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homme d'honneur. Je verrai des ennemis de la patrie dans tous ceux qui tenteraient 'de changer, par des voies illégales, ce que la France entière a établi. »

Deux ans après, le 2 décembre 1851, les représentants hostiles étaient arrêtés dans la nuit, et l'Assemblée nationale était dissoute. Victor Hugo, avec quelques députés laissés libres, et restés fidèles à leur mandat, tels que Schoelcher et Baudin, essaie en vain de soulever le peuple de Paris: les soulèvements ne sont que partiels et l'on en a vite raison par d'impitoyables massacres. Après, ce sont les exécutions sommaires, les jugements des Commissions mixtes, les déportations à Lambessa ou à Cayenne, l'exil pour les plus heureux. Victor Hugo, proscrit, se réfugie d'abord à Bruxelles, d'où il lance son pamphlet: Napoléon le Petit. La Chambre belge vote une loi, la loi Faider, qui permet de chasser le poète. Il passe à Jersey, dont les autorités l'expulsent encore. C'est là qu'il a écrit ces vers célèbres :

Quand même nous serions comme la feuille morte,
Quand, pour plaire à César, on nous renierait tous,
Quand le proscrit devrait s'enfuir de porte en porte,
Aux hommes déchiré comme un haillon aux clous;

Quand le désert, où Dieu contre l'homme proteste,
Bannirait les bannis, chasserait les chassés ;
Quand même, infâme aussi, lâche comme le resle,
Le tombeau jetterait dehors les trépassés;

Je ne fléchirai pas! Sans plainte dans la bouche,
Calme, le deuil au cœur, dédaignant le troupeau,
Je vous embrasserai dans mon exil farouche,
Patrie, ô mon autel! liberté, mon drapeau!...

Devant les trahisons et les têtes courbées,
Je croiserai les bras, indigné, mais serein.
Sombre fidélité pour les choses tombées,
Sois ma force et ma joie et mon pilier d'airain !...
J'accepte l'apre exil, n'eût-il ni fin ni terme,
Sans chercher à savoir et sans considérer
Si quelqu'un a plié qu'on aurait cru plus ferme,
Et si plusieurs s'en vont qui devraient demeurer.

Si l'on n'est plus que mille, eh bien! j'en suis! Si même
Ils ne sont plus que cent, je brave encor Sylla;
S'il en demeure dix, je serai le dixième,
Et, s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là!

Dans les Châtiments, où ces vers se trouvent, il y a, certes, bien des injustices, de grossières et inutiles injures; mais il y en avait sans doute aussi dans Isaïe et dans Ezéchiel. Les princes et les papes que Dante met dans son Enfer n'avaient peut-être pas tous

mérité d'y être. Ronsard n'est pas toujours juste pour les huguenots, dans son Discours des Misères, ni d'Aubigné pour les ligueurs, dans ses Tragiques... Mais tous, à quelque parti qu'ils aient appartenu, n'ont obéi qu'à une inspiration bien supérieure à tous les conseils des partis. C'est de leur magnanimité, non de leurs opinions, que sont faits leurs chefs-d'œuvre. Et, dès que l'on peut prendre un peu de recul, on oublie, tout en bas, les erreurs des jugements pour ne plus communier, tout en haut, qu'avec la sublimité des consciences.

Laissons donc de côté toute politique pour jouir pleinement d'une page foudroyante, telle que Sacer Esto! (Sois sacré!), l'une des plus caractéristiques des Châtiments, que M. Leitner va vous dire :

SACER ESTO

Non, liberté! non, peuple, il ne faut pas qu'il meure!
Oh! certes, ce serait trop simple, en vérité,
Qu'après avoir brisé les lois, et sonné l'heure
Où la sainte pudeur au ciel a remonté;

Qu'après avoir gagné sa sanglante gageure,
Et vaincu par l'embûche, et le glaive et le feu ;
Qu'après son guet-apens, ses meurtres, son parjure,
Son faux serment, soufflet sur la face de Dieu;

Qu'après avoir traîné la France, au cœur frappée,
Et par les pieds liée, à son immonde char,
Cet infâme en fût quilte avec un coup d'épée
Au cou comme Pompée, au flanc comme César !
Non! il est l'assassin qui rôde dans les plaines.
Il a tué, sabré, mitraillé sans remords,
Il fit la maison vide, il fit les tombes pleines,
Il marche, il va, suivi par l'œil fixe des morts.

