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orne de délicatesse ce qui est familier, unit la gravité de ce qui résiste à la séduction de ce qui plie et l'effusion des fortes passions aux notes légères du dialogue de Tibulle et de Délie.

Autant que les maîtres primitifs, le poète moderne paraît d'intelligence avec les choses. Pour lui, la montagne, la source, l'arbre, la prairie, le nuage, ont des paroles qu'il entend, des soupirs qu'il recueille, des plaintes auxquelles il s'unit, des prières qu'il répète, des élévations dont il s'inspire, et, volontiers, à la suite de l'adorable François d'Assise, il dirait au soleil : « Mon frère! » et aux hirondelles : « Mes sœurs! » La laideur seule lui échappe; les marais ne l'attirent pas, et il ne se complaît qu'aux étoiles, réelles aussi. Sa poésie, c'est l'émotion par le beau. Ne lui demandez pas le bel esprit des poètes citadins

cela sans efforts, par la grâce des spontanéités natives.

Quelle que soit la beauté des Méditations et celle des Harmonies publiées ensuite, de même que ces portiques imposants sous lesquels Raphaël distribue les groupes fameux des philosophes anciens, elles ne sont qu'une préparation, l'encadrement de la création capitale, de Jocelyn, chef-d'œuvre impérissable.

Le sacrifice dans sa perfection héroïque, long, obscur, se nourrissant en silence de ses âpretés, ignoré de ceux qui l'inspirent, accepté pour lui-même, avec l'aide de Dieu sans doute, non en vue d'obtenir ses récompenses: voilà la donnée du poème. Sacrifice, lorsque, ému encore de l'apparition des rêveuses jeunes filles sur les gazons nouvellement reverdis, l'adolescent quitte le monde afin d'assurer

à sa sœur l'or nécessaire à une union souhaitée; sacrifice, lorsque, frémissant encore des cantiques à deux voix jetés vers le bonheur, le lévite renonce à son ivresse afin de rompre le pain de la mort à l'évêque martyr. Le récit de ces renoncements est navrant, ce sont des gémissements plus que des récits; et, cependant, aucune monotonie ne les alanguit, tant est consommé l'art qui se cache sous l'apparente simplicité. Des contrastes délicatement gradués alternent avec des similitudes ravissantes, et, murmurant ou épanoui, endormi ou tourmenté, le paysage s'unit continuellement à l'action ainsi que l'orchestre à une mélopée lyrique.

Jocelyn est la légende des destinées brisées: et combien y a-t-il d'existences terrestres qui, par un côté du moins, n'aient été tranchées en leur fleur? Aussi la commisération ineffable que le poète répand sur les misères et les afflictions du pauvre sacrifié est-elle, en réalité, une commisération répandue sur les misères et les afflictions de la plupart d'entre nous. Par là, ce poème devient le livre de tous et achève le nom définitif de la poésie de Lamartine, qui est consolation. On console

en faisant descendre les pensées célestes ou en faisant monter les pensées tristes. L'auteur de Jocelyn console de cette seconde manière. Il ne heurte pas la douleur, il ne la rudoie pas; il la caresse, la berce avec des refrains attendris, puis la prend sur ses ailes, l'élève, et, par cela même, la dissipe. La lecture de René, de Childe-Harold, de Rolla, a-t-elle calmé la détresse de quelqu'un? Personne ne fermera Jocelyn sans se sentir meilleur, et, s'il souffre, moins désolé. S'adressant au Seigneur, le poète lui dit :

Tous ceux qui marchent sur la terre
Ont soif à quelque heure du jour;

Fais à leur lèvre desséchée
Jaillir de la source cachée

La goutte de paix et d'amour.

Tu l'as fait jaillir pour nous de la source cachée, ô poète, la goutte de paix et d'amour! Et, plus que l'enchantement de tes rimes, ce bienfait te conservera vivant parmi les hommes! Tu vivras dans leur mémoire aussi longtemps qu'il y aura une jeunesse, un printemps et des larmes! ÉMILE OLLIVIER.

Fragment de la Réponse de M. Émile Augier au Discours de réception de M. Émile Ollivier

L'Académie ne pouvait songer à remplacer Lamartine par un de ses pairs, le seul poète qui l'ait égalé parmi les vivants nous appartenant déjà depuis longtemps; elle a voulu, du moins, remplacer l'orateur par un orateur de la même famille, et le discours que nous venons d'entendre prouve qu'elle ne s'est pas trompée. Vous avez parlé de Lamartine avec une admiration émue, avec une piété qui suffirait à révéler la parenté de vos esprits. Je ne fais qu'un reproche à ce magnifique éloge : c'est qu'il ne me laisse rien à dire. J'en suis à moitié consolé par le plaisir que j'ai eu d'entendre mes propres sentiments si éloquemment exprimés.

Vous aviez pour lui la ferveur d'un ami, la vénération d'un disciple; vous vous l'étiez proposé pour exemple, moins par un choix volontaire que par une affinité naturelle.

