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N'avaient ému mes sens de voluptés si vagues !
Pourquoi comme ce soir n'ai-je jamais rêvé?
Un astre dans mon cœur s'est-il aussi levé ?
Et toi, fils du matin, dis, à ces nuits si belles
Les nuits de ton pays, sans moi, ressemblaient-elles?»
Puis, regardant sa mère assise auprès de nous,
Posait, pour s'endormir, son front sur ses genoux.

Mais pourquoi m'entraîner sur ces scènes passées ?
Laissons le vent gémir et le flot murmurer;
Revenez, revenez, ô mes tristes pensées!
Je veux rêver et non pleurer.

Mon image en son cœur se grava la première,
Comme dans l'oeil qui s'ouvre, au matin, la lumière;
Elle ne regarda plus rien après ce jour :
De l'heure qu'elle aima, l'univers fut amour!
Elle me confondait avec sa propre vie,
Voyait tout dans mon ame, et je faisais partie
De ce monde enchanté qui flottait sous ses yeux,
Du bonheur de la terre et de l'espoir des cieux.

Aussi, quand je partis, tout trembla dans cette ame;
Le rayon s'éteignit, et sa mourante flamme
Remonta dans le ciel pour n'en plus revenir;
Elle n'attendit pas un second avenir,

Elle ne languit pas de doute en espérance,
Et ne disputa pas sa vie à la souffrance;
Elle but d'un seul trait le vase de douleur,
Dans sa première larme elle noya son cœur ;

Et, semblable à l'oiseau, moins pur et moins beau [qu'elle,

Qui le soir pour dormir met son cou sous son aile,
Elle s'enveloppa d'un muet désespoir,

Et s'endormit aussi; mais, hélas! loin du soir !

Elle a dormi quinze ans dans sa couche d'argile,
Et rien ne pleure plus sur son dernier asile;
Et le rapide oubli, second linceul des morts,
A couvert le sentier qui menait vers ces bords;
Nul ne visite plus celte pierre effacée,
Nul n'y songe et n'y prie..., excepté ma pensée,
Quand, remontant le flot de mes jours révolus,
Je demande à mon coeur tous ceux qui n'y sont plus,
Et que, les yeux flottants sur de chères empreintes,
Je pleure dans mon ciel tant d'étoiles éteintes !
Elle fut la première, et sa douce lueur

D'un jour pieux et tendre éclaire encor mon cœur.

Un arbuste épineux, à la pale verdure,
Est le seul monument que lui fit la nature;
Battu des vents de mer, du soleil calciné,
Comme un regret funèbre au cœur enraciné,
Il vit dans le rocher sans lui donner d'ombrage;
La poudre du chemin y blanchit son feuillage;
Il rampe près de terre, où ses rameaux penchés

Par la dent des chevreaux sont toujours retranchés :
Une fleur, au printemps, comme un flocon de neige
Y flotte un jour ou deux; mais le vent qui l'assiège
L'effeuille avant qu'elle ait répandu son odeur,
Comme la vie, avant qu'elle ait charmé le cœur!
Un oiseau de tendresse et de mélancolie
S'y pose pour chanter sur le rameau qui plie!
Oh! dis, fleur que la vie a fait si tôt flétrir,
N'est-il pas une terre où tout doit refleurir?...

Remontez, remontez à ces heures passées !
Vos tristes souvenirs m'aident à soupirer;
Allez où va mon âme, allez, ô mes pensées!
Mon cœur est plein, je veux pleurer.
A. de Lamartine,

(Vifs applaudissements.)

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vous sachiez, pourtant, en quelles circonstances Lamartine a écrit la plus célèbre de ses méditations, le Lac, achevée au mois de septembre 1817. Il y a un an qu'il a rencontré Julie à Aix, au bord du lac du Bourget. Depuis, il l'a retrouvée à Paris, puis il a dû, quelques mois plus tard, rentrer dans sa famille, en Bourgogne, et c'est lorsqu'il s'y rend à petites journées, et en faisant maints détours, que nous l'avons vu à Moulins, chez les bohémiennes. L'automne venu, il retourne aux eaux d'Aix, pensant que les médecins y renverront aussi Julie Charles; mais la maladie de poitrine dont elle souffre a empire, un déplacement aussi lointain n'est plus possible, on se contente de la transporter à Viroflay, dans un état de santé déplorable. Et, là-bas, le cœur serré d'être seul où ils étaient deux il y a une année, Lamartine

exhale sa douleur dans ce chant qui est comme la première révélation de son génie, et que Mme Piérat va vous faire entendre :

LE LAC

Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
Jeter l'ancre un seul jour ?