A cause de cet homme, empereur éphémère,
Le fils n'a plus de père et l'enfant plus d'espoir,
La veuve à genoux pleure et sanglote, et la mère
N'est plus qu'un spectre assis sous un long voile noir.

Pour filer ses habits royaux, sur les navettes
On met du fil trempé dans le sang qui coula;
Le boulevard Montmartre a fourni ses cuvettes,
Et l'on teint son manteau dans cette pourpre-là.

Il vous jette à Cayenne, à l'Afrique, aux sentines,
Martyrs, héros d'hier et forçats d'aujourd'hui !
Le couteau ruisselant des rouges guillotines
Laisse tomber le sang goutte à goutte sur lui;

Lorsque la trahison, sa complice livide,
Vient et frappe à sa porte, il fait signe d'ouvrir
Il est le fratricide ! il est le parricide!
Peuples, c'est pour cela qu'il ne doit pas mourir !

Gardons l'homme vivant. Oh! châtiment superbe!
Oh! s'il pouvait un jour passer par le chemin,
Nu, courbé, frissonnant, comme au vent tremble
Sous l exécration de tout le genre humain! [l'herbe,

Etreint par son passé tout rempli de ses crimes,
Comme par un carcan tout hérissé de clous,
Cherchant les lieux profonds, les forêts, les abîmes,
Påle, horrible, effaré, reconnu par les loups;

Dans quelque bagne vil, n'entendant que sa chaîne, Seul, toujours seul, parlant en vain aux rochers Voyant autour de lui le silence et la haine, [sourds, Des hommes nulle part et des spectres toujours;

Vieillissant, rejeté par la mort comme indigne, Tremblant sous la nuit noire, affreux sous le ciel bleu... Peuples, écartez-vous ! cet homme porte un signe; Laissez passer Caïn! il appartient à Dieu.

A Guernesey

Victor Hugo.

C'est à Guernesey, à Hauteville-House, qu'il plante enfin sa tente pour les dix-sept ans d'exil qui restent à courir. Là, dans la solitude, dans la continuelle présence des flots, son génie s'exalte et s'amplifie encore. Il devient chaque jour plus religieux, plus visionnaire. Avant l'exil, Victor Hugo était un Foète littéraire plein de génie. Pendant l'exil, il devient un inspiré primitif, une sorte de mage en communication directe avec le mystère des éléments et de l'esprit qui les agite.

C'est de Guernesey que sortent les Contemplations, la Légende des Siècles, les Misérables. C'est là encore qu'il compose ces livres destinés à ne paraître qu'après sa mort : la Fin de Satan, Dieu, Religion et Religions, Toute la Lyre.

A force de vivre, loin des événements et des hommes, dans cette sorte d'état prophétique, il en arrive à perdre, parfois, le sens des réalités. Il se laisse envahir par l'utopie. Ainsi, à force de lancer des encycliques, de répondre aux appels des peuples, ou d'intercéder auprès des rois, il s'aveugle sur l'avenir prochain du monde. Il dira aux membres du Congrès de la Paix, tenu à Lausanne :

- Voulez-vous supprimer la guerre, supprimez les armées.

En tête du Paris-Guide, publié en 1867, Four l'Exposition universelle, il écrit:

<< Le roi de Prusse est grand. C'est à peu près un César. Il est en passe d'être empereur d'Allemagne. Mais Paris sourira: le rire de Paris est un obstacle. >>

Et, plus loin:

« Les énormes boulets d'acier que lancent

les canons, titans fabriqués en Prusse, sont juste aussi efficaces contre le progrès que les bulles de savon soufflées au bout d'un chalumeau de paille par la bouche d'un enfant. »

Et, le 14 juillet 1870, il plante, aux accents d'une ode magnifique, le chêne des EtatsUnis d'Europe. Le 18 juillet, quatre jours après, la guerre est déclarée. Il se réveille, il s'écrie:

France, être sur la claie à l'heure où l'on te traîne
Aux cheveux,

O ma mère et porter mon anneau de ta chaîne,
Je le veux!
J'accours, puisque sur toi la bombe et la mitraille
Ont craché.

Tu me regarderas debout sur ta muraille
Ou couché.

