis en honneur les grands monuments du vieil art fran çais. Nous avons même plus d'une fois par tagé les véhémentes colères de Courajod maudissant l'influence italienne, qui, au seizième siècle, détourna l'art français de sa tradition nationale. Mais nous nous sommes aussi aperçus que cet art, corrompu, dévoyé, j'y consens, n'en a pas moins produit, au dix-septième siè cle, des chefs-d'œuvre qui ont porté au plus haut point la gloire du nom français et que le chef-d'œuvre des chefs-d'œuvre, c'est Versailles.

ANDRÉ HALLAYS.

Les Gobelins à Versailles

M. Dujardin-Beaumetz, a formé l'heureux projet de faire sortir du garde-meuble les tapisseries de l'Histoire du Roi et de les accrocher dans les appartements du roi et dans les appartements de la reine, à la place des cartons peints de Le Brun et de Van der Meulen qui garnissent les murailles depuis le temps de Louis-Philippe. Pour loger ces cartons, LouisPhilippe, malgré les instances de l'architecte Nepveu, avait, çà et là, saccagé des décors anciens. Les débris des boiseries arrachées ne sont point tous perdus et peut-être un jour la chambre de la reine pourra-t-elle être remise dans son ancien état. Mais, en attendant, c'est une excellente pensée de substituer à des peintures noires et monotones les éclatantes tapisseries des Gobelins. Nous y gagnerons d'avoir sous les yeux une suite de chefs-d'œuvre dont les tons s'harmoniseront à merveille avec les ors des plafonds...

ANDRÉ HALLAYS.

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Le Grand Appartement Lettre de Mme de Sévigné à Mm de Grignan.

A Paris, mercredi 29 juillet 1676. Je fus samedi à Versailles avec les Villars:

Louis XIV, médaillon de PuGet.

voici comme cela va. Vous connaissez la toi lette de la reine, la messe, le diner; mais il n'est plus besoin de se faire étouffer, pen.

Marie-Thérèse d'Autriche, femme de Louis XIV

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ces et de princesses, Mme de Montespan, toute sa suite, tous les courtisans, toutes les dames, enfin ce qui s'appelle la Cour de France, se trouve dans ce bel appartement du roi que vous connaissez. Tout est meublé divinement, tout est magnifique. On ne sait ce que c'est que d'y avoir chaud; on passe d'un lieu à l'autre sans faire la presse nulle part. Un jeu de reversi donne la forme, et fixe tout. Le roi est auprès de Mme de Montespan, qui tient la carte; Monsieur, la reine, et Mme de Soubise; Dangeau et compagnie; Langlée et compagnie; mille louis sont répandus sur le tapis il n'y a point d'autres jetons. Je voyais jouer Dangeau, et j'admirais combien nous sommes sots au jeu auprès de lui. II ne songe qu'à son affaire, et gagne où les autres perdent; il ne néglige rien, il profite de tout, il n'est point distrait; en un mot, sa bonne conduite défie la fortune aussi les deux cent mille francs en dix jours, les cent mille écus en un mois, tout cela se met sur le livre de sa recette. Il dit que je prenais part à son jeu; de sorte que je fus assise très agréablement et très commodément. Je saluai le roi, ainsi que vous me l'avez appris; il me rendit mon salut, comme si j'avais été jeune et belle. La reine me parla aussi longtemps de ma maladie que si c'eût été une couche. Elle me dit encore quelques mots de vous. M. le duc me fit mille de ces caresses à quoi il ne pense pas. Le maréchal de Lorges m'attaqua sous le nom de cheva

