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Les bons citoyens applaudirent à cet acte de souveraineté, admirable dans son opportunité et dans sa franchise. Les révolutionnaires en furent terrassés, Mamiani surtout, qui ne s'attendait point à une réponse si noble et si habile.

Tandis que Mamiani se cramponnait pour quelques jours encore au pouvoir qui glissait dans ses mains, la nouvelle du passage du Pô et l'occupation de la ville de Ferrare par six mille Autrichiens vint compliquer la situation et donner lieu à une discussion très-vive dans le parlement romain. Oubliant que les troupes du général Durando avaient été les premières agressives en s'avançant jusqu'à Trévise, dans les provinces dont l'Autriche revendiquait la souveraineté, les députés et le Contemporaneo, principal organe du mouvement belliqueux, adjurèrent le Saint Père de se déclarer enfin pour le salut de ses États et pour l'indépendance de l'Italie; le journal de Mamiani, l'Epoca, jetant son cri de guerre, demanda que l'église de Saint-Pierre fût tendue de noir et qu'au milieu des cierges éteints l'anathème fût prononcé contre les troupes de l'Autriche. En attendant, le gouverne, ment pontifical répondit à l'invasion des États romains par une énergique protestation qui lui mérita les honneurs d'une adresse rédigée séance tenante par la Chambre des députés et à laquelle le pape répondit d'une manière digne du souverain,

Sur ces entrefaites, Mamiani, forcé dans ses derniers retranchements, déposant son portefeuille et sa démission aux pieds du Saint Père, commença la crise ministérielle qui ne devait finir que le 3 août suivant: on se trouvait au 19 juillet. Ce jour-là, les révolutionnaires organisèrent une démonstration, et se portèrent en masse sur le palais de la Chancellerie, demandant à grands cris des armes et la déclaration de guerre contre l'Autriche. Repoussés sur ce point par l'attitude calme des députés, ils tentèrent de s'emparer, par la force, du château Saint-Ange; mais Ciceruacchio, qui dirigeait le mouvement, trouva, dans les conseils persuasifs du prince Aldobrandini-Borghèse, un obstacle qu'il n'avait point prévu.

Ces faits donnèrent lieu à un article intitulé les trois fiaschi (échecs), pour lequel le rédacteur d'un journal rédigé avec esprit, l'abbé Ximenès, fut condamné à mort par le parti et lâchement poignardé quelques jours après.

A la nouvelle de l'assassinat du publiciste immolé à l'implacable tyrannie de ces hommes qui ont sur leurs lèvres les grands mots de fraternité et de liberté jusqu'au jour où, parvenus au but de leur ambition, ils foulent aux pieds les droits les plus sacrés, les rédacteurs d'un journal d'ordre, le Labaro, signèrent collectivement la déclaration suivante :

« Un de nos confrères est tombé hier frappé d'un coup de stylet porté par un bras inconnu. La liberté d'opinion et la liberté personnelle, garanties par les lois, ne pouvant nous être assurées par un pouvoir en dissolution, la rédaction du journal est d'avis d'en suspendre la publication jusqu'à ce que les lois aient recouvré leur pleine et entière vigueur. »

Telle était l'impuissance de ces lois que, le 16 juillet, jour anniversaire du décret de l'amnistie, les démocrates avaient pu se rendre sous les fenêtres des bureaux du Labaro et vociférer impunément, dans une monstrueuse alliance de mots, l'inconséquente antithèse de ces cris: Vive la liberté de la presse à bas le Labaro! vive la liberté et mort aux prêtres!

Sur ces entrefaites, les vaincus de Vicence entraient triomphalement à Rome. A ce sujet, les députés, parodiant une page célèbre de l'antiquité, envoyèrent dix de leurs collègues à la rencontre des reduci, après avoir décerné de grands éloges à Galetti, l'épicier-colonel, et voté une adresse de félicitations à la légion que, dans un langage emphatique, ils appelaient l'orgueil de Rome. En cette circonstance, s'associant à la Chambre élective, le sénateur Corsini prononça les paroles suivantes :

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<< Magnanimes Romains!

« Le sénat qui, dans une autre circonstance, vous envoya ses félicitations sincères, s'estime heureux aujourd'hui de vous faire publiquement un accueil inspiré par une affection paternelle et de promettre de vous donner sans délai une petite marque de sa reconnaissance. En attendant, il déclare que vous avez bien mérité de la patrie. >>

Quoi qu'il en soit, les légionnaires de l'indépendance passant fièrement par où jadis avaient passé les Césars victorieux des Germains et des Gaulois, entrèrent à Rome le front couronné d'une branche de laurier. La rue du Corso était pavoisée de banderoles et de drapeaux ; de toutes les fenêtres tombait une pluie de fleurs; le colonel Galetti, monté sur son cheval de bataille, marchait en tête, portant enlacées à son bras plusieurs couronnes d'immortelles et de lauriers. Les acclamations retentissaient de toutes parts, les trompettes sonnaient, les tambours battaient la marche de la victoire; impudente comédie! Oh! si les anciens maîtres du monde, qui si souvent avaient parcouru la même route traînant derrière leurs chars un cortége de rois vaincus, s'étaient réveillés sur leur lit de bronze et de marbre, si les géants étaient sortis de leurs tombeaux héroïques, avec quel mépris ils auraient secoué la poussière de leurs glorieux linceuls sur les nains de la Rome révolutionnée! Les légion

naires furent reçus dans la cour du palais Doria par le prince ministre de la guerre, qui leur offrit un déjeuner splendide, à la suite duquel, échauffés par les vapeurs du champagne, quelques officiers concurent l'idée de s'emparer du Gesu, facile conquête qui, malgré les réclamations impuissantes du gouvernement, devint le quartier de leurs milices.

Quelques jours après, à l'heure où la population romaine se répand dans le Corso pour respirer la fraîcheur du soir, 'un postillon, haletant, poudreux, arrivé à franc étrier du ponte Molle, parcourut la grande artère de Rome, clamant victoire et annonçant que l'épée du roi Charles Albert avait taillé en pièces l'armée autrichienne. Aussitôt la ville, aux cris des enthousiastes qui la parcourent, s'illumine comme par enchantement, elle se pare comme aux jours de ses plus grandes solennítés, elle revêt ses draperies et ses tentures de fête. Prêtres et soldats, hommes et femmes, enfants et vieillards, princes et manoeuvres, riches et pauvres s'abordent dans les rues, se félicitent et s'em-' brassent. Victoire! de leurs serres brisées les aigles impériales de l'Autriche ont laissé tomber l'indépendance de l'Italie! victoire! les aigles romaines retrouvant leur vòl pourront désormais mesurer l'espace et le soleil! victoire! l'aurore des jours antiques s'est levée dans le sang des barbares!

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