Vous étiez comme lui, il était comme vous, de ceux pour qui « l'avenir est aux magnanimes et non aux violents, aux miséricordieux et non aux impitoyables, à ceux qui, ayant souffert, ne feront pas souffrir, à ceux

qui, ayant été rejetés, ne rejetteront pas les autres »>.

Ces belles paroles sont de vous; elles pourraient être de lui. Il estimait, comme vous, que sa place était en dehors et au-dessus des partis. Un de ses amis lui demandant, lors de sa première élection, de quel côté il siégerait à la Chambre :

- Au plafond, répondit-il.

C'est là, en effet, que ses collègues le reléguèrent. Ils se refusaient à voir en lui autre chose qu'une lyre sonore : ils écoutaient avec une complaisance dédaigneuse cette fière éloquence qui ne se prêtait qu'aux questions éternelles et leur abandonnait les détails de la pratique quotidienne.

Ils changèrent d'avis le jour où ils le virent sur les marches de l'Hôtel de Ville, en face du drapeau rouge, opposant sa poitrine aux baïonnettes, et disant à l'élément déchaîné :

Tu n'iras pas plus loin.

Ce ne fut qu'un jour; mais combien y a-t-il d'existences, je dis des plus illustres, qui

comptent une pareille journée? Ni le génie ne suffit à la donner, ni l'intrépidité, ni la grandeur d'âme; il y faut encore le destin; il y faut, comme Lamartine l'a dit à la place même où vous êtes, il y faut « une de ces rares époques où la société dissoute n'est plus rien, où l'homme est tout: époques funestes au monde, glorieuses à l'individu, temps d'orages qui fortifient le caractère s'il n'en est pas brisé; tempêtes civiles qui élèvent l'homme si elles ne l'engloutissent pas »>!

Quand un homme a eu, comme Lamartine, l'honneur d'être, un jour, l'âme de son pays, il peut mourir son nom est inscrit en lettres d'or dans l'histoire; et souhaitons-lui de mourir sans attendre le lendemain, car, le lendemain, c'est l'ingratitude et l'oubli. Les nations sont trop souvent ingrates envers leurs bienfaiteurs..., elles le sont toujours. C'est la règle, c'est peut-être la loi. Peut-être les peuples sontils ingrats par la même raison que les enfants, ces divins égoïstes qui ne sont reconnaissants de rien parce que tout leur est dû. La reconnaissance est une vertu de l'âge qui n'a plus droit à la protection, n'en ayant plus besoin; mais les peuples n'arrivent jamais à cet âgelà. Alors, ne faut-il ni s'étonner ni se plaindre si leur amour ne survit pas au bienfait et passe tout entier du sauveur de la veille à celui du lendemain.

Je ne sais si Lamartine s'en étonna; du moins, il ne s'en plaignit guère. La résignation lui était, d'ailleurs, plus facile qu'à un autre ; pour se consoler de l'ingratitude des hommes, n'avait-il pas à son foyer le pieux dévouement d'une Antigone (1)? Pour se consoler de sa popularité perdue, n'avait-il pas sa gloire impérissable?

Si les nations n'ont pas de mémoire pour l'homme d'Etat, elles en ont pour le poète, parce que son œuvre est un bienfait permanent; et quel bienfait!

Dans cette lutte de l'âme et de la bête, qui, en somme, est toute la vie humaine, tandis que la bête est servie par mille appétits voraces, à toute heure sollicités et satisfaits, tandis que tout, en ce bas monde, conspire à la développer outre mesure, à l'épaissir autour de l'âme sa prisonnière, le poète seul éveille et réchauffe celle-ci dans sa prison de chair; il la retrempe incessamment aux sources vives de la tendresse et de l'enthousiasme, il la maintient à l'état de révolte contre son

(1) Valentine de Lamartine.

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Portrait de la mère de Lamartine, d'après une miniature du château de Saint-Point.

vitres des deux fenêtres basses, et le vent, soufflant par rafales, produit, en se brisant contre les branches de deux ou trois platanes et en pénétrant dans les interstices des volets, ces sifflements intermittents et mélancoliques qu'on entend seulement au bord des grands bois de sapins, quand on s'assoit à leur pied pour les écouter. La chambre où je me revois ainsi est grande, mais presque nue. Au fond est une alcôve profonde avec un lit. Les ri deaux du lit sont de serge blanche à carreaux

les fleurs de lis des ornements. La plaque de fonte du foyer est retournée aussi, parce que, sans doute, elle dessinait sur sa surface opposée les armes du roi; de grosses poutres noircies par la fumée, ainsi que les planches qu'elles portent, forment le plafond. Sous les pieds, ni parquet ni tapis; de simples carreaux de briques non vernissés, mais de couleur de terre et cassés en mille morceaux par les souliers ferrés et les sabots de bois des paysans qui en avaient fait leur salle de danse

pendant l'emprisonnement de mon père. Aucune tenture, aucun papier peint sur les murs de la chambre; rien que le plâtre éraillé à plusieurs places et laissant voir la pierre nue du mur, comme on voit les membres et les os à travers un vêtement déchiré. Dans un angle, un petit clavecin ouvert, avec des cahiers de musique du Devin du Village de Jean-Jacques Rousseau, épars sur l'instrument; plus près du feu, au milieu de la chambre, une petite table à jeu avec un tapis vert tout tigré de taches d'encre et de trous dans l'étoffe; sur la table, deux chandelles de suif qui brûlent dans deux chandeliers de cuivre argenté, et qui jettent un peu de lueur et de grandes ombres agitées par l'air sur les murs blanchis de l'appartement.