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et

un

lier de Grignan, enfin tutti quanti. Vous savez ce que c'est que de recevoir un mot de tout ce que l'on trouve en son chemin. Mme de Montespan me parla de Bourbon; elle me pria de lui conter Vichy, et comment je m'en étais trouvée; elle me dit que Bourbon, au lieu de guérir un genou, lui a fait mal aux deux. Je lui trouvai le dos bien plat, comme disait la maréchale de La Meilleraie; mais sérieusement, c'est une chose surprenante que sa beauté; sa taille n'est pas la moitié si grosse qu'elle était, sans que son teint, ni ses yeux, ni ses lèvres, en soient moins bien. Elle était tout habillée de point de France; coiffée de mille boucles; les deux des tempes lui tombent fort bas sur les joues; des rubans noirs sur sa tête, des perles de la maréchale de L'Hôpital, embellies de boucles et de pendeloques de diamants de la dernière beauté, trois ou quatre poinçons, point de coiffe, en mot, une triomphante beauté à faire admirer à tous les ambassadeurs. On a su qu'on se plaignait qu'elle empêchait toute la France de voir le roi; elle l'a redonné, comme vous voyez; Vous ne sauriez croire la joie que tout le monde en a, ni de quelle beauté cela rend la Cour. Cette agréable confusion, sans confusion, de tout, ce qu'il y a de plus choisi dure depuis trois heures jusqu'à six. S'il vient des courriers, le roi se retire un moment pour lire ses lettres, et puis revient. Il y a toujours quelque musique qu'il écoute, et qui fait un très bon effet. Il cause avec les dames qui ont accoutumé d'avoir cet honneur. Enfin, on quitte le jeu à six heures; on n'a point du tout de peine à faire les comptes; il n'y a point de jetons ni de marques; les poules sont au moins de cinq, six ou sept cents louis, les grosses de mille, de douze cents. On en met d'abord vingt-cinq chacun, c'est cent; et puis celui qui fait en met dix. On donne chacun quatre louis à celui qui a le quinola; on passe; et quand on fait jouer, et qu'on ne prend pas la poule, on en met seize à la poule, pour apprendre à jouer mal à propos. On parle sans cesse, et rien ne demeure sur le cœur. Combien avez-vous de cœurs? J'en ai deux, j'en ai trois, j'en ai un, j'en ai quatre : il n'en a donc que trois, que quatre. Et Dangeau est ravi de tout ce caquet: il découvre le jeu, il tire ses conséquences, il voit à qui il a affaire; enfin, j'étais fort aise de voir cet excès d'habileté. Vraiment, c'est bien lui qui sait le dessous des cartes, car il sait toutes les autres couleurs. On monte donc à six heures en calèche, le roi, Mme de Montespan, Monsieur, Mme de Thianges et la bonne d'Heudicourt sur le strapontin, c'està-dire comme en paradis, ou dans la gloire de Niquée. Vous savez comme ces calèches sont faites; on ne se regarde point, on est tourné du même côté. La reine était dans une autre, avec les princesses, et, ensuite, tout le monde attroupé, selon sa fantaisie. On va sur le canal dans les gondoles, on y trouve

de la musique; on revient à dix heures, on trouve la comédie; minuit sonne, on fait media noche; voilà comme se passa le samedi. Mm* DE SÉVIGNÉ

Un Jugement de l'Époque

Nous avons trouvé piquant de reproduire cette page de Saint-Simon, qui prouvera, une fois de plus, combien la clairvoyance des contemporains est sujette à caution. On ne peut se tromper plus complètement que ne l'a fait Saint-Simon à propos de ce Versailles, admiré aujourd'hui du monde entier, et dont il médit à ce point qu'il déclare sérieusement « qu'on ne finirait point sur les défauts « monstrueux >> d'un palais si immense et si immensément cher >>.

Louis XIV abandonna Saint-Germain pour Versailles, le plus triste et le plus ingrat de tous les lieux, sans vue, sans bois, sans eau, sans terre, parce que tout y est sable mouvant ou marécage, sans air par conséquent, qui n'y peut être bon.

Il se plut à tyranniser la nature, à la dompter à force d'art et de trésors. Il y bâtit tout l'un après l'autre, sans dessein général : le beau et le vilain furent cousus ensemble, le vaste et l'étranglé. Son appartement et celui de la reine y ont les dernières incommodités, avec les vues de cabinets et tout ce qui est derrière les plus obscures, les plus enfermées, les plus puantes. Les jardins, dont la magnificence étonne, mais dont le plus léger usage rebute, sont d'aussi mauvais goût. On n'y est conduit dans la fraîcheur de l'ombre que par une vaste zone torride, au bout de laquelle il n'y a plus, où que ce soit, qu'à monter et à descendre; et avec la colline, qui est fort courte, se terminent les jardins. La recoupe y brûle les pieds; mais, sans cette recoupe, on y enfoncerait ici dans les sables, et là dans la plus noire fange. La violence qui y a été faite partout à la nature repousse et dégoûte malgré soi. L'abondance des eaux forcées et ramassées de toutes parts les rend vertes, épaisses, bourbeuses; elles répandent une humidité malsaine et sensible, une odeur qui l'est encore plus. Leurs effets, qu'il faut pourtant beaucoup ménager, sont incomparables; mais, de ce tout, il résulte qu'on admire et qu'on fuit. Du côté de la cour, l'étranglé suffoque, et ces vastes ailes s'enfuient sans tenir à rien. Du côté des jardins, on jouit de la beauté du tout ensemble, mais on croit voir un palais qui a été brûlé, où le dernier étage et les toits manquent encore. La chapelle qui l'écrase, parce que Mansart voulait engager le roi à élever le tout d'un étage, a de partout la triste représentation d'un immense catafalque. La main-d'œuvre y est exquise en tous genres, l'ordonnance nulle, tout y a été fait pour la tribune, parce que le

roi n'allait guère en bas, et celles des côtés sont inaccessibles par l'unique défilé qui conduit à chacune. On ne finirait point sur les défauts monstrueux d'un palais si immense et si immensément cher, avec ses accompagnements, qui le sont encore davantage : orangerie, potagers, chenils, grande et petite écuries pareilles, commun prodigieux; enfin, une ville entière où il n'y avait qu'un très misérable cabaret, un moulin à vent, et ce petit château de cartes que Louis XIII y avait fait pour n'y plus coucher sur la paille, qui n'était que la contenance étroite et basse autour de la cour de marbre, qui en faisait la cour, et dont le bâtiment du fond n'avait que deux courtes et petites ailes. Mon père l'a vu, et y a couché maintes fois. Encore ce Versailles

de Louis XIV, ce chef-d'œuvre si ruineux et de si mauvais goût, et où les changements entiers des bassins et de bosquets ont enterré tant d'or qui ne peut paraître, n'a-t-il pu être achevé.

