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Rosa, se levant aussitôt sortit suivi de son secrétaire mais le duc d'Harcourt, ambassadeur de la France, dit : « Attendons, messieurs, pour voir ce que fera le président et ce que résoudra la Chambre. » Veine attente! le président ne prit la role que pour réprimer l'agitation qui se manifestait dans les tribunes publiques à la suite de l'événement et pour dire froidement: Passons, messieurs, à l'ordre du jour. Alors se levant à son tour et cédant à un mouvement d'indignation, le duc d'Harcourt quitta la salle disant : «C'est infâme! sortons, pour ne pas être complices d'une pareille impassibilité. >>

Cette impassibilité des députés, devant la mort du ministre leur collègue, tué sous leur regard, pour ainsi dire, à la porte de la Chambre, est une tache d'infamie qui leur rejaillira éternellement au front. Un seul, dont nous regrettons de ne savoir le nom pour le glorifier, un seul a eu du courage. Comme plusieurs des membres, ignorant encore le crime, s'informaient du motif de l'agitation qui se manifestait au dehors. Demandez-le à M. Sterbini, s'écria le courageux député en le regardant fixement, il en sait quelque chose.

La nouvelle de la mort du ministre Rossi, tombé sous le poignard de la démagogie, se répandit avec la rapidité de l'éclair dans la ville de Rome; les honnêtes gens, sincèrement dévoués à leur pays,

en furent consternés et déplorerent cet événement, qui ouvrait carrière aux assassinats politiques : les conspirateurs, au contraire, le considérant comme un triomphe, résolurent de le célébrer d'une manière digne d'eux. D'après leurs ordres les agents secrets de la révolution se répandent parmi la foule, dans les casernes des troupes de ligne et dans les quartiers de la garde civique, ils représentent l'assassinat de Rossi comme une conquête remportée par la liberté sur l'absolutisme, ils poétisent le meurtre, ils le parent de fleurs, ils insultent le peuple en cherchant à provoquer dans son attitude un semblant de complicité, puis, quand la nuit est venue, ils allument les torches de la réjouissance, ils arborent les drapeaux des manifestations; aux cravattes de l'un d'eux ils suspendent le poignard de l'assassinat, et ils le portent processionnellement.

Les agents de la force publique, les carabiniers méconnaissant leur devoir, des gardes civiques, des soldats de ligne, s'unissant à la lie de la multitude et subissant une fatale impulsion, parcourent les rues, qu'ils forcent d'illuminer; ils chantent un refrain horrible, que Sterbini, dit-on, a composé pour la circonstance (il était juste que la pensée provocatrice, en ce jour de deuil, fût unie à la main qui lui avait servi d'instrument): Benedetta la mano che Rossi pugnano. Bénie soit la main qui a

poignardé Rossi ! A ce refrain sacrilége, glorification de l'infamie, ils joignent les cris de vive l'Italie républicaine! vive le poignard de Brutus! vive Brutus II!

Ils s'avancent ainsi dans les quartiers les plus populeux de la ville, escortant en triomphe un homme jeune encore qui passe pour l'assassin et qui répond au nom de Trentanove. Cet homme, honteux pour ainsi dire de l'apothéose qu'on lui fait subir, est pâle comme un remords; une sueur froide coule sur son front nu; ses lèvres essaient en vain de grimacer un sourire à la vue des hommages qu'il recueille sur son passage; on le traîne au café des Convertite; là on l'entoure, on se presse à ses côtés, une foule avide de voir le monstre qu'on appelle le libérateur de l'Italie, lui baise les mains en disant: ó santa mano! oh! la sainte main! Cependant ses complices remarquent que les dragons protestent, par leur absence, contre cette procession de cannibales, ils se dirigent aussitôt vers leur quartier et cherchent à les entraîner; mais les dragons résistent et conservent intact, ce jour-là, l'honneur de leur étendard. Du quartier de la cavalerie ils retournent au Corso et, par une infernale inspiration, ils se rendent sous les fenêtres mêmes du palais où la femme et les enfants de leur victime pleuraient en silence et déploraient le coup qui avait rendu l'une veuve

et les autres orphelins. Là, sans pitié pour les sentiments les plus inviolables et les plus sacrés, ils outragent la sainteté de la douleur, ils entonnent un chant de fête pour exalter l'assassin, ils répètent: Bénie soit la main qui a poignardé Rossi! Et, cherchant à imiter une des scènes les plus atroces de la Révolution française, ils élèvent à la hauteur des fenêtres du premier étage, l'arme homicide se détachant comme un trophée sur les plis tricolores de leur drapeau devenu l'étendard du crime.

Instruit de ces faits qui dépassent la limite de la plus monstrueuse atrocité, le duc d'Harcourt, noble représentant de la nation française, s'empressa d'offrir, par l'entremise du père Vaures, à la famille de l'illustre mort, l'hospitalité dans son palais. Après s'être acquitté de cette mission, ce digne religieux en accepta une autre plus triste et plus dangereuse: il se chargea de faire rendre les der niers devoirs au corps du malheureux comte Rossi. Préalablement, il fallait que la police, conformément à la loi, eût reconnu l'identité du cadavre. Le père Vaures trouva un premier obstacle à l'accomplissement de cette formalité, dans la lâcheté du directeur de la police nommé récemment à cette importante fonction par la bienveillance du ministre Rossi lui-même. Cet homme, faisant taire le sentiment de la reconnaissance devant celui de la

peur, avait donné, dans la journée, sa démission au procureur fiscal. Celui-ci, se prêtant au désir du père Vaures, se rendit au palais de la Chancellerie, et dans la soirée, le curé de Saint-Laurentin-Damazo, dont l'église est enclavée dans le palais même, fit transporter le cadavre dans une chambre voisine de la sacristie. Ce fut là que, la nuit suivante, le docteur Carpi et le chirurgien Bucci, en présence du père Vaures et d'un nommé Germain, valet de chambre du comte Rossi, procédèrent à l'embaumement. Cette opération terminée, le corps fut pieusement déposé dans une caisse de bois, qui fut elle-même enfermée dans une châsse de plomb, sur la partie supérieure de laquelle on gravá cette simple initiale: R.

Il était temps, car on avait appris d'une manière certaine que la haine des bourreaux, poursuivant leur victime jusque dans l'inviolabilité de la mort, avait formé le projet d'enlever le cadavre du ministre pour le livrer à de sacriléges profanations. Enfin, après quelques devoirs religieux rendus aux dépouilles mortelles de celui qui venait de mourir si glorieusement pour la cause du pape, qui était celle de Dieu, l'on descendit son double cercueil dans un des caveaux secrets de l'église de SaintLaurent-in-Damazo.

L'assassinat du comte Rossi, lâchement immolé,

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