Et peut-être, en ta terre où brille l'espérance,
Pur flambeau,
Pour prix de mon exil, tu m'accorderas, France,
Un tombeau.

L'Année Terrible

Après la chute de l'Empire, il rentre à -Paris. Pendant les nuits du siège, il écrit, sous la dictée des espérances et des catastrophes, des pitiés ou des colères, ces pages de l'Année Terrible, qui forment le plus beau poème épique de la langue française, et qu'il faudrait plus que jamais faire lire et relire aux générations nouvelles.

Un jour, on a récité en public les vers du maître; avec l'or quêté dans un casque on achète du bronze pour un canon qui s'appellera le Victor-Hugo, et c'est le poète même dont la plume raillait naguère les canons de la Prusse qui consacrera celui-ci par une bénédiction sublime :

Ecoute-moi, ton tour viendra d'être écouté.
O canon, ô tonnerre, ô guerrier redouté,
Dragon plein de colère et d'ombre, dont la bouche
Mêle aux rugissements une flamme farouche,
Pesant colosse auquel s'amalgame l'éclair,
Toi qui disperseras l'aveugle mort dans l'air,
Je te bénis. Tu vas défendre cette ville.
O canon, scis muet dans la guerre civile,
Mais veille du côté de l'étranger. Hier,
Tu sortis de la forge, épouvantable et fier ;...
La lutte nous attend; viens, ô mon fils étrange,
Doublons-nous l'un par l'autre, et faisons un échange,
Et mets, ô noir vengeur, combattant souverain,
Ton bronze dans mon cœur, mon âme en ton airain!

Quel poème entier de ce livre vous feraije entendre? Non pas un des plus puissants,

mais, pour écarter de vous trop de sévères pensées, l'un des plus charmants et des plus tendres, celui où l'aïeul, penché sur un berceau, a versé son âme, le poème A Petite Jeanne, que va lire Mile Taillade.

A PETITE JEANNE

Vous eûtes donc, hier, un an, ma bien-aimée.
Contente, vous jasez, comme, sous la ramée,
Au fond du nid plus tiède ouvrant de vagues yeux,
Les oiseaux nouveau-nés gazouillent, tout joyeux
De sentir qu'il commence à leur pousser des plumes.
Jeanne, ta bouche est rose; et dans les gros volumes
Dont les images font ta joie, et que je dois,
Pour te plaire, laisser chiffonner par tes doigts,
On trouve de beaux vers, mais pas un qui te vaille
Quand tout ton petit corps en me voyant tressaille,
Les plus fameux auteurs n'ont rien écrit de mieux
Que la pensée éclose à demi dans tes yeux,
Et que ta rêverie obscure, éparse, étrange,
Regardant l'homme avec l'ignorance de l'ange.
Jeanne, Dieu n'est pas loin puisque vous êtes là.

Ah! vous avez un an, c'est un âge, cela!
Vous êtes, par moments, grave, quoique ravie;
Vous êtes à l'instant céleste de la vie

Où l'homme n'a pas d'ombre, où, dans ses bras ouverts,
Quand il tient ses parents, l'enfant tient l'univers;
Votre jeune âme vit, songe, rit, pleure, espère
D'Alice votre mère à Charles votre père;
Tout l'horizon que peut contenir votre esprit
Va d'elle qui vous berce à lui qui vous sourit;
Ces deux êtres pour vous, à cette heure première,
Sont toute la caresse et toute la lumière;

Eux deux, eux seuls, ô Jeanne; et c'est juste; et je suis,
Et j'existe, humble aïeul, parce que je vous suis;
Et vous venez, et moi je m'en vais; et j'adore,
N'ayant droit qu'à la nuit, votre droit à l'aurore.
Votre blond frère George et vous, vous suffisez
A mon âme, et je vois vos jeux, et c'est assez ;
Et je ne veux, après mes épreuves sans nombre,
Qu'un tombeau sur lequel se découpera l'ombre
De vos berceaux dorés par le soleil levant.

