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ne fut pas seulement la mort violente d'un homme, ce fut un événement politique qui ouvrit pour la papauté et pour l'Italie tout entière une ère de nouveaux périls, car le seul homme de l'Italie peut-être, le comte Rossi, uni à la pensée du pape, comprenait la situation de la Péninsule et pouvait appliquer les institutions nouvelles aux besoins des temps, sans passer par les épreuves sanglantes des révolutions. En effet, depuis son entrée au ministère, le calme renaissait dans Rome; l'ordre s'introduisait progressivement dans les diverses branches de l'administration. La conciliation du pouvoir temporel avec la puissance spirituelle s'effectuait de plus en plus et rendait possible à la papauté la forme constitutionnelle : le parti républicain trouvait donc en la haute intelligence et dans l'énergique volonté du ministre un obstacle à ses projets, il résolut de le briser en recourant à son ultima ratio, le poignard!

<< Si l'on me laisse parler, disait le comte Rossi, si l'on me donne le temps de prononcer le discours que j'ai préparé et qui renferme peut-être le salut de l'Italie, c'en est fait de la démagogie dans la Péninsule. »

La minute écrite de ce discours, admirable quant au fond aussi bien que par la forme, n'était pas achevée; l'intelligent ministre devait harmonier sa péroraison aux impressions qu'aurait

fait naître dans l'Assemblée sa puissante parole. Quoi qu'il en soit, ce document, immense dans les fastes parlementaires, est trop important pour que nous ne le reproduisions pas ici, tel qu'il fut trouvé, taché de sang, dans la poche de l'illustre

victime.

« Messieurs les députés,

« A peine Sa Sainteté Pie IX s'est-elle assise sur le trône pontifical, que l'Univers catholique a admiré en lui la clémence du pontife et la sagesse du souverain : l'histoire dira que Pie IX fut un pontife indulgent et un monarque réformateur.

« L'amnistie porta la consolation dans le sein de centaines de familles, les laïques obtinrent de concourir aux affaires publiques, la Consulte d'État ouvrit les voies à la monarchie représentative, enfin la pensée souveraine se formula dans le statut fondamental et fit participer l'État pontifical aux bienfaits et à la gloire de la civilisation moderne; aussi, le monde étonné vit démentir par des faits solennels les injustes prévisions d'une philosophie politique qui proclamait la papauté, nécessairement, par la nature de ses principes, comme l'ennemie des libertés constitutionnelles et l'obstacle perpétuel au perfectionnement des institutions civiles dans les États d'Italie. Dans le court espace de quelques mois, Sa Sainteté accomplit spontanément une œuvre qui aurait suffi pour éterniser la

gloire d'un long règne, et donna aux souverains des autres peuples les plus nobles exemples de sagesse gouvernementale. L'histoire impartiale et sincère, racontant, comme de juste, les actes de ce pontificat, répétera que l'Église inébranlable sur ses assises, inflexible quant à la sainteté de ses dogmes, comprend cependant et seconde toujours avec une prudence admirable le développement légitime des institutions et des choses de ce monde, et les mouvements que la divine Providence imprime à la vie sociale.

<< Sa Sainteté avait tout lieu de croire que l'événement répondrait à ses prévisions bienfaisantes et à la libéralité de ses concessions; qu'une tranquillité, fruit de ses méditations et de ses veilles, offrirait aux particuliers ces sources de richesses qui n'attendent que des bras intelligents et les instruments convenables pour répandre des trésors, et qu'au milieu de la prospérité générale, les anciennes erreurs d'un gouvernement trop indulgent, une fois oubliées, et la détresse du trésor public -promptement soulagée, l'État pourrait s'occuper des nobles et utiles entreprises qui doivent signaler à la reconnaissance de nos derniers neveux le pontificat de Pie IX, et en éterniser la mémoire.

« Les justes espérances de Sa Sainteté ne sont pas encore réalisées, des événements qu'il était impossible aux hommes de prévoir, une obstina

tion aveugle que la prudence politique du pontife pouvait déplorer chez les autres sans la vaincre, des mouvements excités au dehors, et dont il était impossible que son peuple enflammé du noble sentiment de la nationalité italienne demeurât spectateur indifférent, des revirements politiques et sociaux, profonds, inattendus et se succédant avec la rapidité de l'éclair, ont produit dans l'Europe entière un bouleversement tel, que toute prévoyance humaine s'est trouvée singulièrement dépassée par les faits. Il n'appartient qu'à l'histoire de donner, dans sa page tardive, l'explication du développement mystérieux de ces révolutions terribles dont la Providence seule connaissait d'avance les motifs et les effets.

« Au milieu de ce flux de passions généreuses et mauvaises, d'actes d'héroïsme et d'erreurs, 'd'espérances et de sujets d'effroi, l'administration ferme et régulière des affaires humaines devient pour ainsi dire impossible, tant est grand le nombre des faux sages qui s'abstiennent, des faibles qui abandonnent tout espoir, et des audacieux qui ne connaissent plus de frein.

la

<< Semblables à des navigateurs assaillis par tempête, ceux qui gouvernent l'État dans ces temps de crise prennent la route qu'il leur est possible plutôt que celle qu'ils auraient à cœur de suivre, et il serait injuste de leur reprocher de n'avoir pu

prévenir toutes les méprises, obvier à toutes les secousses, éviter tous les écueils.

<< Il était impossible que l'État pontifical ne ressentît pas le contre-coup de ce choc européen. Ici donc on vit éclore ce mélange de bien et de mal qu'entraînent après elles ce que les historiens appellent les époques de transition, et il serait injuste de vouloir, relativement au pays, devancer par une sévérité inopportune le jugement impartial de l'histoire; quant à nous, nous préférons attribuer le bien aux hommes et les maux à l'époque.

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Acceptant donc les faits sans les juger, rappelons-nous seulement avec quelle douleur les gens bien pensants (et nous donnons ce nom aux partisans sincères d'une liberté honnête et des progrès réguliers) voyaient les désastres matériels qui accablaient l'État et les particuliers, la ruine du commerce et du crédit, la disparition du numéraire, la détresse du trésor, l'énormité des dépenses, le renversement plutôt que le renouvellement de l'ordre social, la décomposition et la désorganisation de l'armée, les délits devenus aussi fréquents qu'impunis, la licence universelle, mais par-dessus tout, ils voyaient avec peine le danger de mort pour la vraie liberté quand l'anarchie ose en prendre le masque, et ils tremblaient que, dégoûtée de tant de folies, Sa Sainteté

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