Et elle s'affaissa sur elle-même comme si elle se mourait. Il la prit, elle tombait, il la prit dans ses bras, il la serra étroitement sans avoir cons. cience de ce qu'il faisait. Il la soutenait tout en chancelant. Il était comme s'il avait la tête pleine de fumée; des éclairs lui passaient entre les cils; ses idées s'évanouissaient; il lui semblait qu'il accomplissait un acte reli gieux et qu'il commettait une profanation. Il était éperdu d'amour. Elle lui prit une main et la posa sur son cœur. Il sentit le papier qui y était, il balbutia : Il tomba sur le banc, elle près de lui. Ils n'avaient plus de paroles. Les étoiles commençaient à rayonner. Comment se fit-il qu'il prit un baiser? Comment se fait-il que l'oiseau chante, que la neige fonde, que la rose s'ouvre, que mai s'épanouisse, que l'aube blanchisse derrière les arbres noirs au sommet frissonnant des collines? Un baiser, et ce fut tout. Tous deux, alors, se regardèrent dans l'ombre avec des yeux éclatants. Ils ne sentaient ni la nuit fraîche, ni la pierre froide, ni la terre humide, ni l'herbe mouillée, ils se regardaient et ils avaient le cœur plein de pensées Elle ne lui demandait pas, elle n'y songeait pas même, par où il était entré et comment il avait pénétré dans le jardin. Cela lui paraissait si simple, qu'il fût là! De temps en temps, la main de Marius touchait la main de Cosette, et tous deux frémissaient. Par intervalles, Cosette bégayait une parole. Son âme tremblait à ses lèvres. comme goutte de rosée à une fieur. une Peu à peu, ils se parlèrent. L'épanchement succéda au silence qui est la plénitude. La nuit était sereine et splendide au-dessus de leur tête. Ces deux êtres, purs comme des esprits, se dirent tout: leurs songes, leurs ivres. ses, leurs extases, leurs chimères, leurs dé faillances, comme ils s'étaient adorés de loin, comme ils s'étaient souhaités, leur désespoir quand ils avaient cessé de s'apercevoir. Ils se confièrent dans une intimité idéale, què rien déjà ne pouvait plus accroître, ce qu'ils avaient de plus caché et de plus mystérieux. Ils se racontèrent, avec une foi candide dans leurs illusions, tout ce que l'amour, la jeu. nesse et ce reste d'enfance qu'ils avaient leur mettaient dans la pensée. Ces deux cœurs se versèrent l'un dans l'autre, de sorte qu'au bout d'une heure, c'était le jeune homme qui avait l'âme de la jeune fille et la jeune fille Victor Hugo sous la Restauration Louis XVIII continue de protéger le jeune poète royaliste à qui il dit, un jour : Les deux poètes que je préfère dans mon royaume, c'est vous et M. Désaugiers. Charles X l'invite à son sacre et le décore le même jour que Lamartine. Le général Hugo avait, jadis, assuré que, si l'enfant était de l'opinion de la mère, l'homme fait serait de l'opinion du père. La prédiction ne devait plus tarder à s'accomplir. En 1827, Victor Hugo apprend qu'un scandale a eu lieu à l'ambassade d'Autriche, où les huissiers ont annoncé successivement le maréchal Soult et le maréchal Macdonald au lieu de les nommer par leurs titres I duc de Dalmatie et duc de Tarente qui rappelaient des victoires impériales. Et il écrit, à la grande colère des royalistes purs, l'Ode à la Colonne, où, pourtant, il dit encore: Au bronze de Henri mon orgueil te marie. Car, ni alors ni jamais il ne voudra renier aucune des gloires de l'histoire de France; et lorsque, venu depuis longtemps à la République, il chantera une dernière fois le monument de la place Vendôme, ce sera pour flétrir avec indignation, en 1871, les communards qui l'ont abattue. En 1829, il publie les Orientales et le Dernier Jour d'un Condamné. A la demande de Talma, il commence un Cromwell qui ne sera jamais représenté, mais que rendra célèbre une retentissante préface. Son drame, Marion Delorme, est reçu à la Comédie-Française. La censure l'interdit pour des raisons politiques. Hugo s'adresse alors directement au roi Charles X, qui maintient l'interdiction, mais, au lendemain de la visite du poète, lui fait offrir une pension de quatre mille francs. Victor Hugo est toujours sans fortune, il a trois enfants Léopoldine, Charles et François-Victor; il n'en refuse pas moins, par dignité, la compensation offerte. C'est la seconde fois déjà que nous le voyons