Ah! nouvelle venue innocente, et rêvant,
Vous avez pris pour naître une heure singulière;
Vous êtes, Jeanne, avec les terreurs familière;
Vous souriez devant tout un monde aux abois;
Vous faites votre bruit d'abeille dans les bois,
O Jeanne, et vous mêlez votre charmant murmure
Au grand Paris faisant sonner sa grande armure.
Ah! quand je vous entends, Jeanne, et quand je vous
Chanter, et, me parlant avec votre humble voix, [vois
Tendre vos douces mains au-dessus de nos têtes,
Il me semble que l'ombre où grondent les tempêtes
Tremble et s'éloigne avec des rugissements sourds,
Et que Dieu fait donner à la ville aux cent tours,

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naissance, les écrivains et les savants les plus illustres de l'Europe, des souverains même, lui offrent leurs hommages, et cinq cent mille personnes défilent devant la petite maison de l'avenue d'Eylau, où le poète reste des heures, debout à la fenêtre, tête nue, les larmes aux yeux, recueillant les cris d'enthousiasme et les baisers de la foule.

Le 25 mai 1885, il s'éteint doucement. Le peuple de Paris, comme l'armée des Grecs pour Achille, met douze jours à préparer ses funérailles; et, avant d'être porté au Panthéon, son cercueil est exposé sous l'Arc de Triomphe, où flotte un immense voile noir, sous cet Arc de Triomphe qu'il a chanté en

prose, mesdemoiselles, plus que six vers, qui me furent demandés autrefois et que vous retrouverez dans une vitrine du musée Victor Hugo, écrits sous un portrait du maître :

Ivre de Dieu, penché sur la nature et l'homme,
Il fut celui qui voit, qui dénombre et qui nomme;
Et les sept cordes d'or vibraient aux quatre vents.
Puis, il mourut... Mais non, en strophes condensée,
Sa pensée à jamais emplit notre pensée,

Et c'est par de tels morts que vivent les vivants.
(Applaudissements enthousiastes. Ovation.)

AUGUSTE DORCHAIN.

(Conférence sténographiée.)

Série D

HISTOIRE

Jeudi, 25 April

LOUIS XVII

Conférence de M. G. LENOTRE

Mesdemoiselles, mesdames, messieurs,

Je suis fort embarrassé.

Je n'ai qu'une heure pour vous exposer un problème dont je n'ai pas trouvé la solution, quoique j'y travaille depuis bien des années. Je ne vous en dirai pas le nombre, pour ne pas vous sembler trop vieux. (Rires.)

Vous savez tous que Louis XVI et sa famille furent, au mois d'août 1792, emprisonnés à la Tour du Temple. Le petit dauphin, fils du roi, avait, à cette époque, sept ans et quatre mois. Le roi, Mm: Elisabeth, sa sœur, la reine Marie-Antoinette, périrent sur l'échafaud. Le dauphin, isolé de sa sœur survivante, mourut dans son cachot, assure l'histoire, le 8 juin 1795. Est-ce vrai?

Le dauphin est-il mort au Temple? Ne réussit-on pas à le faire évader? S'il fut sauvé, que devint-il après sa sortie de prison? C'est là ce que l'on appelle la « question Louis XVII »>.

Ne vous attendez pas, je vous le répète, à ce que je vous en apporte ici la solution. Je souhaite seulement de vous mettre à même de suivre désormais, si vous en avez le goût, - et du temps à perdre, les publications nombreuses qui traitent de ce problème, et surtout de vous mettre en garde contre les historiens qui prennent trop facilement leurs convictions pour des preuves, qui proclament avec obstination que la question Louis XVII est résolue et qu'il faut être ou aveugle ou de mauvaise foi, pour ne pas se ranger à leur opinion. Ce n'est pas vrai. La question Louis XVII n'est pas résolue. Le sera-t-elle un jour? Je n'en sais rien; je vous assure que quelques chercheurs bien rares y travaillent avec autant d'ardeur que de bonne foi et d'impartialité.

Là-dessus, je commence par quelques dates : Le dauphin entra au Temple avec ses parents, le 13 août 1792. La Tour du Temple était un antique et colossal donjon abandonné, planté au milieu des jardins du palais moderne

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ments, démolitions; on abattait toutes les maisons voisines de la prison et on l'isolait du palais du Temple au moyen d'un quadrilatère de hautes murailles qui ne furent terminées qu'en octobre. A cette date seulement, la famille royale s'installa dans la grande Tour. On logea le roi et le dauphin au second étage, avec le valet de chambre Cléry; le troisième étage fut réservé à l'habitation de la reine, de Mme Elisabeth et de Mme Royale; un vaste grenier, retenez bien ce grenier, sous les combles, servait de débarras. En

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