O lac! l'année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu'elle devait revoir,
Regarde! je viens seul m'asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s'asseoir !

Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes;
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés ;
Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes

Sur ses pieds adorés.

Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence;
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.

Tout à coup, des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos;
Le flot fut attentif et la voix qui m'est chère
Laissa tomber ces mots :

O temps, suspends ton vol! et vous, heures propices,
Suspendez votre cours!

Laissez-nous savourer les rapides délices

Des plus beaux de nos jours!

» Assez de malheureux ici-bas vous implorent : Coulez, coulez pour eux;

Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent; Oubliez les heureux.

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Mais je demande en vain quelques moments encore, Le temps m'échappe et fuit;

Je dis à cette nuit : « Sois plus lente »; et l'aurore Va dissiper la nuit.

> Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive, Hâtons-nous, jouissons!

L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive; Il coule, et nous passons ! »>

Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse, Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur, S'envolent loin de nous de la même vitesse

Que les jours de malheur ?

Hé quoi! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace?
Quoi! passés pour jamais ? quoi !t out entiers perdus ?
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
Ne nous les rendra plus ?

Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez ?

O lac rochers muets! grottes ! forêt obscure! Vous que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir, Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,

Au moins le souvenir !

Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux!

Qu'il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartés!

Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire,
Tout dise: «Ils ont aimé ! »>

A. de Lamartine.

(Applaudissements prolongés.)

Lamartine n'osa point envoyer ces vers à Julie. Deux mois plus tard, elle lui écrivait une dernière lettre, celle où, racontant qu'elle a reçu l'extrême-onction, elle ajoute qu'elle espère vivre, et qu'elle vivra pour expier. Elle meurt, cinq semaines après, le 18 décembre 1817. Si l'on en croyait la célèbre pièce du Crucifix, le poète aurait assisté à son agonie :

Toi que j'ai recueilli sur sa bouche expirante
Avec son dernier souffle et son dernier adieu,
Symbole deux fois saint, don d'une main mourante,
Image de mon Dieu!...

Mais non, car elle lui a demandé de ne point venir, elle craint trop sa chère présence. C'est Aymon de Virieu, le plus intime ami de son ami, qu'elle a souhaité de revoir. C'est Aymon de Virieu qui viendra et qui recueillera, pour le donner au poète, le crucifix où la mourante aura posé ses lèvres.

MARIANNE

En apprenant la mort d'Elvire, Lamartine erre trois jours et trois nuits dans les bois, en proie à un désespoir indicible. Puis, il s'enferme pendant plusieurs mois à Milly, ne voulant voir personne et faisant des vers qu'il refuse de montrer à sa mère elle-même : ce sont les plus belles et les plus douloureuses de ses premières Méditations.

Il croit sa vie sentimentale terminée. S'il songe quelquefois qu'il se mariera un jour, c'est en pensant qu'il accomplira ainsi un devoir social, et que, dans une affection douce et cahme, il retrouvera peut-être un peu de

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duchesse de Broglie, chez Mme de Saint-Aulaire, et, bientôt, son talent, sa beauté, sa mélancolie, font de lui un homme pour qui toutes les belles dames se montent la tête. La sienne, pourtant, ne tourne point; sa tristesse n'est point dissipée et, comme s'il voulait l'aggraver encore, il se décide à faire une nouvelle cure à Aix-les-Bains, au bord du lac où flotte l'ombre d'Elvire.

Peu de jours avant, une dame Birch, veuve d'un colonel anglais, s'y était installée avec sa fille, Marianne-Elisa, en compagnie de leurs amies, Mme et Miles de la Pierre, dans la maison d'un certain M. Perret, vieux botaniste devenu hôtelier pour la circonstance.