mettre les richesses morales au-dessus de l'argent qui l'affranchirait des plus pressantes nécessités. Cela n'empê 1830, il lui restait, en tout, cinquante francs au fond d'un tiroir. Vous raconterai-je, mesdemoiselles, cette première représentation fameuse qui fit triompher le Romantisme au théâtre? les échanges de trognons de choux et d'injures entre les vieux classiques chauves qui s'entendent qualifier de « genoux » ou de « perruques », par les romantiques chevelus, lesquels s'entendent, à leur tour, appeler «buveurs de sang »>, parce qu'ils ont des voix terribles et qu'ils portent des gilets rouges? (Rires.) Vous rappellerai-je que les uns et les autres ayant cru entendre qu'Hernani disait à Ruy Gomez: « Vieil as de pique, il l'aime! »>, au lieu de < vieillard stupide » (Hilarité.), tous les spectateurs furent transportés, les uns d'admiration, les autres d'indignation? Mais le temps me manque et je vois tourner avec effroi les aiguilles de la pendule! Il faut aller vite, l'on portera au Panthéon les victimes des trois journées révolutionnaires de juillet, composera cet Hymne, que Mile Delvair va interpréter, en y faisant passer son souffle tragique : HYMNE Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie La voix d'un peuple entier les berce en leur tombeau. Gloire à notre France éternelle ! C'est pour ces morts, dont l'ombre est ici bienvenue, Que le soleil levant redore tous les jours! Et qui mourront comme ils sont morts! Ainsi, quand de tels morts sont couchés dans la tombe, Fait luire leur mémoire et redore leur noms! De 1830 à 1843, le poète donne les Feuilles d'Automne, les Chants du Crépuscule, les Voix Intérieures, les Rayons et les Ombres; le romancier publie Notre-Dame de Paris; le dramaturge fait représenter Lucrèce Borgia, Marie Tudor, Angelo, Ruy Blas, les Burgraves. En 1841, il entre à l'Académie, après trois échecs et avec deux pauvres voix de majorité, en remplacement de ce Népomucène Lemercier qui s'était écrié jadis : Avec impunité les Hugo font des vers!! En 1843, il est nommé pair de France, et l'un de ses premiers discours à la Chambre des pairs est pour demander, et pour obtenir, que les Bonaparte soient rappelés d'exil. La Mort de Léopoldine En cette année 1843, un grand malheur frappe le poète. Il perd sa fille Léopoldine, qui venait d'épouser Charles Vacquerie. Le jeune couple, pendant son voyage de noces, s'était arrêté à Villequier, en Normandie, non loin de l'embouchure de la Seine. Une vague fit chavirer la barque sur laquelle ils étaient en promenade. Léopoldine se noya la première, Charles se laissa couler pour la suivre : Oh! quelle sombre joie à cet être charmant La pauvre âme a souri dans l'angoisse en sentant, Leurs âmes se parlaient sous les vagues rumeurs. Et, les bras enlacés, doux couple frissonnant, (Vifs applaudissements.) Ce sont deux des strophes que Victor Hugo chante sur le cercueil de Charles Vacquerie. On les trouvera dans le second volume des Contemplations, parmi les poèmes consacrés à la mémoire de Léopoldine, et dont la plus belle, A Villequier, l'un des plus sublimes cantiques de douleur qu'un homme ait jamais exhaié depuis les plaintes de Job ou les lamentations du Psalmiste, va vous être lue, avec tout son talent et tout son cœur, par M. Leitner : A VILLEQUIER Maintenant que Paris, ses pavés et ses marbres. Maintenant que du deuil qui m'a fait l'âme obscure Et que je sens la paix de la grande nature Maintenant que je puis, assis au bord des ondes, Et regarder les fleurs qui sont dans le gazon; Maintenant, ô mon Dieu! que j'ai ce calme sombre Maintenant qu'attendri par ces divins spectacles, Je viens à vous, Seigneur, père auquel il faut croire ; Les morceaux de ce cœur tout plein de votre gloire Que vous avez brisé; Je viens à vous, Seigneur! confessant que vous êtes Bon, clément, indulgent et doux, ô Dieu vivant! Je conviens que vous seul savez ce que vous faites, Et que l'homme n'est rien qu'un jonc qui tremble au [vent; Je dis que le tombeau qui sur les morts se ferme Et que ce qu'ici-bas nous prenons pour le terme Je conviens à genoux que vous seul, père auguste, Possédez l'infini, le réel, l'absolu; Je conviens qu'il est bon, je conviens qu'il est juste Que mon cœur ait