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victoire! ces cris éclatent de la place du peuple au Capitole, ils réveillent les échos des sept collines, puis tout à coup, à l'heure où les bruits se taisent, où le silence se recueille, où la fatigue du jour s'endort dans le repos de la nuit, les cloches ébranlées répandent à larges volées sur la ville assoupie un vaste cri d'airain; de nombreuses décharges de mousquetterie se succèdent sans interruption alors l'effroi remplace la réjouissance. Réveillés par ces bruits sinistres les Romains se demandent si les cloches qui sonnent sont un si-" gnal d'alarme, un tocsin de détresse, si les coups de feu qui retentissent sont les indices d'une lutte sanglante: la terreur est à son comble, l'épouvante est générale; la peur produit instantanément chez quelques-uns les plus terribles effets;' un grand nombre de personnes qui se portaient bien sont frappées de maladies, plusieurs malades expirent, des gens parfaitement sensés perdent subitement la raison. Dans tous les temps les joies de la démagogie ont été fatales. Jamais célébration de fête n'eut de plus tristes résultats.

Le lendemain matin quelques maisons du Corso avaient conservé leur physionomie de réjouissance, le son des cloches vibrait encore, lorsqu'on apprit que le courrier, parti de la Porte Angélica et rentré par celle du Peuple, avait réçu des mains de Mamiani trois piastres pour apporter une fausse

nouvelle. En effet, la victoire si pompeusement célébrée n'était en réalité qu'une épouvantable défaite. Jamais un peuple sérieux ne fut plus singulièrement abusé que ne l'avait été le peuple romain, jamais une déception semblable ne fut infligée à une population entière. L'armée de l'Autriche, bien loin d'être anéantie, venait de remporter une éclatante victoire.

D'un seul coup la sanglante bataille de Custoza avait privé Charles Albert des avantages militaires qu'il avait mis trois mois à gagner. Toute la ligne d'opération de l'armée piémontaise était coupée; le Mincio traversé en plusieurs endroits, Peschiera reprise, le matériel préparé à grands frais pour entreprendre le siége de Mantoue perdu, et le vieux maréchal Radetzki, malgré les fatigues d'une bataille de quatre jours livrée sous un soleil dévorant, se trouvait en état de poursuivre sans résistance le cours de ses succès. Trois jours s'étaient à peine écoulés qu'il chassait l'armée royale de Bozzolo, de Crémone et faisait passer l'Oglio à son aile droite; il ne laissait plus à Charles Albert d'autre parti à prendre que celui de se retirer sur l'Adda où les fortes positions de Crême, Lodi et Pizzighettone pourraient lui permettre de rallier son armée dispersée, rompue et devenue méconnaissable.

Pendant ce temps la plus grande confusion

régnait dans Milan. Les mesures de vigueur décrétées par le comité de défense publique n'avaient suscité qu'un mouvement désordonné et dominé par la terreur. Les gardes nationaux et les con-scrits lombards découragés manquaient d'élan et d'enthousiasme. Les paysans, bien loin de se lever en masse, appelaient de tous leurs voeux les Autrichiens qui possédaient leurs sympathies. Le patriotisme se perdait en clameurs, en dénonciations et en prises d'armes tumultueuses: au lieu de marcher résolument au combat, les républicains préparaient les balles régicides qui devaient menacer quelques jours plus tard la poitrine de Charles Albert, dont le brillant courage, rehaussé par l'intrépidité de ses deux fils, s'était si généreusement consacré à la cause de l'Italie, cause perdue par la lâcheté des uns, la faiblesse des autres et surtout par la conduite oblique du parti républicain. C'était ce parti qui trois mois auparavant dans le conseil du roi avait repoussé les conditions du cabinet de Vienne sous le prétexte que l'Italie se trouvait trop à l'étroit dans la carte géographique de l'Europe.

En effet, le 24 mai précédent le baron Hummelauer, autorisé en cela par le baron Pillersdorf, ministre de l'intérieur, et en même temps président du ministère impérial, avait soumis au cabinet de Saint-James le memorandum suivant comme

base de la médiation proposée : « La Lombardie cessera d'appartenir à l'Autriche. Elle sera libre de rester indépendante ou de s'unir à tel autre État de l'Italie qu'elle croirait devoir choisir. Elle se chargera d'une part proportionnelle de la dette autrichienne. L'État vénitien restera sous la souveraineté de l'empereur; il aurait une administration séparée, tout à fait nationale, réglée par les réprésentants du pays, sans l'intervention du gouvernement impérial, et réprésenté auprès du gouvernement central de la monarchie par un ministre qui dirigerait ses relations avec ce gouver

nement.

L'administration vénitienne aurait pour président un archiduc, vice-roi, qui résiderait à Venise en qualité de lieutenant de l'empereur. L'État vénitien paierait ses propres dépenses et contribuerait à celles de l'empereur pour 200,000 livres par an. Il prendra pour son compte une partie de la dette nationale. L'armée vénitienne sera entièrement nationale, mais soumise au ministre de la guerre. »

Ces conditions étaient d'autant plus acceptables que le gouvernement britannique, faisant taire ses sympathies pour les nobles efforts des Vénitiens, avait répondu aux appels réitérés du gouvernement provisoire de Venise qu'il ne pouvait rien faire pour le rétablissement de la république de

Saint-Marc, attendu que les grands principes de la politique devaient être suivis aux prix des sentiments les plus pénibles et des plus vifs regrets. Dans cette circonstance lord Palmerston avait déclaré de la manière la plus explicite, que Venise ne devait et ne pouvait pas compter sur les forces de la Grande Bretagne.

Au point de vue de la nationalité italienne le rejet de ces négociations qui prouvaient la condescendance et la bonne foi du cabinet autrichien, est une faute énorme dont le parti républicain de la jeune Italie sera seul responsable aux yeux de la postérité. Les prétentions de ce parti, déclarant que l'Europe était trop grande et l'Italie trop petite, sera pour l'avenir un sujet perpétuel d'étonnement. Et il faut bien le dire, jamais parti ne s'est montré plus incapable, plus ignorant, plus au-dessous des circonstances. Composé d'éléments multiples, hétérogènes, recrutés par l'ambition dans la phalange des avocats, des médecins, des poëtes et des rhéteurs, ce parti, en haine de la religion et de la monarchie, a perdu l'Italie.

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Dans ce même temps un aventurier, Garibaldi, et un homme, dont le nom devrait être exécré par tous les Italiens, Mazzini, firent un chaleureux appel à la jeunesse italienne. «< Venez, venez, s'écriait celui-ci, accourez-tous des provinces de Comasco, de Brescia, de Bergame, en un mot, de

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