>> En face de la cheminée, le coude appuyé sur la table, un homme assis tient un livre à la main. Sa taille est élevée, ses membres robustes. Il a encore toute la vigueur de la jeunesse. Son front est ouvert, son œil bleu; son sourire ferme et gracieux laisse voir des dents éclatantes. Quelques restes de son costume, sa coiffure surtout, et une certaine rai. deur militaire de l'attitude, attestent l'officier retiré. Si l'on en doutait, on n'aurait qu'à regarder son sabre, ses pistolets d'ordonnance, son casque et les plaques dorées des brides de son cheval qui brillent suspendues par un clou à la muraille, au fond d'un petit cabinet ouvert sur la chambre. Cet homme, c'est notre père.

>> Sur un canapé de paille tressée est assise, dans l'angle que forment la cheminée et le mur de l'alcôve, une femme qui paraît encore très jeune, bien qu'elle touche déjà à trentecinq ans. Sa taille, élevée aussi, a toute l'élé gance de celle d'une jeune fille. Ses traits sont si délicats, ses yeux noirs ont un regard si candide et si pénétrant; sa peau transparente laisse tellement apercevoir sous son tissu un peu pâle le bleu des veines et la mobile rougeur de ses moindres émotions; ses cheveux très noirs, mais très fins, tombent avec tant d'ondoiements et des courbes si soyeuses le long de ses joues, jusque sur ses épaules, qu'il est impossible de dire si elle a dix-huit ou trente ans. Personne ne voudrait effacer de son âge une de ses années qui ne servent qu'à mûrir sa physionomie et à accomplir sa beauté.

>> Cette beauté, bien qu'elle soit pure dans chaque trait si on les contemple en détail, est visible surtout dans l'ensemble par l'har monie, par la grâce et surtout par ce rayonnement de tendresse intérieure, véritable beauté de l'âme qui illumine le corps par dedans, lumière dont le plus beau visage n'est que la manifestation en dehors. Cette jeune femme, à demi renversée sur des coussins, tient une petite fille endormie, la tête sur une de ses épaules. L'enfant roule encore dans ses doigts

e des tresses noires des cheveux de sa mère

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LITTÉRAIRE

Description du Printemps à la Campagne

Mes premiers essais de composition littéraire, qu'on nous faisait écrire en grec, en latin, en français, ajoutèrent bientôt au plaisir passif le plaisir actif de produire nous-même, à l'applaudissement de nos maîtres et de nos émules, des pensées, des sentiments, des images, réminiscences plus ou moins heureuses des compositions antiques qu'on nous avait appris à admirer. Je me souviens encore du premier de ces essais descriptifs, qui me valut, à mon tour, l'approbation du professeur, et l'enthousiasme de l'école.

On nous avait donné pour texte libre et vague une description du printemps à la cam pagne. Le plus grand nombre de mes condisciples était né et avait été élevé dans les villes; il ne connaissait le printemps que par les livres. Leur composition un peu banale était pleine des images des Bucoliques, des ruisseaux, des troupeaux, des oiseaux, des bergers assis sous des hêtres et jouant des airs champêtres sur leurs chalumeaux, des prairies émaillées de fleurs sur lesquelles voltigeaient des nuées d'abeilles et de papillons. Tous ces printemps étaient italiens ou grecs; ils se ressemblaient les uns aux autres, comme le même visage répété par vingt miroirs diffé

rents.

J'avais été élevé à la campagne; je n'avais vu, autour de la maison rustique et nue de mon père, ni les orangers à pommes d'or semant leurs fleurs odorantes sous mes pas, ni les clairs ruisseaux sortant à gros bouillons de l'ombre des forêts de hêtres, pour aller épandre leur écume laiteuse sur les pentes fleuries des vallons, ni les gras troupeaux de génisses lombardes, enfonçant jusqu'aux jarrets leurs flancs d'or ou d'albâtre dans l'épaisseur des herbes, ni les abeilles de l'Hymette bourdonnant parmi les cytises jaunes et les lauriers-roses.

A moins d'emprunter toutes mes images à mes livres, ce qui me répugnait comme un larcin et comme un mensonge, il me fallait donc décrire d'après nature l'aride et pauvre printemps de mon pays. Je ne trouvais, dans cette indigente nature, aucune des couleurs poétiques que la nudité de la terre et l'éraillement de mes roches décrépites me re fusaient.

Je résolus de me passer de la nature imaginae, et de peindre le printemps dans les

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