Parmi tant de salons entassés l'un sur l'autre, il n'y a ni salle de comédie, ni salle à banquets, ni de bal; et, devant et derrière, il reste beaucoup à faire. Les parcs et les avenues, tous en plants, ne peuvent venir. En gibier, il faut y en jeter sans cesse; en ri goles de quatre et cinq lieues de cours, elles sont sans nombre; en murailles, enfin, qui, par leur immense contour, enferment comme une petite province du plus triste et du plus vilain pays du monde.

SAINT-SIMON.

La Cour à Versailles

Une Jeune Reine à Versailles

MARIE LECZINSKA

Nous empruntons aux beaux ouvrages de M.de Nolhac les chapitres qui suivent. M. de Nolhac a consacré à Louis XV, Mme de Pompadour, Marie-Antoinette Dauphine, Marie-Antoinette, etc., des livres où il a versé toute son éru. dition d'historien, toute son émotion de poète. Nos étudiantes prendront, à lire ces courts fragments, un vif plaisir; ils compléteront l'admirable leçon qui leur fut faite à Versailles.

Le roi Louis XV arriva à Versailles le 1er décembre, avec la reine. Il était nuit quand les lourds carrosses dorés s'arrêtèrent dans la cour royale. On monta aux appartements par l'escalier des Ambassadeurs, illuminé comme aux plus beaux jours de Louis XIV, dans tout l'éclat de ses marbres, de ses bronzes, de ses portes dorées, animé par ses nappes d'eaux jaillissantes, sous les fresques pompeuses de Le Brun enguirlandées de fleurs. C'était, aux yeux de la princesse qui franchissait le seuil de l'illustre palais, une première apothéose de cette monarchie qu'elle aspirait à perpétuer. L'apothéose se prolongeait dans l'enfilade étincelante et interminable des appartements et de la Galerie des Glaces. Partout la gloire du grand siècle français, l'image sculptée ou peinte du Grand Roi.

A travers ce décor de féerie, cent fois plus somptueux qu'elle ne l'avait rêvé, Marie Leczinska fut conduite à la vaste chambre, tendue de gobelins magnifiques, où devait s'écouler sa vie de reine, d'épouse et de mère. La duchesse de Bourgogne y avait mis au monde Louis XV. Presque rien n'avait changé depuis cette époque, et la jeune femme trouvait in

tact ce cadre noble et sévère de la royauté, qu'aucune élégance nouvelle n'égayait encore.

Dès le lendemain, la vie ordinaire de Versailles recommença, complétée par la présence féminine qui, depuis longtemps, y manquait. La religion eut d'abord sa place. C'était le premier dimanche de l'Avent, et la musique du roi chanta une messe solennelle; à l'entrée de la nef, les missionnaires de la congrégation des Lazaristes complimentèrent la reine. Le 3 décembre, il y eut Grand Appartement, concert dans le salon de Vénus, où l'on servit les fruits, confitures et glaces d'usage, et jeu dans la salle du Trône, où Leurs Majestés prirent couleur à la partie de lansquenet. Après le jeu, le roi reconduisit la reine dans son appartement, où ils soupèrent ensemble, à leur grand couvert, c'est-à-dire en public et toutes portes ouvertes. Le 4, la reine visita avec les princesses la Ménagerie, le petit château de la duchesse de Bourgogne, avec ses cours remplies d'animaux rares et ses volières d'oiseaux des Iles; et, à sept heures, le roi étant rentré de chasser au lièvre à Marly, on représenta sur le théâtre de la Cour la comédie du Misanthrope. Le 5, le roi chassa au sanglier à Saint-Germain, tint le conseil des finances, et vint au Grand Appartement. Le 6, il courut le cerf dans les bois de FausseRepose; au retour, il y eut conseil de conscience et le soir, comédie italienne. Le 7, le roi courut le daim au bois de Boulogne. Le 8, la reine fut à Saint-Cyr, visita la maison royale de Saint Louis et assista à tous les offices. Le 9, il y eut jeu dans son cabinet et souper au grand couvert. Le 10, le roi courut le cerf et soupa à son petit couvert chez la reine, servi par les dames et les femmes de chambre. La reine n'était point sortie, ayant pris médecine. Le lendemain, elle assista au

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