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tude hostile, les émeutiers insultèrent les promeneurs paisibles qui avaient le tort, à leurs yeux, de porter une figure honnête et des vêtements en bon état. Les voitures qui revenaient du Pincio durent se retirer devant les sifflets et la défense de passer outre; un prêtre même, stationnant au coin d'une rue, reçut un coup de poignard qui lui traversa les chairs du bras. Restés maîtres du terrain, les démagogues résolurent de se présenter à l'ambassadeurde France pour faire appel à sa générosité et réclamer l'intervention, contre laquelle la langue du Tasse et du Dante n'avait pas eu assez d'anathème, alors qu'elle se croyait de force à remplacer l'épée. Aussitôt la foule, poussant ses clameurs ordinaires, se rendit à flots pressés vers le palais Colonna, résidence du duc d'Harcourt. L'ambassadeur venait de lire dans un journal du jour, le Contemporaneo, les incroyables lignes qui suivent:

« Ce serait le plus grand de tous les malheurs de voir arriver parmi nous le secours de l'étranger, et cependant nous voici venus à ce point que nos regards se portent avec une anxiété fébrile du côté des Alpes pour voir s'il en descend des phalanges françaises; et notre oreille est tendue écoutant si les premières notes de la Marseillaise se font entendre. Oh! ces phalanges seront terribles! oh! cette Marseillaise sera semblable à l'incendie! ceux qui l'ont voulu expieront cher leur trahison. »

C'est sous le coup des impressions produites par cette lecture, que trois députés désignés par la foule furent admis en sa présence et lui demandérent l'intervention française. La réponse de l'ambassadeur fut digne de lui et de la nation qu'il représentait : « Quoique je sois flatté pour ma nation de la demande que vous me faites, leur dit-il, je commencerai par vous déclarer qu'elle me surprend on ne peut plus. Les diatribes de vos jour naux, les discours de vos orateurs ne m'y avaient point préparé. Vous l'avouerez vous-mêmes, ils entendaient et signifiaient tout autre chose. Ce+ pendant, la France est grande et généreuse; elle oublie facilement. Je ne sais la résolution qu'elle prendra relativement à l'Italie. De mon chef je n'ai donc rien à vous répondre. Seulement si vous faites une pétition et que cette pétition soit signée par des hommes honorables et en assez grand nombre pour représenter les populations romaines, je m'empresserai de l'envoyer à mon gouverne→

ment. >>>

Les délégués, médiocrement satisfaits de cette réponse évasive, quant au fond, mais véhémente par sa forme, descendirent dans la cour du palais et la transmirent à la multitude, qui s'écria quand même Vive la France! vive le duc d'Harcourt!

Pendant ce temps les ordonnances pour les armements, pour les enrôlements, pour la mobili

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sation de la garde civique et pour la formation d'un matériel de guerre, se succédaient avec une rapidité qui contrastait avec l'indifférence des

masses.

Cependant le ministre de la guerre ne négligeait rien pour les réveiller dans leur inconcevable léthargie. « Loin de moi, leur disait-il par une proclamation à la date du 6 août, loin de moi la pensée qu'un esprit dégénéré se soit emparé de vous; s'il en était ainsi, vous devriez être émus à la pensée de nos cités brûlées et détruites, de vos épouses et de vos filles déshonorées, des vieillards et des enfants massacrés. Aux armes donc! aux armes! au nom de ce Dieu qui ne peut abandonner à la rage d'un cruel ennemi, un peuple qui défend ses foyers et ses droits. »

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De son côté un journal, l'Epoca, embouchant la trompette guerrière, rangeait fièrement en lignes sur une de ses feuilles les combattants qu'une partie de l'Italie pouvait mettre à la disposition de la cause de l'indépendance: "

Les États romains

La Toscane

La Lombardie

600,000 hommes,

300,000 »

800,000 >>

Total: 1,700,000 >>

Après avoir passé en revue ces formidables auxi

liaires le journal s'écriait triomphalement : « Ja

mais l'empereur Napoléon n'a mis sur pied une armée si formidable pour conquérir l'Europe.

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Tandis que les partis extrêmes et les journaux à leurs gages envenimaient ainsi la question, le souverain Pontife, agissant en sens contraire, protestait énergiquement contre l'occupation de ses États et envoyait au général Welden une commission chargée de ses pleins pouvoirs. Le sénateur prince Corsini, le cardinal Marini et le comte Guarini, ministre des travaux publics, s'acquittèrent avec succès de la mission que le Saint Père leur avait confiée.

Les événements de la Lombardie et de la Romagne, une ordonnance ministérielle dissolvant les corps francs formés sous le prétexte de la guerre, un décret remettant en vigueur les règlements contre les excès de la presse périodique et le besoin plus que jamais senti de se rattacher au pape, rendirent pour quelques jours à Rome l'apparence de la tranquillité. Si l'ordre n'y régnait pas d'une manière absolue, l'anarchie hurlante, déguenillée, offensant à la fois les oreilles et les yeux, s'était du moins retirée des rues, l'action gouvernementale semblait donner signe de vie.

La résistance du Saint Père, luttant contre les exigences belliqueuses d'une portion de ses sujets, le replaçait momentanément à la tête du mouvement italien, et prêtait une nouvelle chance de

succès à la médiation combinée de la France et de l'Angleterre.

Présage trompeur! le calme ne régnait qu'à la surface, les éléments du désordre fermentaient dans les bas-fonds de la démagogie.

Ce fut dans ces conditions que le 2ỏ août, la chambre des députés, prorogée au 15 novembre, rendit publiques les propositions suivantes adoptées le 22 en comité secret :

1° Que le souverain Pontife convoque un congrès où les intérêts de l'Italie soient débattus, convenablement représentés dans toute l'étendue de la puissance spirituelle et temporelle de la papauté ;

2° Qu'au nom de Pie IX soit exigée l'évacuation entière des États de l'Église, y compris la forteresse de Ferrare, réservée par un récent traité. Que dans les conventions rélatives au royaume lombard et vénitien, la liberté des peuples et l'indépendance de la nation italienne soient garanties, l'Italie étant rendue à ses limites naturelles;

3° Que le souverain Pontife intervienne pour rétablir, au moyen de son autorité, entre les Siciliens et les Napolitains la paix ou tout au moins une suspension d'armes qui pût servir au triomphe de la cause italienne ;

4° Que dans les négociations diplomatiques déjà ouvertes, les représentants des États italiens

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