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et je reviens aussitôt vous faire part de sa réponse. » Quelques instants après, le capitaine revint, disant que le Saint Père consentait à recevoir cinq personnes. Cette réponse fut accueillie par d'immenses acclamations. Cette fois encore, la persistance du peuple l'emportait sur la volonté du souverain. Non loin de l'officier parlementaire se trouvait en uniforme un nommé Dominique Sopranzi, faisant partie du 3o bataillon de la garde civique. «<Vous êtes sergent?» lui dit l'officier, prévenu en sa faveur par une figure honnête et sympathique. « Je suis sergent,» répondit Sopranzi. -« Eh bien! répliqua le capitaine, choisissez vous-même quatre jeunes gens, prenez un drapeau et suivez-moi. » Sopranzi, se retournant alors vers la foule, s'adjoignit quatre individus dont l'un portait une bannière aux couleurs du pape, et il suivit l'officier qui les conduisit dans les appartements du Saint Père. Le pape était assis dans un grand fauteuil de velours cramoisi : à la vue des cinq délégués prosternés à ses pieds, il se leva, marcha droit à eux, le sourire aux lèvres: « Eh bien! mes enfants, leur dit-il en les relevant; vous partez donc demain? » — « Oui, très-saint Père, » répondit au nom de ses compagnons le sergent Sopranzi.

— «< Savez-vous, répliqua le souverain Pontife, où vous devez aller?

- Où nos chefs nous conduiront, très-saint Père!

« C'est fort bien, mes amis ! mais il serait mieux d'apprendre par moi-même votre destination. Sachez donc, ajouta-t-il après un moment de silence, que vous partez uniquement pour aller protéger les frontières de nos États. Gardez-vous de les franchir, car en le faisant, non-seulement vous transgresseriez mes ordres, mais vous assumeriez sur les troupes pontificales la responsabilité d'un rôle d'agression, rôle qui, dans aucun cas, ne saurait leur convenir. Allez donc, mes enfants, mais rien qu'aux frontières, je le répète, pas au-delà des frontières; telle est ma volonté ! »

Après cette courte allocution, le pape recommandant l'obéissance à l'autorité des chefs, l'observance stricte de la discipline militaire, la pratique enfin des vertus qui constituent le véritable soldat, leva ses mains sur la bannière pontificale que lui présenta Sopranzi, il la bénit, et admit ensuite les cinq délégués au baisement du pied. Cette cérémonie terminée, Sopranzi et ses compagnons, ravis des paroles affectueuses que leur avait adressées le Pontife, rejoignirent la foule prodigieusement accrue durant leur présentation au Saint Père. Alors Sopranzi, élevant la voix, s'écria, au milieu d'un profond silence, que le Saint Père venait de bénir la bannière, mais à la condition expresse

qu'elle ne dépasserait sous aucun prétexte le territoire des États de l'Église. Au même instant, plusieurs hommes, s'élancèrent vers lui, l'entourèrent et lui dirent: << Malheureux! que faites-vous? vous allez décourager la jeunesse romaine et l'empêcher de partir.»-«Je m'acquitte de la mission que le Saint Père m'a donnée,» répliqua le courageux et honnête Sopranzi.

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« Que comptez-vous faire du drapeau que le Pontife vient de bénir? » lui demanda-t-on alors. «Le porter au ministre de la guerre, » répliqua le sergent. Aussitôt l'un des chefs du parti s'empara de la bannière et l'on se mit en marche pour la place Pilota. La foule était immense; les personnes qui s'étaient réunies à Sopranzi, redoutant l'effet que son assertion pourrait produire sur l'esprit du ministre, l'isolèrent dans le flux du peuple et se présentèrent seuls devant le ministre de la guerre. C'est ainsi que, par la ruse, on étouffa momentanément la voix d'un honnête homme qui n'aurait point faibli devant la menace et la peur.

Le lendemain, les journaux révolutionnaires, dénaturant, au bénéfice de leur parti, le récit des faits qui s'étaient passés au Quirinal, tronquèrent jusques au nom du principal personnage, Dominique Sopranzi, transformé en Dominique Torquatus.

De toutes ces choses, il résulte la preuve évidente, incontestable, que la conduite de Pie IX, dans la question de la guerre de l'indépendance, que son attitude, si diversement interprétée par l'ignorance d'une part, et par la mauvaise foi de l'autre, ne se sont pas démenties un seul instant. Souverain pacifique et spirituel de tous les peuples, il n'a jamais consenti à ce qu'on dépassât les limites d'une juste défense, il a toujours repoussé de son cœur la pensée d'une inique agression. En un mot, il n'a jamais voulu faire de la croix un glaive de bataille. Inflexible devant les injonctions comme devant les prières, il a prouvé que le seul peut-être en Italie il avait la consciencieuse intelligence de la situation.

Quoique les impressions en Italie soient trop ardentes pour être durables, l'enthousiasme produit par la proclamation de la croisade contre l'Autriche se manifesta plusieurs jours avec un élan véritablement national. Les volontaires s'enrôlèrent en assez grand nombre, et les autres firent preuve de dévouement à la patrie en déposant sur des tables dressées dans les grands centres de la ville, des offrandes patriotiques.

Les troupes expéditionnaires quittèrent Rome dans les premiers jours de mars et se dirigèrent sur Bologne et Ferrare. La veille du départ, la première colonne, composée en grande partie de

volontaires appuyés par quelques soldats de ligne, avait été passée en revue sur la place Saint-Pierre par les généraux Ferrari, Durando et par le moine Gavazzi. Celui-ci portait à sa ceinture, sous la croix verte, rouge et blanche de la croisade, une paire de pistolets de combat. Il prit dès lors le titre de grand aumônier de l'armée de l'indépendance italienne.

Avant de se mettre en route, les principaux officiers se rendirent au Quirinal pour prendre congé du Saint Père, qui leur signifia de nouveau, et de la manière la plus expresse, la défense de franchir la frontière des États de l'église.

Tandis que les volontaires romains s'avançaient, l'arme au bras, à la conquête de l'indépendance et que Charles-Albert rêvait le sceptre de la Haute Italie, le pape, élevant la voix pour interpréter la muette éloquence des oeuvres de Dieu, adressait cette proclamation aux peuples de la péninsule:

« Aux peuples d'Italie, salut et bénédiction apostolique.

<< Les événements que ces deux mois ont vu se succéder et s'enchaîner avec tant de rapidité, ne sont pas une œuvre humaine. Malheur à qui n'entend pas la voix de Dieu dans ce vent qui agite, renverse et brise les cèdres et les roseaux! malheur à l'orgueil humain s'il attribue aux fautes ou au

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