A Chambéry, où ces dames avaient déjà passé quelques mois ensemble, elles avaient reçu un ami d'Alphonse, Louis de Vignet, qui leur avait lu quelques-uns de ces fameux vers, tant acclamés dans les salons parisiens, en comparant le jeune auteur au plus grand des poètes anglais, et en prédisant qu'il

Il arrive, il est présenté, ils se plaisent. Ils cherchent à se parler sans témoins. Le vénéable M. Perret s'y prête: dès qu'il voit Mme Birch sortir sans sa fille, il quitte ses herbiers, prend sa flûte, et joue un air pour avertir Alphonse qu'il peut trouver Marianne toute seule. Quand les jeunes gens n'ont pu se rencontrer sans témoins, c'est lui qui leur fait tenir les lettres qu'ils s'écrivent.

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La première, qui contient une fleur séchée, 14 août 1819,- est une respectueuse et formelle déclaration d'amour de Lamartine, qui va être obligé de quitter Aix, et qui veut un formel engagement de la jeune fille, car il a deviné qu'il lui devra le bonheur de sa vie.

La réponse de Mlle Birch le comble de joie, et déjà l'on fait à l'insu de Mme Birch en core des projets d'avenir, quand une machination ténébreuse manque de tout gâter: Mile Clémentine de la Pierre, qui, elle non plus, n'a pas pu voir Alphonse avec indifférence, mais

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Le château de Saint-Point (Saône-et-Loire), séjour de prédilection de Lamartine, d'après une photographie (état actuel).

Charles, n'a pas de peine à prouver la pureté de sa vie, non plus qu'à montrer qu'il ignore tout à fait l'état de la fortune de Mme Birch. On se réconcilie, on est heureux... Il reste à obtenir le consentement des deux familles; Lamartine, en rentrant à Milly, va travailler à se concilier la sienne.

Il convainc assez vite sa mère; mais que vont dire ses oncles et ses tantes, gens fort rigides et fort dévots, qui ne cessent de gronder la mère sur sa faiblesse à l'égard de son fils, en apprenant qu'il veut épouser une étrangère et une protestante? Pourtant, il est absolument nécessaire de les amadouer, car eux seuls détiennent la fortune et peuvent donner à leur neveu de quoi se mettre décemment en ménage... Alphonse y parvient, et, bientôt, M. de Lamartine père, d'un côté, Alphonse de l'autre, adressent à Mme Birch une demande dans les formes.

tique depuis si longtemps convoité, et qui relèvera, sans doute, son prestige aux yeux de Mme Birch. Il va redire des vers dans les salons; les belles dames s'emploient pour lui auprès du ministre; il est sur le point de réussir... quand il tombe malade, à Paris, assez gravement pour que les médecins ne répondent plus de sa vie.

Ses nobles amies ne l'abandonnent point. Tout en continuant leurs démarches, elles se relayent auprès de son lit pour le soigner, le veiller, lui faire la lecture. Parmi elles, il y a, notamment, une princesse italienne, d'une beauté merveilleuse, qui lui lit les romans de Walter Scott, et que nous retrouverons tout à l'heure. Lamartine guérit; sa première lettre est pour Marianne, et, dans la seconde, il peut apprendre à la jeune fille qu'il vient d'être nommé attaché d'ambassade à Naples. Mme Birch s'humanise; elle laisse entre

voir un consentement possible; mais il faut que Lamartine aille d'abord se refaire la santé en Italie. Les jeunes gens protestent, Mme Birch cède enfin; elle consent au mariage, y mettant seulement pour condition que la cérémonie catholique aura lieu dans le plus grand secret. Lamartine propose qu'elle ait lieu dans une église de village près de Chambéry, à six heures du matin, portes fermées, sans cloches; on entrera même, s'il le faut, par une porte secrète donnant dans la maison du curé!... Est-ce assez? Non. Mme Birch veut quelque chose de plus mystérieux encore le mariage dans la chapelle du gouverneur de Savoie... Ce qu'elle ignore, la bonne dame, c'est que sa fille, depuis quelques jours, a abjuré le protestantisme!... Mais on a si peur qu'elle l'apprenne que, le lendemain de la messe de mariage, pour détourner tout soupçon de l'esprit de sa redoutable belle-mère, Lamartine emmène sa femme à Genève, où un pasteur calviniste les rebénit tous deux, bien qu'il n'y ait plus là, de protestant, que Mme Birch! (Hilarité.)