saigné, puisque Dieu l'a voulu! Je ne résiste plus à tout ce qui m'arrive Par votre volonté. L'âme de deuils en deuils, l'homme de rive en rive, Roule à l'éternité. Nous ne voyons jamais qu'un seul côté des choses; Vous faites revenir toujours la solitude Dès qu'il possède un bien, le sort le lui retire. Il doit voir peu de temps tout ce que ses yeux voient; Puisque ces choses sont, c'est qu'il faut qu'elles soient; J'en conviens, j'en conviens! Le monde est sombre, ô Dieu! l'immuable harmonie Se compose des pleurs aussi bien que des chants; L'homme n'est qu'un atome en cette ombre infinie, Nuit où montent les bons, où tombent les méchants. Je sais que vous avez bien autre chose à faire Que de nous plaindre tous, Et qu'un enfant qui meurt, désespoir de sa mère, Je sais que le fruit tombe au vent qui le secoue, Qui ne peut se mouvoir sans écraser quelqu'un; Les mois, les jours, les flots des mers, les yeux qui Passent sous le ciel bleu; [pleurent, Il faut que l'herbe pousse et que les enfants meurent; Dans vos cieux, au delà de la sphère des nues, Où la douleur de l'homme entre comme élément. Peut-être est-il utile à vos desseins sans nombre Que des êtres charmants S'en aillent, emportés par le tourbillon sombre Nos destins ténébreux vont sous des lois immenses Je vous supplie, ô Dieu! de regarder mon âme, Qu'humble comme un enfant et doux comme une Considérez encor que j'avais, dès l'aurore, Que j'avais, affrontant la haine et la colère, Que je ne pouvais pas m'attendre à ce salaire, Prévoir que, vous aussi, sur ma tête qui ploie, Qu'une âme ainsi frappée à se plaindre est sujette, Que j'ai pu blasphemer, Et vous jeter mes cris comme un enfant qui jette Une pierre à la mer ! Considérez qu'on doute, ô mon Dieu! quand on souffre, Et qu'il ne se peut pas que l'homme, lorsqu'il sombre Ait présente à l'esprit la sérénité sombre Aujourd'hui, moi qui fus faible comme une mère, Seigneur, je reconnais que l'homme est en délire Je cesse d'accuser, je cesse de maudire, Hélas! laissez les pleurs couler de ma paupière, Comme si, dans sa nuit, rouvrant ses yeux célestes, Hélas! vers le passé, tournant un ceil d'envie, Je verrai cet instant jusqu'à ce que je meure, Où je criai: « L'enfant que j'avais tout à l'heure, Ne vous irritez pas que je sois de la sorte, O mon Dieu ! cette plaie a si longtemps saigné ! Ne vous irritez pas ! fronts que le deuil réclame, Il nous est malaisé de retirer notre âme De ces grandes douleurs. Voyez-vous, nos enfants nous sont bien nécessaires, Apparaître un enfant, tête chère et sacrée, Si beau, qu'on a cru voir s'ouvrir à son entrée Quand on a vu, seize ans, de cet autre soi-même Que c'est la seule joie ici-bas qui persiste Considérez que c'est une chose bien triste (Tonnerre d'applaudissements.) La République et l'Exil Victor Hugo. En 1832, Victor Hugo écrivait à SainteBeuve : << Nous aurons, un jour, une République. Mais ne cueillons pas en mai le fruit qui ne sera mûr qu'en août. Sachons attendre. La République, proclamée par la France en Europe, ce sera la couronne de nos cheveux blancs. >> Très affectueusement attaché à Louis-Philippe et à sa famille, le poète n'avait point travaillé, en 1848, à l'avènement de la République. Sans doute, il ne la croyait point mûre encore. Pendant que Lamartine, qui l'a fait mûrir, monte, pour quelques mois, à rapproche du prince Louis Bonaparte, dont les idées humanitaires l'attirent aussi, mais dont il ne soupçonne point les secrètes ambitions. C'est donc lui qu'il soutiendra lors des élections pour la présidence de la République, en combattant la candidature du général Cavaignac. Comment se méfierait-il? Le prince n'a pas dédaigné d'aller lui rendre visite rue de la Tour-d'Auvergne, pour lui expliquer qu'il rêve d'être Washington et non pas Napoléon. Aussi Victor Hugo n'est-il point surpris que Louis Bonaparte, élu président, prête serment à la Constitution, où il est dit que toute mesure par laquelle le président de la République dissout l'Assemblée nationale est un crime de haute trahison, et que, par ce seul fait, les citoyens sont tenus de lui refuser obéissance, Et il est plus rassuré encore quand le prince ajoute, après la prestation du serment : « Mon devoir est tracé. Je le remplirai en |