Et ils emmènent Mme Birch, enfin pacifiée, en Italie. Voyage de noces délicieux, que rien n'eût gâté si Lamartine n'avait cru poli d'aller rendre visite, en passant par Florence, à l'éblouissante princesse italienne qui était venue lui lire Walter Scott dans sa mansarde. En apprenant qu'il est marié, elle manque de lui arracher les yeux et, après une scène de larmes, pour toute vengeance, fait courir le bruit que le poète a été assassiné sur la route de Florence à Rome, par des brigands! Les journaux l'impriment, la mère et les oncles du poète l'apprennent par le Journal des Débats... Enfin, une lettre arrive qui les rassure le poète est parvenu sans encombre à Naples. Il y écrira les plus beaux vers d'amour inspirés par sa femme, devant cette île de Procida, où Graziella l'a jadis aimé et qu'il n'oublie point, dont Mme de Lamartine lui permet, d'ailleurs, de se souvenir, comme elle lui permettait, au bord du lac du Bourget, d'évoquer la mémoire de Mme Charles. Quand il lui naîtra une fille, elle consentira même à ce qu'on lui donne le nom véritable d'Elvire: Julia. Elle n'a point peur des fantômes, car elle se sent aimée d'un amour qui ne passera pas, et c'est pour elle que le poète vient d'écrire :

Un jour, le temps jaloux, d'une haleine glacée, Fanera tes couleurs comme une fleur passée Sur ces lits de gazon,

Et sa main flétrira sur tes charmantes lèvres Ces rapides baisers, hélas ! dont tu me sèvres Dans leur fraiche saison.

Mais quand tes yeux, baignés d'un nuage de larmes,
De ces jours écoulés qui t'ont ravi tes charmes
Pleureront leur rigueur;

Quand dans ton souvenir, dans l'onde du rivage,
Tu chercheras en vain ta ravissante image,
Regarde dans mon cœur!

Là, ta beauté fleurit pour des siècles sans nombre
Là, ton doux souvenir veille à jamais, à l'ombre
De ma fidélité,

Comme une lampe d'or dont une vierge sainte
Protège avec la main, en traversant l'enceinte,
La tremblante clarté.

Ah ! quand la mort viendra, d'un autre amour suivie, Eteindre, en souriant, de notre double vie

L'un et l'autre flambeau,

Qu'elle étende ma couche à côté de la tienne,
Et que ta main fidèle embrasse encor la mienne
Dans le lit du tombeau!

Ou, plutôt, puissions-nous passer sur cette terre,
Comme on voit, en automne, un couple solitaire
De cygnes amoureux

Partir, en s'embrassant, du nid qui les rassemble,
Et, vers les doux climats qu'ils vont chercher en-
S'envoler deux à deux !
[semble,

(Longs applaudissements.)

Les Premières Méditations avaient paru en 1820, quelques mois avant le mariage, et Marianne y paraissait à peine : l'image de Julie y dominait. Dans les Nouvelles Méditations, si ce n'est pour le Crucifix, il n'y a plus qu'une inspiratrice: Mme de Lamartine; c'est elle la troisième et la plus bienfaisante des trois étoiles entrevues par la bohémienne de Moulins. Près d'elle, en plein bonheur domestique, il écrira encore les Harmonies Poétiques et Religieuses; et c'est à elle qu'il dédiera le plus merveilleux de ses chefs-d'oeuvre, Jocelyn, composé en partie à Saint-Point, en partie sous le ciel de l'Asie Mineure, pendant ce fameux voyage en Orient, au cours duquel ils eurent la douleur de perdre Julia, leur fille.

JOCELYN

Jocelyn parut en 1836. Toute la France le lut, et, après ce livre, on peut dire que Lamartine fut, pour employer une belle expression de Shakespeare, « porté en triomphe sur les cœurs ». Le poète a écrit quelque part :

<< L'écrivain qui arrive aux larmes arrive à tout; le pathétique est le sommet du génie. » (Applaudissements.)

Avec Jocelyn, il a atteint ce sommet. Et l'époque où un livre de ce genre a pu susciter un tel enthousiasme peut être, rien qu'à

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